Télétravail et vie privée : un seul bureau vous manque et tout est à repenser…

Retour sur les bonnes pratiques et points de vigilance pour un télétravail organisé dans l'intérêt du salarié et de l'entreprise, respectant le droit du travail, la réglementation des données personnelles et la vie privée.

Chronique de Me Claire Poirson et Me Anne-Lise Puget, associées, Cabinet Bersay.

Si contraintes par la pandémie, les entreprises ont généralisé le télétravail dans l’urgence, les Français exprimeraient désormais, selon une étude récente, l’envie de continuer à travailler à distance après la crise[1]. Certaines entreprises seraient prêtes à généraliser le télétravail.  Mode d’organisation du travail apparemment souple, le télétravail remet en cause pourtant l’unité de lieu et l’unité de temps professionnels. Il n’abolit évidemment pas la distinction vie professionnelle/vie personnelle/vie privée, qui doit alors faire l’objet d’une attention particulière, au risque d’engager la responsabilité de l’entreprise.  

Retour sur les bonnes pratiques et points de vigilance pour pérenniser le télétravail

Le salarié en télétravail reste tout d’abord un salarié. Il doit fournir une prestation de travail, collaborer avec son équipe et demeure soumis au pouvoir de direction de son employeur. L’employeur, quant à lui, doit notamment continuer de lui fournir du travail, éventuellement l’outil de travail sécurisé et configuré, et de s’assurer du respect des règles relatives au temps de travail. Or, le contrôle de la charge de travail, des délais d’exécution et du temps de travail est rendu difficile par la distance. Il est pourtant indispensable.

Le contrôle des temps de travail, mais aussi des temps de repos...

Pour le contrôle des temps de travail, l’entreprise peut envisager un système autodéclaratif, par la mise en œuvre d’un logiciel sur lequel le salarié enregistrera son temps de travail. Un contrôle automatisé des temps de connexion peut aussi établi. Il ne pourra être mis en place qu’après information préalable des salariés concernés, voire l’information/consultation des représentants du personnel dans les entreprises d’au moins 50 salariés. En outre, il conviendra de s’assurer qu’il reste proportionné au but recherché. Dans tous les cas, le temps déclaré ou enregistré devra être régulièrement contrôlé, pour ajuster, le cas échéant, la charge de travail du salarié et éviter de découvrir tardivement que le temps de travail a excédé les limites légales et exposé l’entreprise à des rappels de salaires pour heures supplémentaires, des demandes indemnitaires, voire des sanctions pénales.

Pour le contrôle de la charge de travail et le suivi de l’avancée des missions, le manager pourra choisir de contacter régulièrement son salarié à son domicile. Il conviendra alors de garder à l’esprit que l’entreprise demeure débiteur d’une obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale de ses travailleurs. Cette obligation de sécurité lui impose d’être attentif à l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié. De surcroît, la jurisprudence reconnait de longue date au salarié le bénéfice d’un droit à la vie privée pendant le temps de travail et sur son lieu de travail.

C’est la raison pour laquelle le Code du travail prévoit que les plages horaires pendant lesquelles le salarié peut être habituellement contacté devront être fixées par l'accord collectif ou la charte relative au télétravail. En l'absence d'accord collectif ou de charte, il convient d'indiquer ces plages horaires dans le contrat de travail du salarié et s’abstenir de solliciter le télétravailleur en dehors de ses horaires de travail ou en violation des règles relatives au repos quotidien ou hebdomadaire.

… dans le strict respect de la vie privée de chaque télétravailleur.

 C’est aussi la raison d’être du droit à la déconnexion. Ce droit a été consacré par le Code du travail en 2016. Il est prévu par plusieurs conventions collectives et ses modalités doivent, depuis le 1er janvier 2017, être évoquées et négociées par toutes les entreprises d’au moins 50 salariés et disposant d’un délégué syndical, dans le cadre de leur Négociation Annuelle Obligatoire ("NAO") sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. A défaut d'accord, l'entreprise doit élaborer une charte, après avis du comité social et économique. En l’absence d’accord collectif le prévoyant, ce droit à la déconnexion doit être inscrit dans les contrats de travail des salariés soumis à un forfait annuel en jours. Le télétravail accentue évidemment la nécessité de définir les modalités de l'exercice du droit à la déconnexion. Il pourra par exemple être envisagé de rappeler aux salariés qu’ils n’ont pas l’obligation de répondre aux emails reçus le soir et/ou pendant leurs périodes de repos quotidien ou hebdomadaire, de mettre en veille du serveur après une certaine heure et/ou pendant le week-end.

L’usage d’outils collaboratifs et de solution de visioconférence notamment pour maintenir le lien devra nécessairement se faire dans le strict respect des règles précitées et de la réglementation relative à la protection des données personnelles. Plus généralement, la mise en œuvre d'actions de formation et de sensibilisation notamment à un usage raisonnable et sécurisé des outils numériques aux fins de limiter notamment le risque cyber de l’entreprise ou l’intrusion de l’entreprise dans la vie privée sera déterminante. Ces actions devront être menées à destination des salariés mais aussi du personnel d'encadrement et de direction devenus télé-managers, à qui il appartiendra d'adapter ses méthodes au télétravail.

Un nouveau management se profile. Une culture d’entreprise va sûrement se réinventer.

Chronique de Me Claire Poirson et Me Anne-Lise Puget, associées, Cabinet Bersay

[1] Etude Deskeo réalisée auprès de 2 915 professionnels répartis sur l'ensemble du territoire français, effectuée en ligne, sur le panel propriétaire BuzzPress France, selon la méthode des quotas, durant la période du 2 au 8 avril 2020. Profils des personnes interrogées : 19 % d'indépendants, 81 % de salariés.