Opération d'intox sur Internet : Numericable, Vivarte et neuf autres marques impliquées
Mediapart, le Figaro, Les Echos, le Huffington Post et Economie Matin ont également été infiltrés par des faux contributeurs. Le JDN analyse une série de cas bien surprenants.
Pour prolonger son enquête révélant les "faux chroniqueurs" qui s'immiscent dans les espaces contributifs des médias français (lire notre enquête : Le Plus, L'Express et le JDN victimes d'une intox à grande échelle, du 09/09/13), le JDN a détecté des cas supplémentaires dans les colonnes du très exigeant Médiapart, du Figaro, des Echos, du Huffington Post ou d'Economie Matin.
Exemple : Niklas Boden signe dans Les Echos des chroniques où il se passionne pour le sort de Numericable, s'intéresse à la très sélecte Banque Saint Olive originaire de Lyon et s'inquiète du sort réservé en France aux Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). La photo qu'il présente correspond en réalité au visage d'un ancien joueur de tennis suédois, Niklas Kulti. Plus étonnant encore, ce monsieur partage ces centres d'intérêts pourtant très hétéroclites avec d'autres chroniqueurs présents sur les espaces contributifs des autres médias. Comme par exemple avec "Jean-Sébastien Bamvilla", publié sur Médiapart, qui a écrit près de 60 tribunes et dont les thèmes de prédilection vont de l'interchange aux cigarettes électroniques, en passant par les coulisses de l'Unesco dont il attaque nommément la directrice générale sous le titre "Les casseroles qui menacent la réélection d'Irina Bokova".
Consultant indépendant, senior analyst, expert... ces "chroniqueurs" ont tous inventé un métier pour justifier leur prise de parole. Avec toujours ce souci de mettre un visage sur un nom. Ainsi le soi-disant Manuel Priost qui s'exprime savamment dans Les Echos a-t-il dérobé son portrait sur le site de partage de photos Flickr (ici). D'autres fois, un même nom de signataire, Quentin Riton par exemple, se trouve affublé de portraits différents dans le JDN et Les Echos.
Nous avons donc passé au crible les comptes de ces contributeurs dont nous suspectons le caractère usurpé. En lisant leur prose, nous avons cherché à repérer des points communs. Et parmi les similarités relevées, nous avons détecté un certain nombre de marques et d'entreprises quasi systématiquement citées par les faux chroniqueurs. C'est ainsi que nous sommes arrivés au tableau ci-dessous, certainement non exhaustif, qui rassemble onze entités très diverses : syndicats professionnels, entreprises de renom, et même un pays.
Les entreprises citées : coupables ou victimes de prestataires ?
Cela ne veut évidemment pas dire que ces sociétés ou collectifs sont nécessairement à l'origine, voire informés, de ces placements à grande échelle de textes usurpés. En revanche, elles sont, selon la définition du Robert, impliquées (au sens de "être engagé dans une affaire fâcheuse") dans cette affaire d'usurpation d'identité sur des sites média. Elles peuvent a priori se rassurer : la teneur de ces publications leur est très favorable. Certains commentaires frisent même l'éloge ou en tous cas témoignent d'une sérieuse révérence. Qu'il s'agisse des propos tenus à leur encontre ou des liens judicieusement placés au cœur de ces textes, qui optimisent leur référencement naturel. Ainsi, tous les faux chroniqueurs qui écrivent sur Numericable louent les qualités de l'entreprise et débinent très souvent Free, Canal+ ou Orange. Ces derniers porteront-ils plainte pour dénigrement ? Ils le pourraient car les fausses chroniques relèvent souvent de cette qualification.
Nous avons également noté que nombre de chroniques/tribunes renvoient l'une vers l'autre à l'aide de liens, même si les faux signataires et les supports de publication sont différents. Noyées par des références solides (statistiques officielles, instances internationales, articles de presse...) ces connexions permettent de valoriser ces textes auprès des moteurs de recherche. Et donc de créer un environnement informationnel tout à fait flatteur. Peut-être que certains dirigeants de ces entreprises sont même persuadés que ces faisceaux d'articles favorables sont tout à fait spontanés...
Des mentions de certaines entreprises disparaissent jour après jour...
Avant de publier cet article, nous avons été obligés d'effectuer des captures d'écran de l'ensemble des textes cités afin d'éviter les éventuelles retouches qui pourraient intervenir très rapidement après publication de notre enquête. Cette démarche s'est imposée à nous lorsque nous avons remarqué que, suite à la parution du premier volet de notre enquête, certains textes subissaient des mutations étonnantes.
A l'instar de ces textes parus récemment sur le site du Nouvel Observateur, qui en quelques minutes ont perdu curieusement toute référence à la Banque Saint Olive : ici : avant intervention - après intervention. Ou encore là : avant intervention - après intervention. A nouveau, ces changements peuvent être intervenus à l'insu de l'entreprise en question. En tous cas, pour certains le nettoyage d'automne a bel et bien débuté.
Pour conclure, la position du JDN est claire : tous les acteurs peuvent utiliser nos espaces contributifs pour défendre leur point de vue et faire du lobbying. En revanche, nous contestons le droit à des influenceurs de polluer le débat par des prises de position fondées sur des présentations usurpées : noms bidons, photos volées. Nous recommandons également aux marques victimes de prestataires peu recommandables usant de ce genre de méthode de remettre leur budget en compétition. Et de se rapprocher de vrais spécialistes de l'e-réputation et non de barbouzes du faux profil Internet. C'est tout l'engagement que nous prenons pour les lecteurs du JDN.