Katy Perry versus Katie Perry : les limites de la notoriété

L'affaire "David contre Goliath ", c'est ainsi que la presse australienne a surnommé cette saga judiciaire opposant la pop star Katy Perry à la créatrice de mode Katie Perry ces 10 dernières années.

Il faut croire que l’inconscient collectif aime les histoires qui finissent bien pour David, celles qui rappellent aussi que notoriété ne rime pas avec impunité.

L’affaire en cause est remarquable à plusieurs titres, de même que la décision de la Cour fédérale australienne qui vient d’y mettre un terme. C’est l’occasion de rappeler la force mais aussi les limites de la notoriété d’un nom au regard du droit des marques, principes qui font parfois échos à la pratique que nous connaissons en Europe.

Round 1 : Katy 1 – Katie 0, la force économique de la notoriété

Dans les faits, c’est Katy Perry - l’artiste, qui ouvre les hostilités en 2008, en invoquant des droits antérieurs sur son pseudonyme, afin de dissuader la créatrice de mode d’enregistrer et d’exploiter la marque KATIE PERRY qu’elle utilise pour identifier sa ligne de vêtements.

La créatrice de mode réussit néanmoins à obtenir l’enregistrement de sa marque KATIE PERRY, essentiellement pour des raisons procédurales, même si, dans le fond, la chanteuse ne perce sous son nom d’artiste que postérieurement au lancement de la petite marque de vêtements de son adversaire.

C’est donc Katie Perry - la designer, qui détient l’antériorité sur la marque éponyme pour identifier des vêtements. Pour autant, elle se trouvera longtemps dans l’impossibilité de financer une procédure judiciaire et faire valoir ses droits à l’encontre de la chanteuse. Cette dernière n’aura pour sa part jamais hésité à apposer son nom KATY PERRY sur des produits de merchandising lors de ses concerts australiens, sans pour autant avoir sécurisé au préalable ses droits de marque dans le domaine de l’habillement – sa propre marque étant essentiellement enregistrée dans le domaine musical.

Il faudra ainsi attendre dix ans pour que la créatrice de mode engage une riposte judiciaire, soutenue par un bailleur de fonds.

Round 2 : Katie 1- Katy 1, les faiblesses juridiques de la notoriété

En réponse à l’action en contrefaçon initiée à son encontre en 2019, la chanteuse Katy Perry tente d’opposer la notoriété de son pseudonyme, espérant voire annuler la marque de la créatrice de mode déposée ultérieurement.

L’ascension fulgurante et instantanée que connait Katy Perry à la sortie de son titre "I Kissed a Girl" en 2008 pourrait en effet justifier de la réputation de son nom de scène au moment où la créatrice Katie Perry dépose sa marque. La chanteuse tente ainsi de soutenir que le public australien n’était pas en mesure de savoir si les vêtements de la créatrice Katie étaient liés d'une manière ou d'une autre à la pop star Katy.

Mais la Cour rejette l’argument, rappelant à cette occasion les limites et les conditions strictes de mise en œuvre de la notoriété d’un nom.

Un pseudonyme notoire, oui mais pour quelles activités ? Un signe peut être renommé sans pour autant conférer à son titulaire un monopole illimité qui excèderait sa sphère de rayonnement. C’est ainsi que certains noms bien connus coexistent depuis des décennies, chacun dans son secteur d’activité : les stylos et des crèmes desserts Montblanc n’ont en commun que le nom et appartiennent à deux sociétés différentes, sans que règne la moindre confusion.

Dans l’affaire Katie Perry vs. Katy Perry, si les juges australiens ont reconnu la notoriété du pseudonyme de la chanteuse dans le domaine de la musique, ils ont refusé d’étendre ce monopole au domaine vestimentaire, de sorte que le pseudonyme n’a pu être valablement opposé à la marque Katie Perry de la créatrice de mode.

De manière assez similaire, les juridictions françaises imposent la démonstration d’un lien dans l’esprit du public entre les usages du signe notoire et les produits qu’identifie la marque subséquente contestée. Ainsi, il est possible de faire annuler une marque désignant les chaussures de sports sur la base d’un signe renommé antérieur servant à identifier des écouteurs dans la mesure où un joggeur utilisera simultanément les deux produits dans le cadre d’une même activité – le lien étant ainsi établi.  En revanche, il est fort probable qu’un juge français ne retienne pas l’existence d’un lien suffisant entre la musique et les vêtements d’une manière générale, comme cela était soutenu dans l’affaire opposant Katie à Katy. La distinction est subtile, mais elle a le mérite de poser des limites au monopole des signes notoires.

Final Round : Katie 2 -Katy 1, ou la victoire de David

La notoriété de la chanteuse a en réalité fini par jouer en sa défaveur : la Cour n’a pas fait droit à sa demande d’annulation de la marque Katie Perry (designer) en retenant notamment l’absence d’une possible confusion avec les vêtements offerts par la chanteuse sous son nom, compte tenu de sa forte réputation - ainsi que de la faible pénétration du marché par la créatrice de mode malgré ses dix années d’existence.

Victime de son succès, la pop star qui était pourtant à l’origine de cette bataille judiciaire, n’a donc pas pu tirer argument de sa notoriété pour faire échec aux demandes de contrefaçon de la créatrice, puisque c’est précisément la forte renommée de son pseudonyme qui a permis d’écarter la confusion avec la marque Katie Perry et anéantir sa défense.

En France, ce type de raisonnement ne prospère qu’exceptionnellement et les juges ont au contraire tendance à refuser que la notoriété d’une marque permette d’écarter tout risque de confusion.

Les juges australiens ont pour leur part finalement retenu que la chanteuse avait pris un risque calculé en commercialisant elle aussi des vêtements sous la marque Katy Perry, au mépris des droits de la créatrice de mode Katie Perry et dont elle avait parfaitement connaissance.

Voici donc une belle leçon d’humilité juridique pour Goliath, laquelle rappelle à tous que la notoriété d’un nom ne confère pas à celui qui l’exploite un monopole sans limite et que personne n’est à l’abri de devoir plier sous la fronde de David.