La pluridisciplinarité en santé au travail a-t-elle déjà eu raison de la médecine du travail ?

La santé au travail est devenue le résultat d’une nébuleuse pluridisciplinarité, suite à un long processus de transformations depuis l’après guerre de la médecine du travail. Des lors la dissociation entre médecine et santé devient de plus en plus nette au sein des entreprises en attendant peut être aussi le même phénomène dans la société.

La promotion de la « santé au travail » est apparue dans les années 70 en même temps que la création des CACT (commission des améliorations des conditions de travail)  obligatoires pour les entreprises de plus de 300  salariés. Il existait à l’époque les CHS (comités d’hygiène et de sécurité) créés en 1947 pour les établissements de plus de 50 salariés mais dans les années 70 on cherchait surtout à modifier les habitudes ou les comportements individuels. Dans la même période l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) qui a pour vocation « de concevoir, de promouvoir, d’animer et de transférer, auprès des entreprises, des salariés et de leurs représentants, des politiques, des outils et des méthodes permettant d’améliorer les conditions de travail », fut créée en 1973.

Cependant il fallut la création des premiers CHST en 1982 pour que le concept de « santé au travail » prenne une place dans le monde de l’entreprise. C’est aussi à cette époque que l’on vit se développer les interventions sur le « bien être au travail » plus complets mais toujours axés sur l’individu. Les programmes de « bien être » au travail  constituaient l’essentiel des activités de la promotion de la santé au travail (PST). Si la plupart de ces programmes restaient encore centrés sur l’individu, ils prenaient déjà en compte dans leurs interventions la gestion du stress, la diététique, les troubles musculo-squelettiques (TMS) et l’importance des exercices physiques sans oublier  une information sur la santé en général.  

C’est dans ce contexte que se fit sentir dans les années 90 le besoin de l’interdisciplinarité ou de la pluridisciplinarité et de promouvoir entre employés et employeurs un lieu de travail favorable à la santé. Cela devint même une nécessité depuis la Directive du Conseil des Communautés Européennes du 12 juin 1989 qui avait promu l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs dans le but d'obtenir  une harmonisation entre les états membres.

 

On dut  faire donc appel à un plus grand nombre de disciplines du fait de l’augmentation des connaissances et de leur complexité  concernant la santé des employés. Cette interdisciplinarité associait les aspects environnementaux, sociaux, ergonomiques et organisationnels de l’activité professionnelle, avec les problèmes individuels de santé, familiaux et communautaires. Le travailleur fut considéré dans sa globalité et non plus sous un angle purement médical et la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 transforma les services de « médecine du travail » en service de « santé au travail » en incluant l’approche interdisciplinaire comme obligation générale : « les services de « santé au travail » se doivent d’être en capacité de mobiliser toutes les compétences médicales, techniques et organisationnelles, utiles et nécessaires à la prévention et à l'amélioration des conditions de travail ». Enfin le décret du 28 juillet  2004 réduisit encore plus le champ de la médecine du travail. Ainsi il  permit le remplacement des termes « médecine du travail » par « santé au travail », il imposa l’interdisciplinarité (qui devint d’ailleurs la pluridisciplinarité) tant sur le plan du service que sur la base du « plan santé  au travail » (PST) gouvernemental, il abandonna la référence du temps médical pour un quota maximum d’entreprises et de salariés alloués à un médecin du travail, il diminua le temps des missions des médecins du travail et substitua la visite annuelle systématique des salariés  à une visite tous les deux ans.

Le 26 décembre 2008 un arrêté permit la création des COCT (conseil d’orientation  sur les conditions de travail) qui succédaient au Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels). Le COCT est une instance nationale de concertation entre partenaires sociaux et pouvoirs publics, qui rassemble les organisations professionnelles d’employeurs (MEDEF, CGPME, UPA, FNSEA, UNAPL), organisations syndicales de salariés (CFE-CGC, CFDT, CFTC, CGT, CGT-FO), et pouvoirs publics (DGT, SAFSL du SG ministère agriculture, et branche AT-MP de la CNAMTS.  Ses prérogatives sont immenses tant sur l’élaboration des projets de lois et règlements, plans santé au travail (PST), propositions dans la prévention des risques, équipements et lieux de travail, pathologies professionnelles etc……mais aussi application de la pluridisciplinarité  dans la « santé au travail ».  

Cette pluridisciplinarité, devenue depuis 2002 le fil rouge de la nouvelle politique de « santé au travail », fut encore renforcée dans son rôle de prévention par la loi réformant la médecine de travail du 20 juillet 2011. Celle-ci ne faisait que  transposer la directive européenne du 12 juin 1989 relative à « la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail ».

Pour les tenants de la pluridisciplinarité, son  « accouchement »  long et difficile fut à mettre sur la difficulté pour ne pas dire les résistances rencontrées dans le passage de la « médecine du travail » à la « santé au travail ».  Mieux que cela, la pluridisciplinarité étant devenue une évidence en matière de « santé au travail », les mêmes n’hésitent plus à comparer la « médecine du travail » comme une activité d’un autre âge, celui de l’après guerre allant  presque à dissocier « médecine au travail » et « santé au travail », et peut-être, pourquoi pas en allant à l’extrême de dissocier tout simplement médecine et santé ?

La médecine ne serait donc  plus le garant unique de la santé mais seulement la composante d’une nébuleuse pluridisciplinarité ou « multidisciplinarité ». La gestion des risques professionnels, leur multiplicité et leur complexité et la difficulté pour les médecins de combiner activité clinique et activité technique, ont rendu la « multidisciplinarité » prioritaire et la « médecine du travail » secondaire.

La "santé au travail" serait donc devenue avant tout un problème d’organisation et de conception du travail en amont et le résultat d’une démarche interdisciplinaire associant employés, employeurs, experts et éventuellement médecins du travail.

L’Anact le dit bien ; elle  définit la santé au travail comme «  une dynamique de construction du bien-être physique, psychique et social » qui  « ne consiste pas seulement en une  absence de maladie ou d’infirmité » mais qui « se joue lors de la conception du travail et de son organisation ». Elle précise enfin que « la mise en place d’environnements favorables dans l’entreprise contribue positivement à cette dynamique utile à sa performance. »

 

L’organisation du travail prévaut désormais sur le médical dans la « santé au travail » pour le plus grand bien de la santé de………. l’entreprise. Quant à celle des salariés et des collaborateurs c’est 2 points du PIB que représente leur stress au travail selon l’économiste Jacques Sapir.