Réforme des retraites : il est temps de repenser notre vision du travail
À l'heure des superprofits, le projet de réforme des retraites vide encore un peu plus la valeur travail de sa substantifique moelle.
Alors que le chef de l’État a annoncé lundi 17 avril une période de « 100 jours d’apaisement et d’action », une question pourtant centrale semble être la grande oubliée du débat : celle de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle, largement rebattue au cours des dernières années.
Après 40 années de désindustrialisation et de mécanisation, quel sens a encore le travail en 2023 ? Marqué d’un côté par le chômage, l’obligation de productivité, la stagnation des salaires et l’endettement, et de l’autre par l’accroissement des inégalités, le contrat social s’est délité. À l’heure des superprofits, le projet de réforme des retraites vide encore un peu plus la valeur travail de sa substantifique moelle.
Un risque de rupture entre les générations
Moins de trois ans après une pandémie qui a largement fait évoluer les mentalités, une nouvelle perception du travail a émergé et touché toutes les générations. Ceux qui travaillent et qui ont le choix grâce à leurs études, se préoccupent de la mission de leurs entreprises, de son utilité économique et sociale. Ceux qui n’ont pas le choix se désengagent et remplissent les rangs des manifestations.
Le temps personnel est devenu une valeur centrale, accompagné par la flexibilité permise par le télétravail ou par le droit à la déconnexion. Les Français attendent une vision positive pour leur avenir et souhaitent se sentir utiles, avec un équilibre financier plus digne et un cadre qui préserve leur santé mentale (cf. la loi travail portée par Myriam El Khomri en 2016).
Peu de prise en compte de l’impact du numérique sur le travail
Alors que plus de 20 millions d’actifs, employés au sein d’un million de TPE-PME, de 3000 établissements de santé ou de 40 000 collectivités territoriales, vont être mis en concurrence dans les années qui viennent avec des IA (intelligences artificielles) telles que ChatGPT, est-il raisonnable de leur en demander davantage ?
Pendant que certains n’ont pas de temps de pause pour expédier les 4 000 articles par minute demandés à Amazon par notre mode de vie surconsumériste. D’autres passent plus de huit heures par jour face à un écran à gérer plus de 41 000 milliards d’emails chaque année (Baromètre des cyberattaques 2022, Mailinblack), alors que la déconnexion des écrans est nécessaire à la préservation de l’équilibre mental. N’est-il pas urgent de réfléchir à une nouvelle approche du travail ?
Repenser notre vision du travail, mais aussi notre système
Alors que les dix personnes les plus riches détiennent 50% de la richesse mondiale, que 50% de l’humanité vit avec moins de 5$ par jour (Jeremy Rifkin, L’âge de la résilience) et qu’une poignée pollue autant que tous les autres réunis (étude menée en 2021 par Oxfam et l'Institute for European Environmental Policy), n’est-il pas largement temps que travail et existence retrouvent leur sens ?
L’économie de marché est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Aucun autre système testé par l’humanité n’a fonctionné. C’est donc de l’intérieur qu’il doit muter. Le rapport entre salariés et patronat doit s’équilibrer pour rétablir la confiance. À long terme, des modèles de travail dignes et équitables seront porteurs de valeur pour les entreprises : leurs collaborateurs seront investis de la mission de leurs organisations, se sentiront responsabilisés et gagneront en autonomie.
Cela passe par des actions concrètes à court terme pour préserver la qualité de vie au travail. Les organisations qui font ce choix sont perçues comme faisant le pari de la confiance plutôt que celui de la défiance, de la responsabilité et de l’autonomie plutôt que du contrôle.
En reconnaissant les gens comme des gens et non comme des ressources, en mettant en avant la valeur des actions de leurs employés, en misant sur le développement de leur potentiel, et en prenant en compte leurs besoins en matière de flexibilité horaire, de télétravail ou de déconnexion effective, ces entreprises contribuent à leur dignité et donc au sens même du travail. Une notion à ne pas oublier : ce sont les collaborateurs qui créent la valeur de leurs entreprises.