Rémunération : cinq leviers pour motiver ses salariés

Rémunération : cinq leviers pour motiver ses salariés La rémunération, c'est un sujet complexe. Loin d'un aspect purement financier, elle fait écho à de nombreuses considérations chez les salariés. Elle peut être source de motivation, mais dans quelles circonstances, et jusqu'à quel point ?

"L'argent et sa relation à la motivation est un sujet très compliqué", prévient le chercheur de l'Ieseg Antonio Giangreco. Difficile de motiver avec un salaire trop bas, même si payer plus ne suffit pas. Dans une enquête basée sur les données de la DADS, l'économiste Claudia Senik a montré que "même s'ils ne sont pas les mieux payés, les gens sont davantage contents de leur salaire dans une entreprise qui globalement paye bien. Mais ils le sont moins si d'autres exerçant le même métier sont mieux payés ailleurs".

Les salariés, si leur travail les intéresse, sont rarement mûs par l'argent seul. De nombreuses études montrent que la motivation intrinsèque, liée directement au travail effectué (flexibilité, culture, autonomie, collectif, formation, sens, diversité du travail), donne des résultats plus pérennes que celle liée à la rémunération, extrinsèque. Quand celle-ci est le principal levier de motivation, les salariés pensent souvent plus à optimiser leur salaire que les résultats de l'entreprise. Selon Claudia Senik, la hausse de la satisfaction liée à l'augmentation des salaires, importante au début, "semble négligeable passé un certain seuil".

Transparence et processus connus

Chaque système de rémunération, parfois complexe (grille, variable…), "favorise des comportements particuliers", rappelle Antonio Giangreco. La transparence des rémunérations et de leur attribution n'a un impact positif sur la motivation que si les salariés trouvent ce système juste. Mais Claudia Senik avertit : une vraie transparence avec des salaires différenciés ne peut marcher que "si on est collectivement d'accord sur ce qu'on rémunère, mais semble mettre face à leurs propres échecs ceux qui sont moins payés".

Antonio Giangreco estime que cette transparence peut favoriser les petites entreprises en prouvant qu'il est plus facile d'y progresser que dans les grandes. A condition qu'elles soient "capables de bien gérer leur système de rémunération, sans discrimination". Mais elle peut aussi créer des tensions quand à poste égal, dans "un marché très tendu", les salaires des nouveaux sont plus élevés.

Et gare au non-respect du processus. L'éditeur de solutions numériques Fasterize en a fait la douloureuse expérience : chaque salarié y détermine son salaire mais n'importe qui peut lui demander de justifier sa décision. Or, le dirigeant Stéphane Rios a une fois augmenté un salarié directement. "Je m'en suis mordu les doigts. Cela a généré une mauvaise ambiance. Ne pas respecter ses valeurs vous revient comme un boomerang".

La coopérative du numérique Scopyleft pratique aussi le salaire au besoin. Seule règle : ne pas mettre en danger l'entreprise. Cela peut être déstabilisant, témoignent trois associées arrivées plus récemment. "On s'est pas mal questionnées entre nous, explique Juliette Palumbo. Cette liberté est intéressante mais le risque est de sous-estimer ses besoins ".

Prise en compte du besoin

Il s'agit là de la version ultime de la prise en compte des besoins des salariés pour un salaire motivant. Juliette Palumbo estime que ce système lui a permis de "mettre [sa] motivation sur des activités moins rémunératrices". Décorréler son salaire de ce qu'on rapporte est selon sa collègue Emma "hyper confortable, savoir qu'on peut s'augmenter, s'interroger sur ses besoins et se rémunérer en fonction de ce qu'on est capable de faire". Mais cela crée une "pression individuelle pour ne pas le faire porter aux autres". Pour sa collègue Audrey Bramy, "ce n'est pas le salaire qui crée la motivation mais le fonctionnement coopératif".

Après le salaire unique, la boulangerie coopérative Le Pain des Cairns a expérimenté le salaire au besoin. Pour Mariette Nodet, "avec des salaires allant du simple au double, cela a créé un malaise dans l'équipe" qui n'a pas non plus réussi à s'accorder sur une grille intégrant les besoins.

Une grille compréhensible et acceptable

Les recherches montrent que, si en principe l'idée d'un salaire lié aux performances motive, en réalité les salariés n'apprécient pas les écarts à poste égal. "Certaines comparaisons engendrent de la démotivation", selon Claudia Senik. Ce n'est pas le cas pour le salaire des supérieurs car "chacun peut espérer monter dans la hiérarchie". Par ailleurs, ces dernières années, manager n'est plus la seule façon d'être augmenté, l'expertise ou l'innovation en sont d'autres, ce qui apporte "une plus grande satisfaction et dilue la comparaison".

Ces écarts doivent toutefois rester raisonnables. "Quand le top de la hiérarchie gagne 100 fois plus que les profils de base, c'est très dur d'être motivé", avertit Antonio Giangreco. C'est pour cela que les cofondateurs de l'ESN Shodo ont inscrit dans les statuts que leur rémunération devait être comprise entre trois fois le plus petit salaire et deux fois le salaire médian.

Par ailleurs, les salaires sont publics et les grilles très simples : "à chaque année correspond un salaire fixe", explique le cofondateur Jonathan Salmona. Au-delà de neuf ans, il n'y a plus d'augmentation. Il assure que cela permet "un dialogue social apaisé. Si la démarche est jugée sincère et les objectifs clairs, la décision est bien accueillie".

