"J'enregistre mes employés à leur insu pour les licencier et la justice m'y autorise"
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"J'enregistre mes employés à leur insu pour les licencier et la justice m'y autorise"

La plus haute juridiction française a validé une pratique qui était jusqu'ici strictement interdite : la surveillance secrète des salariés et l'utilisation de photos ou d'enregistrements clandestin comme motif de licenciement.

En cas de conflit avec un employé, certains employeurs n'hésitent pas à jouer les espions : enregistrements clandestins, vidéos captées en douce, conversations piégées à l'aide d'un téléphone dissimulé… Autant de preuves qu'ils espèrent utiliser contre leur salarié.

Mais voilà, depuis l'arrêt "Néocel" dans les années 1990 et l'arrêt Nikon dix ans plus tard, le principe est clair : toute preuve obtenue de manière déloyale d'un employeur doit être écartée des débats, même une vidéosurveillance mise en place à l'insu d'une caissière ne peut être utilisée pour prouver sa faute, même en cas de vol.

Depuis la donne a changé, estime Caroline Diard, professeur de droit et auteur d'un billet sur le Village de la Justice. Dès 2020, un jugement avait été rendu allant contre ce principe d'irrecevabilité. Entre-temps, et surtout en 2023 et 2024, de nouveaux arrêts publiés par la Cour de cassation, plus haute juridiction française, sont venus renforcer ces décisions.

Désormais, la preuve obtenue de manière déloyale, comme un enregistrement clandestin, peut être utilisée contre un employé à condition que cette preuve soit utilisée à bon escient. En d'autres mots : pour qu'une preuve déloyale soit recevable, sa production doit être indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur, et l'atteinte à la vie privée du salarié doit être strictement proportionnée au but poursuivi.

Plus clairement, dans une récente affaire, une société dans le textile a utilisé comme preuve pour licencier une photo publiée par une salariée sur son compte Facebook privé. Cette photo montrait une collection de vêtements qui allait sortir et n'était donc pas censée être partagée à des proches, un manquement aux règles de confidentialité.

Evidemment, l'utilisation de cette photo porte atteinte à la vie privée de la salariée mais, c'est une preuve indispensable pour motiver son licenciement, résume l'avocat Thomas Cuq dans un billet sur le Village de la Justice.

D'autres jugements récents sont venus consolider ces décisions et cette nouvelle jurisprudence. En décembre 2023, la Cour de cassation a validé un enregistrement audio clandestin utilisé par un employeur lors d'un entretien avec un salarié, qui a ensuite servi de base pour sa mise à pied. Le 14 février 2024, elle a jugé que le licenciement pour faute grave d'une salariée fondé sur une vidéosurveillance de sécurité était justifié, malgré la clandestinité du procédé.

Un employeur peut donc désormais enregistrer ses salariés à leur insu et utiliser ce document pour les licencier. Ces décisions vont même plus loin que les simples enregistrements. Des logiciels de gestion peuvent également être détournés pour observer les faits et gestes des salariés et les punir pour leur mauvais comportement.