Harry Touret (SEB) "SEB ne cherche pas à "franciser" les entreprises étrangères qu'il rachète"

Recrutements, rémunération, culture d'entreprise... Les défis posés par l'internationalisation du groupe familial sont considérables pour son DRH.

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Harry Touret, DRH du groupe SEB. © Philippe Schuller

JDN. Vous venez de publier un code éthique à destination de vos salariés. Le Groupe SEB manque-t-il d'éthique ?

Harry Touret. Non, pas du tout ! Nous avons créé une direction du développement durable dès 2004 dans l'optique de rassembler sous une ombrelle fédératrice toutes les actions qui étaient conduites autour de ce que l'on appelait alors la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Le code éthique vise donc à mettre en forme ce qui existait déjà ?

Dans un groupe mondial, l'idée est de donner des standards communs. Nous nous sommes donc dits qu'il serait intéressant de formaliser les pratiques de l'entreprise sous la forme d'un document.

Justement, certains passages de ce document, comme celui consacré au travail des enfants, semblent plus destinés aux pays en développement qu'aux usines de Bourgogne...

Bien entendu. C'est important de mettre les pratiques à un bout de la terre en cohérence avec les valeurs de l'entreprise. Par exemple : les chartes d'achats. Cela reprend des éléments assez basiques : on n'accepte pas de cadeaux de la part des fournisseurs, on ne référence pas ceux qui ont recours au travail des enfants, qui font travailler des gens 75 heures par semaine...

"L'idée, c'est d'avoir un dénominateur commun, mais pas d'être les mêmes partout."

Lorsque vous rachetez une entreprise étrangère, comme Supor et ses 12 000 salariés, cherchez-vous à la "franciser" ?

Nous ne cherchons pas à la "franciser". Quand nous rachetons et intégrons une entreprise, l'objectif n'est pas de substituer à sa culture une espèce de "culture SEB". L'idée, c'est d'avoir un dénominateur commun appuyé sur les valeurs du groupe et ses pratiques de gestion des personnes partout où nous sommes, mais pas d'être les mêmes partout. Bien sûr, nous devons rester compétitifs sur le marché chinois. Mais en même temps, sur ce marché, nous devons être une entreprise exemplaire. Les sites industriels de Supor sont, par exemple, certifiés de la même manière que les usines européennes du groupe.

Cherchez-vous aussi à créer un sentiment d'appartenance au groupe SEB ?

Nous cherchons plutôt à partager des standards, des valeurs et des pratiques. C'est ce qui permet de construire les éléments communs. Le socle social du groupe, nous l'avons construit pierre par pierre au cours des 10 dernières années. Nous avons par exemple une politique d'intéressement et de participation que beaucoup nous envient. Il n'est pas très courant, en France, que l'on distribue à peu près autant d'intéressement et de participation aux salariés que de dividendes aux actionnaires. Or, c'est le cas de SEB. Pourtant, il y a 12 ans, les accords étaient bâtis par société : vous pouviez avoir 6 mois d'intéressement dans telle société du groupe parce que les produits fabriqués produisaient beaucoup de marge et très peu dans telle autre. Or, l'ouvrier n'est pas responsable des produits qu'on lui affecte à fabriquer. L'idée, c'était donc d'harmoniser ces règles pour avoir une politique équitable et un socle social commun.

"Il n'est pas très courant de distribuer autant d'intéressement et de participation aux salariés que de dividendes aux actionnaires"

Cette politique favorable en termes d'intéressement et de participation vise-t-elle à compenser la faiblesse des salaires ?

