Liberté d'expression ou chaos numérique ? Pourquoi l'Europe doit agir maintenant.

La tribune appelle l'Europe à contrer les dérives des géants numériques américains en appliquant ses lois, en soutenant des alternatives européennes et en protégeant le débat public et la démocratie.

Le récent alignement du groupe Méta (Facebook, Instagram, WhatsApp) sur le régime de non-modération de X (ex-Twitter) portée par Donald Trump et son désormais conseiller Elon Musk fixe la nouvelle politique de liberté d’expression sans limite qui s’empare des principaux réseaux sociaux.

Elle inquiète à juste titre les utilisateurs français de ces plateformes. D’abord parce que les Français attendent que les espaces d’expressions que sont les réseaux sociaux interdisent tous les appels à la haine et à la violence, mais aussi les fakes news et les opérations de guerre informationnelle qui s’y déploient de plus en plus.

D’autre part, parce qu’ils sont conscients que les architectures et les algorithmes de ces plateformes vont, plus que jamais, favoriser les discours les plus polarisants. D’où l’important mouvement de départ de X (ex-Twitter) et les interrogations angoissées des utilisateurs d’Instagram ou Facebook sur le devenir de ces espaces où l’on passe tant de temps.

Si, malgré leur toxicité de plus en plus forte pour nos démocraties, et même pour notre santé mentale, la décision de quitter ces plateformes reste difficile c’est parce que nous continuons à y trouver des contenus qui nous intéressent ou, pour certains d’entre nous, à en produire qui trouvent leur public.

C’est tout le paradoxe : sur le temps long les réseaux sociaux propulsés par les grandes plateformes américaines auront permis une pluralité inédite de l’information, un accroissement de la liberté d’expression – et surtout la possibilité pour tous de trouver une audience avec laquelle partager ses opinions, ses analyses – avant d’entraver, de manière là aussi totalement inédite, ces mêmes phénomènes.

Aujourd’hui nous en sommes là : il faut sauver l’apport que les plateformes de réseaux sociaux américains ont représenté pour la diffusion de l’information, du savoir et l’intelligence collective de la décadence de ces mêmes plateformes.

Le simple abandon des réseaux sociaux et le retour à nos modes d’informations pré-numériques et à nos communautés de discussions familiales ou amicales représenteraient à coup sûr une régression.

C’est pourquoi, il est grand temps que nos dirigeants protègent l’espace public européen des assauts des géants américains en actionnant l’ensemble des instruments normatifs et financiers qui sont à leur disposition.

Premièrement, en appliquant rigoureusement le règlement sur les marchés numériques (DMA) afin de protéger les plateformes européennes des pratiques déloyales des plateformes américaines.

Deuxièmement, en ayant le courage d’appliquer la législation sur les services numériques (DSA), quitte à aller jusqu’à interdire l’accès au marché européen aux plateformes qui ne respectent pas nos normes.

Dans le domaine des newsletters, il n’est par exemple pas acceptable que des plateformes américaines fassent du profit en hébergeant et en diffusant des discours néo-nazis et suprémacistes quand nous, acteurs européens, respectons scrupuleusement les règles en matière de limitation des discours de haine et d’appels à la violence.

Troisièmement, nos dirigeants doivent favoriser l’émergence de grandes plateformes numériques européennes. Des plateformes dont l’économie est conforme à notre propre conception de la liberté d’expression et surtout à l’abri des usages que peuvent décider d’en faire des politiques réactionnaires et les milliardaires hors de contrôle qui les soutiennent.

Des alternatives existent déjà, dans une pluralité de domaines.

Nos dirigeants doivent les soutenir afin de construire un espace européen libre et sain pour le débat public, à l’abri des dangers de la pente réactionnaire américaine et de la guerre informationnelle menée par les nombreux adversaires de la démocratie.