L'année de césure devient-t-elle indispensable pour trouver un emploi ?

L'année de césure devient-t-elle indispensable pour trouver un emploi ? Pour maximiser leurs chances de trouver un premier emploi à la hauteur de leurs attentes, de plus en plus d'étudiants multiplient les stages pendant un an.

Sésame vers le précieux CDI, l'année de césure est une stratégie qui permet de s'immerger dans le monde du travail et d'augmenter son attractivité sur le marché de l'emploi.

Une pratique venue des écoles de commerce...

L'année de césure est depuis longtemps en vogue dans les écoles de commerce et d'ingénieurs qui ont pour politique d'encourager les étudiants à multiplier les expériences en entreprise avant de se confronter à la vie active."Nous pensons qu'un jeune qui passe une année à réaliser un projet personnel censé lui apporter une plus-value pour sa carrière future doit être encouragé. D'ailleurs, chez nous, pratiquement tous les étudiants effectuent une année de césure dans leur cursus", confie Anne Zuccarelli, directrice entreprises et carrières à l'école de commerce Edhec.

"A Sciences Po Grenoble, nous croulons sous les demandes depuis deux ou trois ans"

Tous les professionnels interrogés sont unanimes : les demandes de départ en année de césure sont de plus en plus importantes. Une situation confirmée par les étudiants : "Je suis en marketing à Grenoble Ecole de Management. Et dans mon master, nous sommes cette année 75% de l'effectif à avoir fait le choix de partir en césure. La direction n'a jamais vu ça", confirme une étudiante grenobloise qui souhaite rester anonyme et qui a pris ses distances avec les bancs de son école pour effectuer deux stages dans le secteur de la mode et de la maroquinerie de luxe.

Résultat, les entreprises reçoivent de plus en plus de CV d'écoles de commerce et d'ingénieurs qui sont en année de césure."Il y'a ne serait-ce que 5 ans, les jeunes qui étaient césure chez nous étaient peu nombreux. Il s'agissait d'un phénomène assez marginal. Aujourd'hui, dans notre département audit, 60% de nos stagiaires sont là dans le cadre d'une année de césure", explique Félicitas Cavagnié, associée responsable du recrutement chez Deloitte France.

...et en plein boom dans les universités

Longtemps l'apanage des écoles de commerce et d'ingénieurs, l'année de césure compte également de plus en plus d'adeptes dans les universités. "Il y'a quelques années, peu d'étudiants demandaient à bénéficier d'une césure. Si leur projet paraissait pertinent, nous leur permettions évidemment de partir", confie Catherine Saintagne, responsable de l'espace carrière à Sciences Po Grenoble. "Maintenant, ça se sait. Ca fait boule de neige et nous croulons sous les demandes depuis deux ou trois ans. Nous avons même des étudiants qui sont prêts à sacrifier une année de mobilité à l'étranger pour aller directement en entreprise. La hausse nous paraît si forte depuis quelques années que nous allons changer notre système informatique pour quantifier précisément le mouvement", complète-t-elle.

Le gouvernement commence à mettre en place des dispositifs pour faciliter le départ en césure à l'université

Le gouvernement a quant à lui pris la mesure de la situation et commence à mettre en place des dispositifs visant à faciliter le départ en césure des étudiants en université. Une circulaire publiée le 23 juillet 2015 oblige les établissements universitaires à garantir la réinscription de l'étudiant lors de son retour de césure. C'est une disposition importante car la peur de ne pas être sélectionné dans un master pour cause de césure constituait un véritable frein au départ.

La circulaire prévoit également de garantir la conservation du statut étudiant à tous les élèves mettant leur parcours académique entre parenthèse pendant un an. Avant cette circulaire, les universités n'étaient pas tenues de délivrer le statut étudiant à un jeune partant en césure.

Une porte d'entrée vers un premier emploi

Si les étudiants d'université, d'écoles de commerce ou d'écoles d'ingénieurs sont de plus en plus demandeurs d'une année de césure, c'est pour une raison simple : la peur du chômage.

L'étudiante grenobloise l'avoue volontiers : "Même en étant dans une des dix meilleures écoles de commerce de France, les temps sont durs. Nous sommes de plus en plus nombreux pour de moins en moins de postes disponibles. Pour trouver un premier CDI, les stages et les alternances ne suffisent plus. D'une certaine façon, c'est un peu un cercle vicieux de ne pas faire de césure puisque tout le monde en fait".

