L'effet bonsaï en management : quand le contrôle étouffe le potentiel

Tout comme l'art horticole japonais qui consiste à contraindre la croissance d'un arbre pour lui donner une forme esthétique désirée, certains managers, consciemment ou non, limitent le développement

L’effet bonsaï : un phénomène managérial sous-estimé

En cherchant à miniaturiser son arbre, avec patience et obsession, le bonsaïka a pleinement conscience de changer la nature profonde de la plante qu’il façonne à son goût. Ce projet botanique, nécessitant une attention constante, sublime et transforme un végétal quelconque en une véritable œuvre vivante. Cet art majeur japonais révèle, une fois encore, la volonté des hommes à contrôler leur environnement. Sans conséquence ici, mais hautement préjudiciable lorsqu’il s’agit de management et de la croyance infondée qu’un manager peut lui aussi modeler les équipes qu’on lui a confiées. Pourtant, c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui dans de nombreuses entreprises.

L'effet bonsaï en management se caractérise par une tendance excessive au contrôle et à la surveillance entraînant de facto la limitation du potentiel des collaborateurs. Il se manifeste sous diverses formes, souvent subtiles, qui passent inaperçues au quotidien mais dont les effets cumulés peuvent être dévastateurs pour la performance et l'innovation au sein de l'entreprise. Alors que les géants de la tech comme Google ou Spotify prônent l'autonomie et la responsabilisation de leurs employés, force est de constater que de nombreuses entreprises françaises peinent encore à lâcher prise.

Selon une étude récente de l'Observatoire du Management, 62% des salariés français estiment que leur manager ne leur fait pas suffisamment confiance pour prendre des initiatives. Un chiffre qui devrait nous alerter sur l'urgence de repenser nos pratiques managériales.

Attention à ne pas enfermer les cadres dans des petits cadres

Le contrôle excessif est sans doute la manifestation la plus visible de l'effet bonsaï. Il se traduit par un suivi pesant, des demandes de reporting incessantes et une tendance à dicter chaque aspect du travail des collaborateurs. Ce micro-management, souvent justifié par un souci de qualité ou de performance, a en réalité l'effet inverse. Il étouffe l'initiative, bride la créativité et installe un climat de méfiance au sein des équipes.

Prenons l'exemple de Thomas, manager dans une grande entreprise de conseil. Animé par la volonté de bien faire, il passe ses journées à vérifier le travail de ses collaborateurs, à corriger le moindre détail, à valider chaque décision. Résultat ? Son équipe, pourtant composée de professionnels compétents, n'ose plus agir sans son aval et se sent démotivée à force d’être sans cesse remise en question. L'innovation stagne, les délais s'allongent, et la motivation s'érode.

L'omniprésence managériale est une autre manifestation pernicieuse de l'effet bonsaï. Certains managers, dans leur volonté d'être toujours disponibles et à l'écoute, finissent par créer une dépendance malsaine chez leurs collaborateurs. C'est le cas de Sophie, responsable d'une équipe marketing. Toujours présente, toujours prête à aider, elle aime conseiller et intervient dans chaque décision, même mineure, elle aime mettre “sa touche”. Si ses intentions semblent louables, les conséquences sont tout aussi néfastes : ses collaborateurs sont infantilisés, sans possibilité d’être autonomes, même s’ils le voulaient, la moindre initiative se trouve systématiquement supervisée.

Plus insidieuse encore est la limitation subtile du potentiel des collaborateurs. Elle se manifeste par une réticence à donner trop de visibilité, à confier des responsabilités importantes ou à valoriser les talents, de peur de perdre des éléments "trop" performants ou de se voir éclipsé par eux. Ces pratiques, inconscientes ou non, créent un plafond de verre qui empêche les collaborateurs de se développer pleinement et d’évoluer. C'est l'histoire de Julien, brillant ingénieur, dont le potentiel est systématiquement bridé par son manager qui craint de voir son protégé le dépasser.

