Recruter en période de crise : mode d'emploi

Recruter en période de crise : mode d'emploi Entretien à distance, test de compétence en ligne, visite virtuelle des locaux... Avec la crise, les process de recrutement sont eux aussi bouleversés. Des critères de sélection à l'onboarding, voilà comment s'adapter pour rester efficace.

Serrer la main des candidats que l'on accueille, leur faire visiter les locaux... Tout ça, c'est du passé. Pour autant, il est possible de mener à bien des recrutements fructueux, à condition de savoir adapter les nouvelles pratiques imposées par les restrictions sanitaires à l'ensemble du processus.

Le sourcing

Pour repérer les candidats pertinents, l'entreprise doit déjà identifier les compétences nécessaires et les moyens de les évaluer, idéalement avec un référentiel précis. La crise apporte des changements dès cette étape : dans de nombreux secteurs, "les entreprises se rendent compte qu'il faut chez les salariés une agilité intellectuelle beaucoup plus importante, une capacité à s'adapter, à rebondir rapidement et à travailler à distance", estime Caroline Renoux, fondatrice de Birdéo, agence de recrutement des "métiers à impact". Et de citer les qualités nécessaires : autonomie, indépendance, capacité à créer du lien sans lien, à aller chercher de l'aide, flexibilité digitale... "Mais aussi conduite du changement, à mi-chemin entre la compétence technique et le savoir-être." Pour ce qui est des managers d'équipe, "ceux qui ont le plus à se remettre en cause", estime-t-elle, il faut particulièrement insister sur la gestion d'équipe à distance, l'absence de contrôle de la présence et la compréhension du rythme de travail optimal de chacun en les recrutant.

"Aller vers des profils ayant une grande capacité à s'adapter et à travailler à distance"

Le tout dans un contexte où les budgets de recrutement et les effectifs de ressources humaines sont plus faibles, tandis que les candidatures, elles, sont en hausse, relève Karim Chérif, DRH du cabinet de conseil Magellan Consulting : "Les recruteurs auront donc d'autant moins le droit à l'erreur".  Pour lui, l'intelligence artificielle est appelée à se généraliser pour faire gagner du temps : première sélection des CV et repérage des profils pertinents n'ayant pas postulé par des algorithmes sur la base des compétences techniques plus que sur les soft skills.

Les tests de compétence

Les mises en situation peuvent tout à fait se faire à distance, selon Lionel Deshors, cofondateur de CCLD, agence de recrutement spécialisée dans la distribution et la vente, mais doivent être extrêmement préparées : enchaînement de plusieurs pour qu'elles soient fiables, grille d'évaluation claire et détaillée, conditions semblables au travail réel, temps de préparation du candidat, plusieurs évaluateurs. A distance,  il faut aussi garantir la confidentialité des documents, et par exemple faire en sorte que les candidats n'y accèdent qu'à travers une plateforme spécifique sur un temps limité.

Les tests de compétence peuvent s'effectuer à distance, à condition de les avoir bien préparés

Les soft skills restent toutefois plus délicates à évaluer. "Il n'y a pas encore de nomenclature universelle, indique Julien Roubaud, chef de projet au sein du cabinet de conseil Great Place To Work. Mais la situation actuelle va peut-être accélérer la création d'indicateurs." L'IA peut, suite à des tests, aider à repérer certaines soft skills et la compatibilité avec le poste.

L'entretien

L'écrasante majorité des candidats (87%) et de nombreux recruteurs sont convaincus par le recrutement à distance, d'après une étude de CCLD, cabinet de recrutement spécialisé dans la vente et la distribution. "La plupart des candidats sont maintenant rompus à l'exercice, commente Lionel Deshors. C'est un peu plus surprenant du côté des recruteurs, mais il y a eu une appropriation massive et contrainte ces dernières semaines."

"Privilégier les outils simples, qui ne nécessitent pas de téléchargement de la part des candidats et fonctionnent sur tous les appareils"

S'il explique que les recruteurs clients de l'agence préfèrent souvent les entretiens physiques, il n'observe, en revanche, "pas d'écart de qualité entre un entretien physique et à distance, tant que le process est respecté". "Cela fait dix ans que nous observons le même taux de transformation sur le nombre de candidats retenus, recrutés, et sur les ruptures de période d'essai." Pour lui, le recrutement peut s'effectuer entièrement à distance. CCLD lancera d'ailleurs mi-juin 2020 Assess4U, une plateforme pour aider les recruteurs à mener les entretiens. Il confesse tout de même que la gestion de la visioconférence, le suivi de la trame d'entretien, la consultation du CV, la prise de notes, etc. peuvent s'avérer compliqué et obliger à couper l'écran. Et qu'un entretien à distance implique davantage de concentration et un plus grand respect de la méthodologie. Il conseille aussi de recourir à des outils simples, qui ne nécessitent pas de téléchargement de la part des candidats et fonctionnent sur tous les appareils, systèmes d'exploitation, navigateurs…

Pour Julien Roubaud, tous les recrutements ne peuvent pas s'effectuer à distance. En revanche, réaliser les premiers entretiens à distance permet selon lui "d'avoir des profils encore plus différents, sur le plan géographique mais pas seulement, de contourner la guerre des talents et peut-être de désengorger certains bassins de candidats".

