Le Plan Santé au Travail ou comment le social s’accapare la santé.

La Santé Au Travail s’occupe-t-elle encore de Santé ? Les médecins auront-ils encore leur mot à dire dans la médecine de demain ? Le collectif doit-il primer sur l’individuel ? Quel est la place de l’Homme dans le montage intellectuel et administratif ? Le débat peut-il encore se faire ?

En janvier dernier et après validation par le Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT),  le nouveau Plan Santé au Travail (PST) pour la période 2015-2019 a été lancé par monsieur François Rebsamen, Ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. C’est devenu un rituel gouvernemental depuis 2004. En effet, tous les cinq ans, les pouvoirs publics déterminent comment s’organisera  la santé au travail dans le pays. Nous en sommes donc au troisième plan.

Dansune précédente chronique nous posions déjà la question de savoir si  la  Pluridisciplinarité en Santé au travail n’avait déjà pas eu raison de laMédecine du travail ? Si nous avions encore un doute, celui-ci disparait complètement aujourd’hui à la lecture des orientations retenues par le COCT du PST3. Fidèle aux deux premiers PST ou tout au moins dans leur même ligne "politico philosophique" le Plan Santé au Travail 2015 parachève une certaine "externalisation" de la médecine du travail, du travail et, pour aller jusqu’au bout du raisonnement, ajuste sa copie sur celle que connaît déjà et connaitra de plus en plus la médecine dans la société, à savoir : la santé n’est plus l’affaire de la médecine, ni peut-être bientôt des médecins, en attendant, et pourquoi pas, qu’elle ne soit plus non plus celle des malades.

Le communiqué du 12 juin 2015 des partenaires sociaux du COCT confirme bien cette impression : "La pluridisciplinarité est un acquis essentiel de la réforme de 2011, qui implique de dépasser l’alternative entre médecin du travail et infirmier du travail, et qu’il convient de conforter par l’action concertée des équipes pluridisciplinaires".

Depuis 2011 la pluridisciplinarité est donc devenue la nouvelle encyclique de la santé au travail et en 2015 la prévention primaire s’impose en force à travers les orientations retenues par le groupe permanent d’orientation du COCT. Dans la version finale de son rapport du 9 décembre 2014, le groupe permanent d’orientation du COCT plante le décor en définissant ce troisième PST comme "fédérateur, instrument d’une volonté politique et d’une ambition partagée entre l’Etat, la sécurité sociale et les partenaires sociaux".

Les choses sont donc claires et il n’y a rien de médical ni même d’anthropologique dans tout cela ; ce qui est toujours inquiétant quand on veut traiter de la santé. Quant à la version finale du COCT de décembre 2014, le mot "médecin" ne doit pas être écrit plus de 4 fois, ce qui est peu pour un rapport touchant, là aussi la santé !

Mais c’est dans le chapitre sur la prévention de la  désinsertion professionnelle (PDP) que les médecins sont les plus "sollicités".  Ainsi, pour prévenir cette désinsertion, les auteurs du rapport proposent "une approche transversale, socio-économiquement, financièrement et inter-institutionnellement", dans laquelle  "l’importance de la coordination entre les médecins : du travail, traitant, conseil…." est bien notée. Plus loin dans les "expérimentations énoncées dans le plan cancer", comme il est difficile d’oublier les médecins dans de telles pathologies  ceux-ci sont bien sûr cités mais ils apparaissent comme noyés dans une chaîne complexe de modalités opérationnelles faisant converger "les acteurs de prévention sur la santé et les conditions du travail, ceux de l’emploi et de la formation professionnelle ainsi que ceux de l’offre de soins par mobilisation de l’ARS…".

Le PST3 propose  donc avant tout de la prévention  "la stratégie nationale de santé affirme que la prévention est un socle fondamental de la politique de santé". On peut en effet l’admettre surtout dans certains métiers très exposés aux accidents ou aux produits toxiques ou encore aux produits nano technologiques. On aborde ainsi ce problème par "cette transversalité intrinsèque des produits agissant sur la santé" et on y introduit même le concept "d’exposome" permettant par là d’associer au PST3 le PNSE (plan national santé environnement).