Les solutions pour sortir du piège : laisser pousser les équipes

La première étape pour sortir de l'effet bonsaï est de développer une confiance authentique envers ses collaborateurs et leur potentiel de développement. Cette confiance n'est pas un acte de foi aveugle, mais un processus construit et réfléchi. Prenons l'exemple de Marie, directrice des opérations dans une entreprise de logistique. Consciente de sa tendance au micro-management, elle a décidé de faire le pari du long terme et de l'autonomie. Elle a commencé par identifier les forces de chacun de ses collaborateurs et leur a confié des missions à leur mesure, en leur donnant carte blanche sur les moyens à chaque fois que cela s’avérait possible. Elle a aussi rassuré en ne se focalisant pas uniquement sur l’atteinte d’objectifs stricts, préférant encourager l’action et la persévérance plutôt que de pointer systématiquement les lacunes. Elle a compris que le développement passe par la compétence, nécessitant d'accepter les erreurs. Le résultat ? Une motivation et un engagement accrus, une meilleure communication, et une atmosphère de travail bien plus productive et collaborative. Marie est ainsi passée d’une posture d’organisateur, à celle de l’entraîneur, capable de soutien et de générer de l’entraide y compris dans l’équipe.

Le manager "bonsaï" doit ensuite évoluer vers une posture de facilitateur. Il ne s'agit plus d’organiser en s’attardant sur le comment mais d'autoriser en donnant du sens. Ici, le manager doit permettre l’expérimentation, en créant des conditions favorables au plein épanouissement de ses collaborateurs. Sa présence est plus diffuse, telle une ligne de vie à l’accrobranche, il est là en cas de coups durs, mais il sait surtout s’effacer. C'est la transformation qu'a opérée Lucas, directeur commercial d'une PME du secteur des nouvelles technologies. Auparavant connu pour son style de management très « friendly coach », il a radicalement changé d'approche. Il a mis en place des sessions de brainstorming hebdomadaires où chacun peut librement proposer des idées. Il a instauré un système de mentoring où les plus expérimentés accompagnent les juniors. Et plus que tout, il a arrêté de donner son avis sur tout et d’essayer d’améliorer les solutions en proposant sa vision. En somme, il a laissé possible la réalisation d’actions véritablement innovantes, n’intervenant que lorsqu’on lui demandait officiellement ou en dernier ressort en cas de difficultés. Résultat ? Son équipe a totalement pris les choses en main, allant bien au-delà de ce qu’il avait envisagé avec une augmentation de 23% du chiffre d'affaires en deux ans. Il se félicite aujourd’hui de la mise en place de certaines idées, parfois perçues comme farfelues, mais il reconnaît pleinement l’impact positif. Désormais, il évite de juger ou d’empêcher les initiatives dont il ne mesure pas toute la portée. Certes, elles ne donnent pas toutes les mêmes résultats, mais il a compris que chacune contribue à un cercle vertueux pour l’équipe et l’atteinte des objectifs aussi bien individuels que collectifs.

Enfin, pour véritablement sortir de l'effet bonsaï, il est nécessaire de changer encore de posture et de cultiver un véritable esprit entrepreneurial au sein de l'équipe et d’accepter la mise en visibilité du talent de ses collaborateurs dans l’entreprise . Ici, c’est le «partenariat» qui prime. Le respect pour l’intelligence et le potentiel de l’autre, qui a des forces bien différentes des nôtres, et sur lesquelles il est possible de s’appuyer pour réussir ensemble. L'exemple de Carrefour est édifiant à cet égard. Face à la concurrence des pure players du e-commerce, le géant de la distribution a décidé de donner plus d'autonomie à ses directeurs de magasin. Ces derniers ont désormais la latitude pour adapter leur offre aux spécificités locales, lancer des initiatives marketing originales, et même prendre des décisions sur l'agencement de leur point de vente. Cette stratégie a permis à Carrefour de regagner en agilité et en pertinence face aux nouveaux comportements des consommateurs. L'exemple de Carrefour est édifiant à cet égard. Face à la concurrence des pure players du e-commerce, le géant de la distribution a décidé de donner plus d'autonomie à ses directeurs de magasin. Ces derniers ont désormais la latitude pour adapter leur offre aux spécificités locales, lancer des initiatives marketing originales, et même prendre des décisions sur l'agencement de leur point de vente. Cette stratégie a permis à Carrefour de regagner en agilité et en pertinence face aux nouveaux comportements des consommateurs.