Notre politique de salaires est déjà attractive. En arrivant chez SEB, j'ai retrouvé des documents du début des années 1970 dans lesquels les dirigeants de l'époque –à peu près tous membres de la famille fondatrice- exprimaient leur vision de l'entreprise. L'un de ces papiers, absolument remarquable, dit que l'entreprise doit viser à assurer sa pérennité, à rémunérer ses actionnaires et à partager avec ses salariés les fruits de la croissance. En France, les textes sur l'intéressement datent de 1959 et l'accord de SEB de 1961. Et pour la participation, cela doit être 1967 et l'accord de SEB 1968. Tout ça pour dire qu'il y avait dans la volonté originelle des fondateurs cette idée de partage, de redistribution. Mais il faut s'entendre : on redistribue quand il y a à redistribuer.

Quelle somme représentent la participation et l'intéressement versés en 2013 aux salariés français ?

En 2012 près de 3 mois de salaire pour un ouvrier. C'est un peu moins que l'année précédente, où on avait atteint à peu près 4 mois.

Quels sont vos objectifs de recrutement en France pour l'année ?

Environ 150 managers sur un total de 300 à 400 personnes. C'est à la fois l'effet du renouvellement générationnel et celui du développement de l'entreprise.

Quels profils recherchez-vous en priorité ?

Des ingénieurs de R&D, des marketeurs, des commerciaux et la palette des fonctions achats, supply chain, système d'information... avec un prisme tout particulier sur les métiers du digital.

Vous recrutez des jeunes diplômés comme des cadres expérimentés ?

Les deux, mais avec des bonheurs différents. Il n'a jamais été très difficile de recruter des cadres expérimentés, du fait de notre politique de salaire relativement attractive. De plus, les cadres expérimentés comprennent que Seb est une entreprise internationale, qu'elle se développe, qu'il y a des perspectives de carrière. C'était beaucoup moins évident pour les jeunes parce que nous n'étions pas assez visibles. Peu de gens assimilaient le groupe SEB à ses marques, ses sociétés, sa taille, son implantation internationale.

"Certains groupes sont naturellement attractifs, SEB part d'un peu plus loin"

Les jeunes diplômés ne rêvent-ils pas plus de construire des avions ou de vendre du parfum que de fabriquer des grille-pain ?

Certaines entreprises sont naturellement attractives du fait de leur secteur d'activité et d'une notoriété établie depuis longtemps. Pour les marketeurs, on pense à la grande conso, à L'Oréal. Pour les ingénieurs, à EADS ou à Sanofi. Oui, nous partons d'un peu plus loin, parce que le secteur pouvait paraitre moins sexy et que nous étions moins visibles. Nous ne pouvons pas rendre d'un coup de baguette magique notre secteur plus désirable qu'il n'est, même si c'est quand même un joli métier de grande conso avec de beaux produits, des biens de consommation durables... Il y a donc la nécessité d'expliquer à la fois ce métier mais aussi les carrières que l'on peut offrir. Les jeunes rêvent surtout à des entreprises apprenantes, où ils peuvent continuer à bâtir leur CV, dans lesquelles on puisse leur offrir une carrière, encore aujourd'hui, avec de la mobilité, si possible internationale... Autant de choses que nous pouvons leur offrir, sauf qu'ils ne le savent pas forcément.

Comment, aujourd'hui, le faites-vous savoir ?

Depuis 4/5 ans, nous avons mis en place un dispositif de relation avec les écoles qui est beaucoup plus dense qu'auparavant. Nous avons créé une fonction de campus management, commencé à bâtir des partenariats beaucoup plus serrés avec les écoles d'ingénieurs comme les business schools de la région (Grenoble Ecole de Management, EM Lyon, Ecole Centrale de Lyon...). Nous sommes aussi membre des chaires "grande consommation" de l'Essec et "Innovation" de l'Ecole Polytechnique.

Le "Made in France" devient un argument vis-à-vis des consommateurs. Arnaud Montebourg a posé avec un robot Moulinex sur une célèbre photo. Est-ce aussi un argument vis-à-vis des salariés ?

Oui. C'est un argument qui n'est pas forcément partagé par tous mais que de nombreux jeunes mettent en avant en disant "travailler dans une entreprise française qui produit en France, cela m'intéresse".