Il n’est évidemment pas question de nier l’action délétère sur la santé des environnements toxiques ni même de la pollution, mais ramener uniquement la santé de l’Homme à son environnement serait oublier les capacités d’adaptation, de réaction et de défense du corps humain par rapport aux agressions physiques et biologiques mais aussi et surtout sous estimer l’action du stress sur ces dites capacités. Bref, faire de l’axe "prévention-environnent" l’articulation centrale des Plans  Santé au Travail relève d’une interprétation purement dogmatique de la santé.

Mais bien sûr la prévention c’est aussi celle des accidents et celle des risques au travail  ou plutôt des situations à risques. Pour cela le COCT prône « des actions en amont possible, en conjuguant l’éclairage des spécialistes et l’action des préventeurs avec l’association de tous les autres acteurs par secteur d’activité et par type d’entreprises dans la réflexion sur les façons de modifier les situations professionnelles à risques, les geste répétitifs ou douloureux. Cet approfondissement de la prévention en situation réelle s’entend en interaction avec l’acculturation de l’évaluation des risques ainsi qu’avec la facilitation d’expression, par la QTV, de l’intelligence collective au sein de l’entreprise ». Ou est l’Homme, l’individu dans tout cela ?

Pour ce qui est justement, de la Qualité de Vie au Travail (QVT), notion qui a été définie en 2013 dans le cadre de l’Accord National Interprofessionnel (ANI), et qui doit "concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises" on ne peut que reconnaître à la fois la noblesse de la démarche et celle du défi à relever. Cependant, à notre époque, crise économique et mondialisation obligent, on se demande si les concepteurs de cette belle idée de la qualité de vie au travail, lisent de temps en temps les journaux et écoutent parfois la radio. Comment résoudre une telle quadrature du cercle, comment concilier les inconciliables, réunir les contraires, unifier les différences,  complémenter les impossibles ? Pour s’en sortir les rapporteurs évoquent bien sur les réseaux habituels comme ceux de l’ANACT sans oublier le dialogue social.

Dans les cabinets médicaux les médecins, eux, continuent de voir tous les jours, encore plus de malades arriver, victimes pour la plus part d’une mauvaise QVT.

Pour y remédier les objectif stratégiques du COCT prônent d’utiliser évidemment le dialogue social avec les instances représentatives du personnel (IRP) sans oublier les représentants syndicaux, les membres du CHSCT, les responsables RH, les dirigeants ou employeurs etc… sans oublier de valoriser les bonnes pratiques en tirant profit des enseignements et des différentes démarches expérimentales concernant les conditions de travail, les méthodes managériales, l’expression des salariés.

Tout semble intéressant et même intelligent sur le papier mais dans la pratique, mis à part certains cas très précis, ce magnifique montage bureaucratique ne fonctionne pas.

Enfin le but de tout cela serait de "Rassembler et mettre en perspective les données de santé au travail", c'est-à-dire « mieux connaître et exploiter les données"  et il y en a beaucoup, "évaluer les résultats", "consolider les échanges entre les acteurs de la recherche en santé au travail (l’ANAES, l’ANR, la DARES, l’INRS) et le COCT afin qu’il devienne une force de proposition sur les thèmes de recherche".  Enfin, devant tous cela il ne faut surtout pas oublier de " simplifier pour une plus grande efficience des règles de prévention" ni "d’améliorer la complémentarité opérationnelle des acteurs de santé au travail". Mais là aussi on se heurte à une complexité inouïe dans l’exposé théorique de ce qui serait le mode d’emploi de cette « simplification » et on perd son latin dans la compréhension des enjeux stratégiques du rapport.

Cependant ne jetons la pierre sur personne et les membres du groupe permanent du COCT sont certainement des gens compétents dans leur domaine. Leur travail, très technique et probablement performant dans l’analyse qu’il fait des données, cherche la synthèse pour apporter des solutions, prévenir les problèmes et surtout permettre de  réorganiser la santé au travail. Ce n’est donc pas la qualité des hommes et des femmes et encore moins  du travail accompli que nous nous proposons de remettre en cause mais seulement le choix du logiciel.

Pour nous la santé au travail, comme ailleurs  du reste,  est une affaire personnelle et individuelle, mais surtout pas collective.

Le débat peut il s’ouvrir ?