La Cour de cassation confirme le caractère non protégeable des parfums par le droit d'auteur

Depuisi une dizaine d'années une question de principe oppose des tribunaux de grande instance et des cours d'appel à la Cour de cassation. Cette question concerne le droit d'auteur et, plus précisément, la possibilité pour un parfum, œuvre olfactive, de bénéficier de la protection du droit d'auteur.

Les parfums ne font pas partie des œuvres de l'esprit listées par le Code de la propriété intellectuelle. Mais l'énumération de l'article L. 112-1 du Code n'est pas limitative. Rien ne s'oppose, en théorie, à ce que les fragrances soient protégées par le droit d'auteur. En pratique, la situation est bien différente. 
Schématiquement, la Cour de cassation considère qu'un parfum n'est pas protégeable par le droit de la propriété littéraire et artistique, tandis que certains juges hardis persistent à conférer au parfum la protection du droit d'auteur. Cette question n'est pas sans incidence concrète, car la reproduction de senteurs parfumées est une activité très lucrative qui pénalise lourdement l'industrie de la parfumerie et notamment les grands parfumeurs français.
Dans une certaine ville du Sud de la France spécialisée dans le parfum, on pouvait trouver, il y a encore quelques années, des parfumeurs proposant des "tableaux de concordance", attribuant à tel jus l'odeur de tel parfum connu. Par ailleurs, sur les marchés, à la sortie du métro, il est tout à fait possible de se procurer des flacons de parfum imitant les standards des grands parfumeurs.
Pour un parfumeur, il est possible d'obtenir la condamnation de ces commerçants, soit sur le fondement de l'atteinte à la marque (si le nom du parfum imite une marque déposée, voire du fait de l'utilisation d'un tableau de concordance), de l'atteinte au dessin ou au modèle (si le flacon du parfum se rapproche un peu trop des formes d'un flacon déposé) ou de la concurrence déloyale et parasitaire.
Mais si le parfum vendu reproduit ou imite l'odeur d'un autre parfum, les possibilités d'action sont limitées, voire impossible. C'est ce que rappelle l'arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2013 (11-19.872, 1205), qui opposait la société Lancôme à un individu qui avait comparu devant le Tribunal correctionnel pour avoir vendu, en 2006, lors d'une braderie, des flacons de parfums revêtus d'une marque contrefaite.
En appel, la Cour avait refusé de condamner le prévenu sur la base du droit d'auteur et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, au motif que "le droit d'auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu'autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication".

Ce principe est classique et s'applique à toutes les œuvres de l'esprit

Mais, s'agissant des "œuvres olfactives", la Cour précise que "la fragrance d'un parfum, qui, hors son procédé d'élaboration, lequel n'est pas lui-même une œuvre de l'esprit, ne revêt pas une forme présentant cette caractéristique, ne peut dès lors bénéficier de la protection par le droit d'auteur."
Cette solution n'est pas nouvelle : dès 2006, la Cour de cassation a considéré que la fragrance d'un parfum procédait de la seule mise en œuvre d'un savoir-faire et ne constituait pas une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection par le droit d'auteur (Cass. civ., 13 juin 2006).

Depuis lors, les juges et les auteurs se chamaillent sur l'extension du droit d'auteur aux parfums

Il est exact que, si un parfum n'est pas visible, il n'en demeure pas moins perceptible par un sens, l'odorat, de la même manière qu'un tableau met en œuvre un autre sens, la vue. Le refus systématique de la Cour de cassation de protéger les parfums par le droit d'auteur reste une énigme pour beaucoup de commentateurs.
A rebours, plusieurs jugements et arrêts ont considéré que la fragrance d'un parfum est une création dont la forme est olfactive, qu'il s'agit d'une œuvre de l'esprit qui ne peut pas faire l'objet d'une discrimination. Par exemple, par un arrêt du 14 février 2007 dans une affaire "Le Mâle" de Jean-Paul Gaultier, la Cour d'appel de Paris a considéré qu'un jus était protégeable et a même créé une forme de présomption au bénéfice de l'auteur.

Il est désormais assez douteux que les juges du fond ne poursuivent leur résistance en la matière

Finalement, les parfumeurs ne pourront compter que sur l'action en concurrence déloyale, action qui leur est d'ailleurs ouverte expressément selon l'arrêt ici commenté, puisqu'il indique que "l'action en concurrence déloyale peut être fondée sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon de marque rejetée pour défaut d'atteinte à un droit privatif, dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif". La reprise d'une fragrance est donc bel et bien une faute au plan civil. L'odeur est sauve…