Pour les deux chercheurs interrogés, un salaire unique ou au besoin peut motiver car ces systèmes atypiques s'inscrivent dans un vrai projet qui suscite l'adhésion. A condition, pour le salaire au besoin, que les salariés aient un sentiment d'appartenance suffisant pour rester raisonnables.

Salaire variable, ou non

Dans certains secteurs et professions, le salaire variable est courant. Mais des entreprises, comme MAIF Vie ou LDLC, ont décidé de le supprimer. Avec une meilleure satisfaction des clients, et un chiffre d'affaires qui ne diminue pas, voire augmente.

Claudia Senik explique qu'il est parfois compliqué de "mesurer la contribution individuelle, car la production est souvent commune, une rémunération variable individuelle peut donc créer encore plus d'insatisfaction". C'est l'une des raisons qui ont amené l'éditeur de solutions commerciales Nomination à quasiment la supprimer. "Avec les primes individuelles, c'était chacun pour soi", raconte le président Serge Papo. Pour "décloisonner et favoriser l'entraide", l'entreprise a opté pour une rémunération variable collective, avec une clé de répartition spécifique, fixée chaque année en fonction des objectifs du commercial et qui détermine son pourcentage de commission sur chaque vente, réalisée par lui ou un autre. Ce pourcentage est révisable en cours d'année. "Les objectifs inatteignables, problème récurrent en entreprise, sont démotivants. Il faut trouver le bon curseur pour que tout le monde soit gagnant".

S'y ajoutent deux primes si les objectifs globaux et personnels sont atteints. "C'est normal de récompenser ceux qui ont contribué fortement. Serge Papo note que depuis, "l'équipe est en surperformance et dépasse ses objectifs. C'est un levier de motivation qui tire tout le monde vers le haut. S'il y a le même état d'esprit collectif, tous sont satisfaits".

"Dans la vente, beaucoup préfèrent désormais une commission plus basse mais un fixe plus haut, remarque Antonio Giangreco. La relation au travail et à la rémunération a un peu changé : l'effort doit être récompensé, pas seulement le résultat."

La motivation passe aussi par d'autres avantages :  congés supplémentaires, télétravail... A Shodo, le surplus de marge est réparti entre salaire supplémentaire, journées hors clientèle et congés, avec en moyenne 50 jours de repos par an. "Donner du sens à notre entreprise, c'est convertir le profit en rémunération et en temps libre, le choix étant laissé à chacun. Même si on essaye de casser la culture de la prime. Les salariés se sentent considérés, décemment rémunérés", assure Jonathan Salmona. La preuve que ce modèle est motivant ? Le faible turnover depuis la création en 2019 : "trois départs, dont un revenu au bout d'un an. C'est le meilleur argument".

Le Pain Des Cairns, qui a désormais une grille à quatre échelons, a aussi préféré convertir une partie de ses gains de productivité en réduction du temps de travail, passant à 32h à temps complet. Avec la possibilité d'un forfait heures supplémentaires ou deux primes par an pour ceux qui s'investissent dans des projets de développement.

La rémunération variable peut aussi prendre la forme d'intéressement, ouverture du capital… Pour le dirigeant de Shodo, où tous les salariés sont désormais actionnaires, cela renforce l'attachement à l'entreprise en permettant de participer aux décisions. Pour Antonio Giangreco, la redistribution est primordiale dans la motivation, par exemple verser un peu moins à ses actionnaires pour augmenter les salaires. "C'est un peu incroyable si, après des résultats exceptionnels, une entreprise garde le même niveau de salaires".

Un système qui correspond à ses valeurs

Si un salaire correspondant à la moyenne du secteur est un indicateur d'attractivité, un système de rémunération atypique en rapport avec ses valeurs peut attirer des candidats avec les mêmes valeurs. Serge Papo explique ainsi que celui de Nomination a "un énorme bénéfice : il est très clivant dans le recrutement. Il attire les candidats avec un état d'esprit collectif et fait fuir les autres. C'est très bien, c'est exactement ce que l'on veut". Du côté de Shodo, la philosophie globale de l'entreprise, dont son système de rémunération, lui permet désormais "de ne faire plus que du recrutement entrant".

Plus que ce système de rémunération qui "fait parler à l'extérieur, c'est le fonctionnement de Fasterize dans son ensemble qui attire car il correspond à une recherche de sens et de liberté assez commune. Mais tout le monde n'est pas fait pour ça", temporise Stéphane Rios. Le dirigeant se méfie d'ailleurs des candidats qui mettent ce système en avant dans leurs motivations.

Les entreprises interrogées continuent de faire évoluer leur système pour mieux correspondre aux besoins et tendre vers plus de justice, donc de motivation. Elles insistent sur le fait que leur modèle fonctionne parce qu'il s'intègre dans une culture et un fonctionnement plus vastes : transparence, autonomie accrue, solidarité, bien-être, justice sociale… Même si parfois, ce n'était pas le but initial. Serge Papo reconnait ainsi que le changement de modèle répondait à des raisons très pragmatiques. "Rétrospectivement, on s'est rendu compte que le système n'était pas aligné. Maintenant, il traduit notre état d'esprit."