"Surprendre les candidats avec des changements de sujets brusques pour tester leur capacité d'adaptation"

Reste la question de l'adéquation du candidat aux valeurs de l'entreprise. Pour Nicolas Gay, cofondateur de Welmo, agence immobilière au forfait, les entretiens à distance permettent aussi bien de l'évaluer que les entretiens physiques. "Jusqu'à présent, nous ne nous sommes jamais trompés", assure celui qui a lancé un plan de recrutement de 200 commerciaux suite à une hausse d'activité pendant le confinement.

Pour voir si les candidats ont les capacités d'adaptation requises, Caroline Renoux de Birdeo suggère de les surprendre avec des questions inattendues ou de brusques changements de sujets. Julien Roubaud remarque de son côté que "donner du feedback à chaque étape, être transparent sur les attentes, le poste, l'entreprise, les valeurs, poser une relation de confiance fait que le candidat est plus susceptible de se confier, d'être lui-même".

Zendesk, éditeur de CRM, organisait déjà une partie du recrutement à distance, mais la crise a imposé un modèle purement virtuel. La responsable RH en Europe et au Moyen-Orient, Sarah Manning, insiste sur la nécessité d'une communication massive auprès des responsables de recrutement et des candidats sur le nouveau processus. Pour s'adapter, les managers ont bénéficié d'un entrainement accru par vidéo, et de documents et conseils pour les guider lors d'entretiens virtuels.

La visite des locaux

Certaines entreprises choisissent de carrément faire l'impasse sur cette étape. "On se rend compte que dans l'onboarding, la visite des locaux n'est pas toujours indispensable, ou alors peut se faire petit à petit ", admet Julien Roubaud, de Great Place To Work, citant l'exemple d'une entreprise qui a fait visiter ses locaux alors qu'ils étaient vides...

Utiliser la réalité virtuelle pour la visite des locaux

On peut aussi faire visiter ses locaux virtuellement. L'agence La Com Digitale réalise ainsi depuis quelques mois pour ses clients des vidéos immersives et interactives. En installant un casque de réalité virtuelle dans une pièce spécifique, l'entreprise évite que les candidats parcourent toute l'entreprise et multiplient les risques de contamination. "Les casques peuvent être utilisés avec des masques et ensuite désinfectés avec des lingettes, l'ensemble étant fourni avec", indique le président, Valentin Guinberteau.

Il est aussi possible d'éviter complètement au candidat de se déplacer, en lui envoyant le lien de la vidéo. "Mis à part l'aspect immersif, l'expérience est la même qu'avec un casque de réalité virtuelle", assure Valentin Guinberteau. Pour lui, cette étape n'est pas dispensable et permet notamment un gain de temps et d'argent. Et de citer l'exemple d'une entreprise recourant souvent à des intérimaires, venus parfois de loin, ayant ainsi réduit les refus de poste sur place grâce à la visite virtuelle des locaux en amont.

L'intégration

Le télétravail, encore massif, peut compliquer l'intégration. Karim Chérif de Magellan Consulting indique que des chatbots peuvent être mis en place pour répondre aux questions pragmatiques des nouvelles recrues, les orienter vers les bons interlocuteurs, et construire un parcours de personnes à rencontrer selon un agenda établi.

Des contacts plus fréquents entre managers et nouvelles recrues qu'en temps normal

Mais cela ne remplace pas la présence du manager. Ayant intégré un nouveau consultant récemment, il remarque d'ailleurs qu'il était en contact plus fréquent avec lui qu'avec les nouvelles recrues en temps normal.  Pour Julien Roubaud, "la posture des managers de proximité est importante : lien régulier, appels fréquents, même de façon informelle, disponibilité".  La cohésion des équipes, même à distance, passe aussi par des projets transversaux sur les pratiques de l'entreprise pour "impliquer les nouveaux dans le processus de décision pour les faire se sentir utiles et montrer qu'on compte sur eux tout de suite".

De son côté, Nicolas Gay, de Welmo, indique avoir laissé le choix entre une formation en présentiel ou à distance – au final, les effectifs sont équitablement répartis entre les deux modes. A distance, la formation se fait alors en visioconférence, la validation par des tests en ligne.

Fournir aux nouveaux arrivants des listes détaillées de leurs missions et des résultats attendus permet également d'offrir plus de clarté. L'intégration comporte aussi des dimensions beaucoup plus pragmatiques : chez Zendesk, le matériel informatique, auparavant remis aux salariés le jour de leur arrivée est maintenant envoyé par l'équipe IT au domicile des salariés, qui sont guidés sur l'utilisation des technologies et reçoivent en avance des conseils. La responsable RH, Sarah Manning, note cependant que "la lassitude causée par Zoom est réelle", et qu'il a fallu "raccourcir certains contenus, les rendre plus interactifs et plus variés".