Comment "l'effet sécateur" tue la créativité

Nombre d’initiatives et d’innovations sont tuées dans l’œuf faute de pouvoir s’exprimer en raison de l’effet sécateur. De quoi s’agit-il ? Comment s’en prémunir ? C’est ce que nous allons présenter.

L'exemple Macron

Qui, il y a un an, aurait parié sur le succès de notre actuel président ? S’il a réussi son pari, deux raisons notamment l’expliquent. La première rejoint notre propos : "Il s’est autorisé à envisager la victoire". Il s’est donc mis dans une posture du "C’est possible". Il a donc rejeté les "attitudes sécateurs" du genre : c’est impossible, de toute façon ça ne marchera pas, d’ailleurs personne ne l’a fait….. Deuxième raison, il a su utiliser ce que les romains appelaient "La virtù", c’est-à-dire la chance, la bonne fortune. Il y a bien évidemment d’autres raisons, mais elles dépassent notre propos.

L’effet sécateur

L’effet sécateur, ce sont toutes les postures qui tuent dans l’œuf les propositions d’initiatives et d’innovation. Très concrètement, elles se traduisent par des attitudes dubitatives voire hostiles au travers de phrases comme celles citées ci-dessous :

Ça ne marchera jamais

Pas chez nous

D’ailleurs ça ne s’est jamais fait

Nous n’avons pas les moyens

Nous n’avons pas le temps

On a d’autres priorités

C’est impossible

Oui mais….

Restons les pieds sur terre

Nos clients ne seront pas intéressés

Croyez en mon expérience….

Passons aux choses sérieuses

Vous ne serez pas en peine de compléter cette liste

Comment se prémunir de l’effet sécateur ?

Il faut commencer par s’autoriser à avoir des idées et à tenter des choses nouvelles. S’autoriser donc à réussir et accepter le fait que le succès, la réussite seront souvent précédés par des échecs ou mieux par des solutions infructueuses. Rappelons-nous la citation de Thomas Edison "Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas". Il a bien fait de continuer à chercher et à essayer.

Cela veut dire aussi que lorsque l’on est en position de hiérarchie, il faut autoriser ses collaborateurs à réfléchir, débattre, proposer, essayer. C’est comme cela que l’on peut faire exprimer le possible porté par chacun et le possible encore plus grand porté par le collectif. Dans ce dernier cas, on peut parler de co-création. On peut même aller vers la co-création élargie en intégrant des acteurs qui dépassent les frontières de l’entreprise : clients, fournisseurs….. Je citerai encore une fois Edison : "Si nous faisions tout ce que nous sommes capables de faire, nous en serions abasourdis". 

Donc, permettre et non pas empêcher. Rappelons-nous également que c’est souvent quand on s’égare, qu’on découvre de nouveaux chemins.

Jouez la carte de l'ouverture

Les idées innovantes ne viennent pas de rien. Souvent, sans que nous nous en rendions compte, il y a une maturation interne qui un jour se traduit par l’éclosion d’une idée, une prise d’initiative. 

Ces maturations et ces éclosions seront d’autant plus riches que nous nous nourrissons de ce qui est autour de nous : dans l’entreprise, chez nos concurrents, dans s’autres secteurs d’activité, dans la société, dans d’autres cultures… 

En quelque sorte, il faut mettre "Le nez à la fenêtre", s’entraîner à observer et à être curieux. En fait, ce sont les autres et ce qui est autour de nous (un autour le plus large et le plus diversifié possibles) qui nous stimulent. Entraînons-nous à faire, à nous faire et à faire faire des "Rapports d’étonnement". Par exemple, aujourd’hui, qu’est-ce que j’ai vu, entendu, ressenti qui m’a étonné, surpris, que je ne connaissais pas…. Il faut impérativement prendre le parti de l’exogamie des idées et non pas celui de l’endogamie.

