Les grands groupes à l'assaut des freelances

Les grands groupes à l'assaut des freelances Pour mener à bien certaines missions, le recours aux indépendants devient une habitude. Mais cela suppose de recruter et de manager différemment.

10% de la population active française travaille en freelance en 2017, selon Eurostat. Beaucoup d'entre eux possèdent des compétences intéressant les plus grandes sociétés. C'est notamment le cas d'Etam : "Nous ne sommes pas un cas isolé, loin de là. Depuis deux ans, le nombre d'entreprises qui recrutent des freelances dans le numérique est en pleine croissance", observe Jonathan Attali, directeur digital de la marque de prêt-à-porter et de lingerie. Pour lui, l'appel aux services de travailleurs indépendants est une nécessité : "Dans le digital, il faut en permanence innover, garder de l'avance, lancer de nouveaux projets. Cela suppose de maîtriser ponctuellement des techniques et des outils que nous n'avons pas forcément en interne. D'où l'intérêt des freelances qui sont immédiatement opérationnels". Sur la trentaine de collaborateurs travaillant dans son service, Jonathan Attali a collaboré ces derniers mois avec quatre freelances qui sont sur des missions de quatre mois en moyenne.

Veolia fait également partie des grands groupes dont les open space sont peuplés de freelances : "C'est en 2016 que nous avons commencé à en recruter dans mon département qui compte une soixantaine de personnes. Depuis deux ans, une dizaine a collaboré avec nos équipes sur des enjeux comme la conduite du changement ou encore la notion de digital workplace", constate le CTO du groupe Hervé Dumas.

Le besoin de freelances est là, mais les services RH des grands groupes ne sont pas adaptés

Le besoin est là. Reste à attirer les profils recherchés vers les entreprises. Et pour cela, mieux vaut ne pas passer par le canal RH traditionnel. Si les services recrutement des grands groupes possèdent une véritable expertise en matière de CDI, de CDD ou de stagiaires, ils éprouvent plus de difficultés à se positionner face à des travailleurs indépendants. En cause, certains process RH très stricts qui peuvent ralentir les choses. 

Adecco a bien compris cette tendance et a lancé fin 2017 Yoss, une plateforme dédiée au recrutement des freelances. "Nous répondons à un véritable besoin à la fois ressenti par les freelances et les entreprises. Ces dernières veulent recruter rapidement. Ce que ne permettent pas forcément les sites corporate. En outre, les freelances souhaitent être payés immédiatement après la mission. Ce que nous permettons puisque nous réglons la facture dans les 72 heures contre deux mois en moyenne pour les grands groupes qui passent par le service comptabilité. Nous pratiquons l'avance sur frais, ce que permet notre appartenance à Adecco qui avance la trésorerie nécessaire", se réjouit Maud Fréjaville, brand manager chez Yoss qui revendique pour le moment 37 clients dont des entreprises de taille mondiale comme Deloitte ou encore L'Oréal. "Nos clients sont particulièrement demandeurs de profils tech, mais pas seulement. Les photographes par exemple ont la cote. Ils peuvent être auto-entrepreneurs, en SAS ou encore en portage salarial". Côté prix, Yoss prélève une commission de 12% du salaire chargé à la fin de la mission.

"Les freelances sont plus engagés et moins chers que les cabinets de conseil"

Mais Yoss n'est pas le seul prestataire sur ce marché concurrentiel. Après s'être lancé dans l'emploi étudiant, le jobboard Crème de la Crème a pivoté début 2018 avec un objectif : fournir aux grandes entreprises le meilleur des freelances. Ainsi, Jonathan Attali a recours aux services de la start-up qui collabore régulièrement avec Decathlon, Accor ou encore Celio: " Ils disposent d'une grosse base de données qui nous permet de trouver un freelance en moins de 24 heures. Alors que ce sont des postes qui sont très longs à trouver en CDI", se réjouit Jonathan Attali, qui privilégie la plateforme aux ESN plus traditionnelles : "Par rapport à des cabinets de conseil, je remarque que les freelances sont plus passionnés, plus engagés et surtout beaucoup moins chers". Crème de la Crème prélève entre 10 et 15% du salaire brut à l'issue de la mission et pratique des tarifs dégressifs en fonction du volume de recrutement.

De son côté, Veolia est un client fidèle de la plateforme Comet qui, à la différence de Crème de la Crème, s'est tout de suite positionnée comme interlocuteur de grands groupes : "Avec cette plateforme, je trouve le freelance de mon choix dans la journée et celui-ci est immédiatement opérationnel. La plateforme s'occupe du dispositif contractuel, c'est un gain de temps appréciable dans les appels d'offres", explique Hervé Dumas, qui ne souhaite pas communiquer sur la somme dépensée à attirer les profils tech.

"Les freelances contaminent positivement les équipes en apportant des idées nouvelles"

Une fois dans l'entreprise, il est nécessaire de mettre en place une stratégie de management pour ces profils très qualifiés mais de passage. "D'après nos retours d'expérience, les membres de notre plateforme sont freelances de leur plein gré. Ils ont pour la plupart abandonné le salariat pour ne pas retomber dans un système hiérarchique et pyramidal. Ce qui peut expliquer pourquoi ils peuvent être réticents à travailler pour un grand groupe", observe Maud Fréjaville.

Au quotidien, les managers doivent donc trouver le juste équilibre entre discipline de groupe et autonomie. Il est nécessaire de les considérer comme des experts dont la passion est recherchée par les autres salariés : "Avec ce postulat, tout le monde est gagnant, les freelances se sentent valorisés et ont le sentiment d'être plus qu'un simple prestataire de service. Mais attention, en termes d'encadrement et d'exigence, je considère qu'ils font partie intégrante de l'équipe", explique Jonathan Attali, qui se réjouit lorsqu'il observe que les freelances "contaminent positivement les équipes en place en apportant une vision et des pratiques nouvelles." Un avis partagé par Hervé Dumas qui note que les freelances permettent "d'apporter un nouvel éclairage, des idées nouvelles, un raisonnement en mode start-up qui challenge mes collaborateurs".

"Il n'a jamais été question de recruter un freelance à la place d'un CDI"

Point important, pour les entreprises interrogées, le recrutement d'un freelance n'est pas une "botte secrète" qui permet d'éviter de recruter des CDI. "Que les choses soient bien claires, il ne m'a jamais traversé l'esprit de recruter un freelance à la place d'un cadre en CDI. D'ailleurs, depuis 2016, nous avons embauché plus de CDI que de travailleurs indépendants dans mon service", affirme Hervé Dumas. Le son de cloche est le même du côté d'Etam : "Lorsque nous faisons appel au service d'un freelance, nous sommes dans une logique de développement et de test and learn. Si le projet devient pérenne, cela peut entraîner le recrutement d'un profil tech en CDI", affirme Jonathan Attali.

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