L'effet bonsaï en management n'est pas une fatalité. C'est un piège dans lequel de nombreux managers tombent, souvent à leur insu, guidés par de bonnes intentions mais enfermés dans des paradigmes dépassés, et qui cherchent ensuite à combattre le problème qu’ils ont eux-mêmes construits et qu’ils alimentent au quotidien. Chacun voulant sortir de l’infantilisation dans les relations professionnelles et aspirant à davantage de responsabilisation qui s’avère être la seule voie pour les entreprises de rester concurrentielles, et pour les collaborateurs de s’épanouir en restant engagés.

Respecter le principe Dirty Dancing pour éviter l’effet bonsaï pleureur

Si l'effet bonsaï représente les dérives d'un management trop contrôlant, Dirty Dancing illustre, à l'inverse, l'idéal d'une relation libératrice. Le film culte des années 80 regorge de principes à appliquer en management et nous offre, avec un peu d’imagination, une vision rafraîchissante de ce que pourrait être une excellente relation manager-collaborateur. En gommant la séduction entre les personnages, l’histoire est celle d’une femme au potentiel exceptionnel, étouffée par le poids des conventions et des injonctions contradictoires, qu’un mentor réussira à guider vers l’hyper performance. A force de détermination, d’entraînement et de soutien, la jeune femme, prend peu à peu conscience de ses capacités pour finir par se réaliser. La très célèbre réplique « on ne laisse pas Bébé dans un coin. » illustre l’assurance nécessaire pour mettre quelqu’un en lumière et résonne encore comme un mantra pour toute une génération, autorisant enfin chacun à vivre son talent au grand jour.

Pourtant, le chemin était semé d’embuches, Bébé oscille entre agacement et découragement, petites victoires et désillusions, comme pour chacun qui entreprend une mission difficile, elle est mise à l’épreuve. Johnny, quant à lui, garde la tête froide. Il ne cède ni aux envies d’abandon de sa protégée, ni à ses tentatives d’attendrissement. Conscient que seule elle peut apprendre, faire les efforts et finir par performer, il la pousse à persévérer sans pour autant la prendre en charge.

D’ailleurs, il a son espace de danse et elle le sien. Les règles sont claires et Johnny en précurseur d’un management résolument moderne incarne le principe le plus important pour développer ses équipes : le principe de non substitution à l’autre. Car au royaume de l’autonomie professionnelle, ni la facilité, ni la complaisance, ni la victimisation n’ont de place.

Être responsable se mérite et nécessite un investissement en temps et en énergie de la part de celui qui progresse. Charge au manager de ne pas cajoler, ni surprotéger et encore moins de le faire avancer sous la menace ou la contrainte. Pour bien faire, il devra être plus ou moins présent moduler son niveau de présence à chaque étape de progression de ses collaborateurs, en acceptant que chacune draine par essence son lot d’errance et d’erreurs, y compris au risque d’en être soi-même entaché.

C’est la seule manière d’éviter que votre bonsaï ne se transforme en bonsaï pleureur du fait d’une pression trop forte ou d’une victimisation complice.

En fin de compte, un bilan managérial positif devrait se mesurer au nombre de personnes que l'on a aidées dans sa carrière, au nombre de "Bébé" que l'on a accompagnés jusqu'à leur plein épanouissement professionnel.

L'enjeu est de taille : il ne s'agit pas seulement de performance économique, mais de donner du sens au travail, de créer des environnements où chacun peut s'épanouir et contribuer pleinement. C'est un défi managérial, certes, mais aussi un défi de société. Car des entreprises où chacun peut déployer son plein potentiel sont aussi des entreprises plus humaines, plus innovantes, plus à même de répondre aux grands défis de notre temps. Alors, managers, êtes-vous prêts à lâcher prise pour mieux saisir l'avenir ?