« Concurrent dénigré doit être réparé »

Pour promouvoir leurs biens ou services, certains sont prêts à tout, même à s’attaquer à leurs concurrents. Si la liberté du commerce et de l’industrie autorise les entreprises à se faire librement concurrence, celles-ci ne sauraient abuser de cette liberté, sous peine de commettre un acte de concurrence déloyale.

Un tel abus sera notamment constitué en cas de dénigrement, lequel consiste « à jeter le discrédit sur un concurrent, en répandant à son propos, ou au sujet des produits ou services qu’il commercialise, des informations malveillantes ou encore des appréciations péjoratives ».
Figures récurrentes de ces joutes: les opérateurs de télécommunications. Free versus Bouygues Telecom le 22 février 2013, Orange versus SFR le 24 mai 2013. Les affaires se suivent et se ressemblent. 

Dans l’affaire l’opposant à SFR, Orange estimait être victime d’un dénigrement en raison des propos tenus par le Président directeur général de la société SFR et retranscrits sur le site Internet de La Tribune. Celui-ci avait affirmé que sa société était le « seul opérateur à pouvoir accompagner un usager tout au long de son parcours numérique », alors qu’« Orange a du mal à s’organiser au niveau qui est le [leur] sur la 4G ».
Devant le Tribunal de commerce de Paris, le débat a essentiellement porté sur la qualification que devaient revêtir les propos litigieux: étaient-ils constitutifs de dénigrement, comme l’avançait Orange, ou de diffamation, comme le rétorquait SFR? Le débat est loin d’être stérile, tant le régime de l’action diffère suivant la qualification retenue. En effet, qualifier les faits de diffamation conduit à accorder une protection bien plus importante à l’auteur des faits, dès lors que, soumise à la loi sur la presse du 29 juillet 1881, l’action de la victime sera soumise à une prescription très courte de trois mois et pourra être contrée par la preuve de la vérité des faits allégués. Rien de tel, en revanche, s’agissant de l’action en dénigrement intentée sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil.
La société SFR en avait conscience, tout comme le Tribunal, qui a rejeté sa demande de requalification des faits en rappelant une règle bien connue en jurisprudence : « tandis que la diffamation exige que l’attaque […] soit portée contre une personne physique ou morale; en matière de dénigrement, le discrédit du concurrent est dirigé contre un produit ou service ».
Si la décision du Tribunal apparaît justifiée en ce qu’il s’est placé sur le terrain du dénigrement pour juger de la licéité de critiques relatives à des services (en l’occurrence, la capacité d’Orange à fournir des services 4G de qualité), elle est sans doute moins légitime quant à la condamnation retenue à l’encontre de SFR.
En effet, les propos litigieux ne faisaient finalement que comparer les services proposés par deux opérateurs, et ce de manière relativement modérée. De fait, ils pouvaient être assimilés à de la publicité comparative, laquelle est en principe autorisée par l’article L.121-8 du Code de la Consommation. Dès lors, en considérant que les propos tenus étaient abusifs et donc dénigrants, le Tribunal a fait preuve d’une sévérité certaine.
 
Peut-être a-t-il souhaité marquer les esprits en mettant volontairement un coup d’arrêt à des pratiques commerciales qui frisent souvent l’illicéité ?
 

Pour rappel, le même Tribunal de Paris avait déjà estimé, dans une décision du 22 février dernier, que s’il « n’est pas en tant que tel interdit de comparer ses produits avec ceux de ses concurrents, […] une telle comparaison doit respecter des règles strictes d’objectivité et de loyauté ».
Ainsi, à ceux qui s’interrogent encore sur ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire pour promouvoir leurs produits ou services, nous leur répondrons: « vanter les mérites de ses produits, oui, dénigrer ceux des concurrents, non ».