COVID-19, un accélérateur de la transformation digitale du modèle éducatif

Le confinement a basculé plus de 12 millions d'élèves et d'enseignants dans l'expérience de l'école à distance. Quelles habitudes et pratiques pédagogiques resteront après le confinement, accélérant la transformation digitale du modèle éducatif ?

Cette crise sanitaire sans précédent a joué un rôle de catalyseur sur le système éducatif, dont la transformation digitale peinait à se généraliser, malgré une constante volonté de numérisation du Ministère de l’Education Nationale depuis les années 80. 

Un apprentissage à distance qui peut encore mieux faire...

Le passage brutal aux cours à distance a été complexe pour nombre d’établissements. Mais lorsque la bascule a été opérée (et bien opérée), elle a permis la continuité de la quasi totalité des cours et a donné lieu à une assiduité des élèves équivalente à celle en amphithéâtre si l’on se réfère à l’enseignement supérieur. A noter néanmoins, 5 à 8% des élèves ont décroché du système scolaire, ce qui questionne sur l’égalité des élèves face à l’accès aux outils numériques et à leur utilisation. Lorsqu’on reproduit simplement un cours physique, on déporte une part du travail et de la responsabilité sur l’élève ou les parents, dont 48 % se sentent en difficulté pour réussir à s’organiser correctement et assurer leur télétravail de façon efficace en ce moment (source QAPA). Peut-être pouvons-nous tirer un meilleur avantage des nouvelles opportunités offertes par les outils digitaux ? Tout comme la presse en ligne, qui au début des années 2000 s’est réinventée en ne se contentant pas de mettre un journal sur les écrans, mais en repensant une nouvelle forme d’écriture et de diffusion de l‘information. La pédagogie en ligne saura-t-elle être une nouvelle pédagogie, au-delà de la transposition sur des écrans d’un format existant ?

… mais qui ouvre aussi de nouvelles opportunités dans le modèle éducatif.

Lors de vidéoconférences sous des plateformes comme Blackboard, Livestorm, Zoom ou Discord, il est très difficile de gérer une classe de 35 élèves. Cela est possible, mais suppose une approche pédagogique totalement différente. Au Canada par exemple, le professeur ne passe que 20% de son temps sur le théorique durant une séance. Il donne ensuite des exercices avec 4 niveaux. Les meilleurs vont jusqu’au niveau 4, les moins bons jusqu'au niveau 2. Le professeur, pendant ces 80% de temps d’exercices pratiques, passe virtuellement de groupe en groupe et repère ainsi les plus timides ou ceux en difficulté pour personnaliser l’accompagnement. Aux Etats-Unis, il existe également des assistants virtuels d’enseignement utilisant l'IA pour répondre aux 80% de questions simples des élèves. Cela décharge les professeurs qui peuvent se concentrer sur les 20% de questions plus complexes. Dernier point, les étudiants qui ont utilisé des sites ou applications de soutien scolaire, ont pu être encouragés grâce à des mécaniques de gamification, avec des badges et récompenses virtuelles délivrés au fur et à mesure de la progression dans le programme. 

Vers une pédagogie organisée autour du présentiel et du téléprésentiel ? 

A l’horizon de la rentrée 2020-21, il est possible que s’installe une complémentarité entre les cours en classe et ceux donnés à distance. Cela pourra se traduire par moins de cours, délivrés plutôt à distance, au profit d’ateliers pratiques donnés en présentiel. Dans tous les cas, l’école reste le lieu de l’apprentissage. Mais au lieu d’enseigner sous la forme de cours magistraux trop longs à des élèves habitués à zapper rapidement d’un sujet à l’autre sur les réseaux sociaux, on pourrait comme dans certains lycées numériques au Danemark, avoir des espaces prévus pour 5 élèves qui travaillent ensemble, le professeur passant d’un groupe à l’autre. Ce format facilite aussi la discussion avec des correspondants étrangers ou les interactions avec des experts du monde entier, qui peuvent se libérer 1h pour répondre aux questions d’une classe.

La crise sanitaire nous a démontré que l’enseignement à distance n'était pas encore la solution idéale, mais il a permis aux professeurs d’entrevoir des solutions pédagogiques qui mélangent présentiel et téléprésentiel. Le cours magistral qui dure depuis plus de 10 siècles n’est plus la solution. Le temps est venu de mettre en place des pédagogies qui existent déjà où la bonne utilisation du numérique profite aussi bien aux élèves qu’à leurs professeurs.

Par Frédéric Sitterlé, Directeur Général d’HETIC et François-Xavier Hussherr, Fondateur de The AI Institute et auteur du livre “Construire le nouveau modèle éducatif du XXIe siècle”.