Cette volonté d'acquérir un maximum d'expérience professionnelle avant d'entrer véritablement sur le marché du travail pousse de plus en plus d'étudiants à cumuler stages, alternance et année de césure.

"La césure est une pratique typiquement française dont les recruteurs internationaux sont friands"

Une situation constatée au quotidien par Edouard Durand, responsable du bureau parisien de Vidal Associates, une entreprise spécialisée dans le recrutement. "Depuis quelques années, on retrouve de plus en plus de jeunes diplômés qui ont fait de l'alternance dans un BTS, qui intègrent une école de commerce par concours passerelle et qui y effectuent une année de césure. Au final, lorsqu'ils sont diplômés d'un Bac+5, ils ont dans la pratique 2 années d'expérience professionnelle".

Mais l'année de césure est-t-elle vraiment incontournable pour trouver un premier emploi ? "C'est un atout incontestable pour se démarquer, considère Edouard Durand. Si je prends le cas d'un commercial dans le secteur de la grande ou de la moyenne surface, je me dis que si il a fait un an de césure comme responsable de secteur, il aura un an d'expérience. Ça pèse dans la balance quand on recrute un jeune."

Pour Félicitas Cavagnié, la situation est simple : "Chez Deloitte, nous employons 800 jeunes diplômés par an en CDI. Nous recevons 70 000 CV et lettres de motivation. Quand nous sélectionnons les candidats, nous sommes obligés de nous baser sur ce que je nomme le critère différenciant. Et l'année de césure en est souvent un".

A l'heure de la mondialisation, la césure aurait un autre mérite : celui de donner de la valeur aux jeunes français. Selon Anne Zucarelli, la césure est aussi la meilleure porte d'entrée pour trouver un emploi à l'international : "D'après le retour de mes étudiants, la césure est un atout comparatif indéniable. C'est une pratique typiquement française à laquelle les recruteurs internationaux sont friands. La césure permet vraiment de se démarquer sur le marché mondial".

Un critère déterminant parmi d'autres

Mais faut-t-il pour autant passer une année dans les open space pour être certain de décrocher un précieux CDI ? Pas forcément. Si la césure peut être un atout, elle n'est cependant pas toujours un pré requis aux yeux des entreprises et des recruteurs.

David Surrel, directeur du cabinet de recrutement Aspen RH est de cet avis. "Certes, aujourd'hui il est indispensable d'avoir un minimum d'expérience. Pour autant, je ne fais pas de différences entre l'apprentissage et la césure. J'accorde surtout de l'importance aux compétences et aux entreprises où le jeune a travaillé. Par exemple si on choisit mal ses stages de césure, si le parcours n'est pas cohérent avec le diplôme, la césure n'est pas un plus. Et puis quand des secteurs sont bouchés, ils sont bouchés. Et lorsqu'un secteur est demandeur de main d'œuvre, il vient chercher les étudiants directement dans les écoles. Pour trouver un CDI, mieux vaut bien s'orienter en amont".

"Si le parcours n'est pas cohérent avec le diplôme la césure n'est pas un plus"

Pour certaines entreprises, le développement de la césure ne change même pas grand-chose aux habitudes de recrutement. "Il nous arrive de prendre des étudiants en césure. Mais au niveau du recrutement de cadres juniors, nous avons traditionnellement beaucoup de jeunes qui viennent d'IAE ou des universités. Et ce sont des établissements où la césure n'est encore pas très répandue. Ce n'est donc pas un pré requis", explique Nathalie Assibat, directrice des ressources humaines de l'institut de sondage BVA.

Certains ont même tendance à déconseiller l'année de césure. C'est le cas de Frédéric Gonthier, directeur du master Progis spécialisé dans les études d'opinion à Sciences Po Grenoble : "Je dirige un master qui a la particularité d'avoir un faible effectif qui se positionne sur un marché de niche. Dans le cadre de mon master, l'année de césure n'est absolument pas un investissement stratégique. Le diplôme est reconnu par le secteur, le niveau en langue des diplômés est bien meilleur que la moyenne".