Créer des contextes émotionnels qui favorisent la production des idées et l’initiative

Nous savons que les émotions ont une incidence très forte sur la capacité d’engagement et de création des personnes. En tant que personne, dirigeant ou personne en situation de management, nous avons hautement intérêt à faire que ce soient les émotions à impact positif qui circulent majoritairement. Il faut construire et maintenir des contextes émotionnels favorables. Il faut notamment favoriser la production des "émotions d’accomplissement" : la joie, l’acceptation, l’amitié, la sérénité, la confiance, la fierté, le plaisir, la satisfaction, le bonheur et des "émotions d’approche" qui nous mettent dans des prédispositions favorables pour engager positivement l’action : le soulagement, l’espoir, l’anticipation, le courage, l’intérêt, la reconnaissance, la surprise, la compassion.

Passer du jugement de valeur (négatif) à la bienveillance

Face à une idée nouvelle, nous avons trop souvent tendance à dégainer le sécateur sous forme de jugement de valeur négatif. On retrouve là beaucoup des expressions que nous avons mentionné en début d’article, ajoutons-y : ce n’est pas bien, quelle idée, vous n’avez pas le sens des réalités, c’est vraiment n’importe quoi….. 

La bienveillance consiste à laisser exprimer les propositions et selon les contextes à avoir des réactions encourageantes : ça mérite d’être essayé, ça mérite d’être approfondi, qu’est-ce que ça apportera par rapport à ce qui se fait déjà, chez nous comment ça pourrait s’envisager...  

Ne commençons donc pas par tuer les idées, par les envoyer à la fosse commune de la non créativité. Laissons-leur les chances de s’exprimer, de se confronter, de se développer, de s’approfondir. A partir de là certaines seront retenues, d’autres non ; certaines seront de vrais succès, d’autres non. Comme le notait Nikolaï Tchernychevski : "La terre est le lieu de la vie et non du jugement".

Rechercher ce qui peut créer de la différence

Pour cela, il faut adopter des postures de remise en cause de ce qui se fait et de comment ça se fait. Commencer par poser la question magique « Pourquoi ». Pourquoi faisons-nous ainsi ? On est très souvent surpris d’avoir des réponses du genre : "parce que ça s’est toujours fait ainsi" ou "Je ne sais pas". 

Cette question initiale du pourquoi, il faut l’enrichir d’un questionnement complémentaire. Voici quelques exemples de questions à adapter aux contextes spécifiques. Quels avantages aux solutions actuelles ? Quels inconvénients aux solutions actuelles ? Comment font nos concurrents ? En quoi ça répond bien et moins bien aux attentes des clients ? Comment peut-on faire autrement ? Qu’est-ce qu’on pourrait faire qui ne se fait pas et créerait des différences positives ? Dans d’autres secteurs d’activité, dans d’autres pays…, comment s’y prend t-on ?

Il ne s’agit pas de critiquer pour critiquer ce qui se fait ; il ne s’agit surtout pas de rechercher des coupables. Encore une fois, il s’agit d’ouvrir, de dépasser les logiques habitudinaires qui structurent trop souvent nos activités.

Pour conclure

Ne pas mutiler l’initiative et la créativité, nous l’avons bien compris, c’est d’abord une question d’attitude mentale avant d’être une question de techniques. Etre curieux, ouvert, confiant en soi, accueillant, bienveillant, motivé par la production d’idées, capable de remise en cause et de dépassement des évidences, voilà ce qui permet aux idées de s’exprimer, aux innovations d’émerger. Remisons donc nos sécateurs au vestibule. Car, dans un monde qui change à grande vitesse, que ce soient pour les personnes ou les organisation l’enjeu n’est pas seulement de s’adapter (de suivre), mais d’innover, de créer des différences positives. Rappelons-nous qu’il n’y a pas de phrase plus dangereuse que : "On a toujours fait comme ça". Terminons par cette citation de J .M Keynes : "La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes".