Retraites chapeau : un mécanisme contesté mais pourtant légitime

Le ministre de l’Économie Emmanuel Macron a tenu à confirmer sa volonté d’en finir avec les retraites chapeau. Ce système de retraite surcomplémentaire est actuellement au cœur de multiples polémiques après les annonces des montants versés aux ex-PDG de France Telecom, Didier Lombard, et au PDG de GDF Gérard Mestrallet.

En affirmant sa position, Emmanuel Macron remet en cause un système pourtant encadré et fermement réglementé avec l’objectif d’apaiser les syndicats.

Quant à l’intérêt du gouvernement, il pourrait s’avérer tout autre

1 million de personnes concernées
L’avenir des retraites chapeau est compromis, qu’on se le dise. Trop de polémiques et de syndicats mécontents auront eu raison des nerfs d’Emmanuel Macron. Le ministre de l’Économie souhaite tout bonnement faire disparaître ces retraites « à prestations définies », censées permettre à ceux qui en bénéficient de conserver un niveau vie sensiblement identique à celui dont ils bénéficiaient pendant leurs années en activité.
« J'ai demandé, avec Michel Sapin, qu'une mission de l'Inspection générale des finances soit faite pour que (...) nous puissions trouver une vraie solution pour supprimer les retraites chapeau et les remplacer par un régime de droit commun plus lisible pour tous les Français», a déclaré Emmanuel Macron devant un parterre de députés.
Une posture radicale prise en réponse aux flots de réactions négatives qui ont suivi la révélation des retraites chapeau attribuées à Didier Lombard, ancien PDG de France Telecom ou à Gérard Mestrallet, actuellement à la tête de GDF Suez. Pour le premier, la CFE-CGC a déposé une plainte le 17 novembre 2014 visant ses 346 000 euros annuels de retraite chapeau, quant au second, la CGT de GDF Suez a sommé le groupe de rendre des comptes au sujet des 831 641 euros promis à Gérard Mestrallet une fois que ce dernier aura  terminé son mandat en 2016.
Des sommes dont il est facile de s’insurger en temps de crise. Les syndicats n’ont ainsi pas de mal à rallier l’opinion publique à leurs côtés pour pester contre ce qui passe, à tort, pour un privilège moderne ou un parachute doré. Il n’est en rien.

Un mécanisme de retraite légitime et réglementé : le cas Gérard Mestrallet

La retraite chapeau répond à un mécanisme clair et encadré, notamment par le Code de gouvernement d'entreprise des sociétés cotées ou code Afep-Medef qui pose des règles strictes. Révisé en 2013, ce manuel des conduites à suivre encadre tout un tas de situations, de la rémunération, aux indemnités de prise de fonction, à celles de départ ou encore ce qui nous intéressent ici, les retraites chapeau.

Les montants versés dans ce cas ne sont pas calculés de façon farfelue mais sont balisés par un processus réglementaire identique pour tout le monde. C’est ainsi que le montant d’une retraite chapeau ne peut dépasser 45 % du montant de référence. Celle prévue pour Gérard Mestrallet plafonne à 28 % de sa rémunération actuelle. L’importance du poste occupé ou les critères de performance servent également de référent pour sortir ensuite une ligne en cohérence avec le parcours du futur retraité. Rien n’est défini au hasard et l’ensemble du processus doit répondre donc à ce fameux code Afep-Medef sous peine de sanctions de la part du Haut comité de gouvernement d'entreprise, en charge de veiller à la bonne application du code depuis 2013.
De plus, en ce qui concerne le PDG de GD Suez, sa retraite chapeau a été validée à plus de 95 % par les Assemblées générales d'actionnaires et le Conseil d'administration du groupe gazier. L’argent perçu par Mestrallet ne répond en rien à des combines malhonnêtes de dirigeants sans prise avec la réalité mais découle d’un parcours professionnel et de résultats à la tête d’un groupe qui présente un bilan économique excellent (9000 recrutements par an, 8 milliards d’euros d’investissement).
Aujourd’hui, la retraite chapeau de Gérard Mestrallet ou celle de Didier Lombard font du bruit, on en va jusqu’à appeler à la morale. Il s’agit juste d’un discours dénué de tout contexte qui a perdu de vue les tenants et les aboutissants pour au final ne retenir qu’une somme d’argent, certes élevée.
En 2012, la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), relevait que 11 000 entreprises avaient instauré ce dispositif et que plus d’1 million de personnes en bénéficiaient, pour des montants en moyenne inférieurs à 2000 euros par an. Rien à voir donc avec le cas des grands patrons mais cette amplitude induit une difficulté : la volonté d’Emmanuel Macron de supprimer les retraites chapeau doit-elle également concerner les plus modestes ? Ou va-ton assister à un cas par cas qui risque rapidement d’évoluer en usine à gaz tant les modalités sont nombreuses et complexes ? En attendant, l’objectif n’est peut-être pas là où on le croit.

Lutte contre les retraites chapeau, le double alibi

Pour l’heure, Emmanuel Macron a confié le dossier à l’Inspection générale des finances pour étude. Pour certains, ce passage de relai pourrait passer pour une manœuvre assez habile de renvoyer le sujet aux calendes grecques. Pour Emmanuel Macron, s’en prendre aux retraites chapeau en s’indignant des montants versés à ces grands patrons a en effet tout de l’opération de communication rêvée pour rassurer une gauche suspicieuse depuis l’arrivée de cet ancien banquier au gouvernement.
Emmanuel Macron cherche ses marques auprès de sa nouvelle classe politique et des Français.
Quoi de mieux que de s’attaquer au riche patronat pour asseoir sa popularité? Et peu importe au final si la loi est votée, l’essentiel est qu’on en parle aujourd’hui et qu’on retienne l’intention du ministre.
Cette chasse aux sorcières sert également un gouvernement critiqué régulièrement pour avoir des accointances avec les entreprises. On se souvient encore du « My governement is pro-business ! » de Manuel Valls prononcé  devant la communauté financière britannique à la City ou de son « J’aime l’entreprise » déclaré avec aplomb et enthousiasme lors de l’université d’été du Medef.
Des positions qui tranchent avec la tradition socialiste et qui ont beaucoup surpris et valu au Premier ministre la grogne des militants.
Dans un Hollandisme favorable aux chefs d’entreprise, le désamour d’Emmanuel Macron pour les retraites chapeau fait alors figure de caution morale, d’arbre qui cache une forêt de mesures votées chaque jour dans le sens du patronat. Le Premier ministre peut continuer à crier son amour pour les chefs d’entreprise, à celui qui s’aventurerait à le reprendre, il n’aurait plus qu’à sortir l’argument Marcon-retraites chapeau pour garder la face. Un jeu de balancier périlleux et un peu grossier mais qui a le mérite d’atteindre aujourd’hui officieusement son but.