Commission de 30% de l'App Store, la pomme de discorde

L'App Store et la commission de 30% facturée aux annonceurs sèment désormais la discorde. Spotify, Fortnite, ou encore Digital Content Next tapent du poing sur la table. Un véritable rapport de force qui commence à s'inverser ?

L’App Store et la commission de 30% facturée aux annonceurs sèment désormais la discorde. Spotify, Fortnite, ou encore Digital Content Next tapent du poing sur la table. Un véritable rapport de force qui commence à s’inverser ?

Apple tire un important bénéfice de son store sur lequel, en échange d’un environnement sécurisé, une simplification des transactions et une exposition à grande échelle, une commission de 30 % est prélevée sur chaque paiement. En 2019, la recette s’élève à 50 milliards de dollars. Si la commission ne posait alors aucun problème aux annonceurs, ces derniers lèvent à présent la voix face à cette situation. Trois acteurs en particulier ont exprimé leur mécontentement envers ce qu’ils appellent la « Taxe Apple ».

Spotify, Fortnite, Digital Content Next… De gros poissons se sentent pris au piège

Spotify, l’entreprise leader sur le marché de la musique en streaming, a été une des premières à publiquement dénoncer la commission de 30%, qualifiant cette pratique d’anticoncurrentielle… Car Spotify et Apple sont concurrentes, puisque le service Apple Music à 9,99 euros a vu le jour en 2015. Ce dernier n’est, comme on peut s’en douter, pas soumis à la taxe. Un an auparavant, Spotify avait augmenté le montant de l’abonnement mensuel sur l’App Store, (de 9,99 euros à 12,99 euros), reportant ainsi le coût de la commission sur le client… décision revue par la suite pour rester compétitive. En 2019, elle dépose alors plainte contre Apple auprès de la Commission Européenne, arguant qu’elle était indéniablement désavantagée par rapport à Apple Music.

De surcroit, Apple a lancé à l’automne 2020 Apple One, une offre regroupant TV+, Arcade, iCloud et Music pour 14,95 euros par mois pour l’offre d’entrée de gamme, provoquant l’ire de Daniel Ek, le PDG de Spotify, déclarant qu’Apple utilisait « sa position dominante et ses pratiques déloyales pour désavantager ses concurrents et priver les consommateurs en privilégiant ses propres services ».

Dans le secteur du gaming, les ventes in-app du jeu Fortnite, développé par Epic Games ont rapporté 2,4 milliards de dollars en 2018, battant ainsi le record de revenu de l’histoire du jeu vidéo. Disponible sur l’App Store depuis 2018, l’éditeur a lancé en août 2020 un système de paiement alternatif afin de contourner la commission, permettant de surcroît aux gamers d’obtenir 1000 V-Bucks (la monnaie virtuelle du jeu) pour 7,99 euros au lieu de 9,99 euros en passant par le système in-app d’Apple. La réaction ne s’est pas fait attendre puisque Fortnite a été retiré du store le jour-même pour violation des conditions générales.

Suite à cette éviction, Epic Games a immédiatement répliqué en portant plainte contre Apple, avec pour ambition de mettre fin à des pratiques jugées anticoncurrentielles. Le créateur de Fortnite avait tout prévu, avec un dossier bien ficelé, et même une campagne de communication reprenant les codes de la campagne de 1984 pour le lancement du premier MacIntosh (visant IBM et son approche « Old School »). Le procès est toujours en cours, avec un possible dénouement en juillet 2021.

 L’organisation professionnelle américaine Digital Content Next a aussi fait parler d’elle. Elle compte parmi ses membres le New York Times, le Washington Post ou encore CNBC qui touchent une audience de plus de 220 millions de visiteurs uniques.

En août 2020, Digital Content Next a demandé à Tim Cook de bénéficier des mêmes conditions « avantageuses » que celles accordées à Amazon pour son service Prime Video. Au lieu de 30% de commission (puis de 15% à partir de la deuxième année), Amazon a directement bénéficié du « privilège » de ne reverser que 15% de ses revenus. Des documents juridiques ont révélé que cet accord avait été conclu entre Jeff Bezos et le Vice-Président d’Apple dans le but d’attirer Prime Video sur l’App Store. Suite à ces révélations, Tim Cook a admis que ce type d’arrangement était possible avec d’autres entreprises si elles étaient en mesure de remplir les conditions. Digital Content Next n’a pas directement eu de retour sur les « modalités » pour bénéficier de la commission de 15%, et ainsi permettre à ses membres d’investir plus sereinement pour proposer de l’information de qualité… A moins que la condition à remplir consiste « simplement » à devenir un des groupes les plus valorisés au monde, ou à contrario, d’être un « petit acteur ». Apple a en effet lancé en novembre 2020 le « Small Business Program » qui permet aux développeurs générant moins d’un million de dollars de chiffre d'affaires annuel d’être soumis à une commission de 15% dès la première année.

A quoi s’attendre en 2021 et les années à venir ?

En septembre 2020, une douzaine d’entreprises, incluant Spotify, Epic Games mais aussi Deezer et Match Group (Tinder, Meetic, etc.), se sont regroupées via l’organisation à but non lucratif Coalition for App Fairness afin de faire pression sur Apple pour faire évoluer la règlementation des stores. Elles sont à ce jour près de 50.

Si les annonceurs ont besoin d’Apple pour exister et prospérer, l’inverse est également vrai. Des spécialistes du secteur tels que Brian Armstrong, PDG de Coinbase et l’avocat de l’ONGI Electronic Frontier Foundation Mitch Stoltz, s’accordent cependant à dire que gagner ces procès contre Apple serait une bonne chose pour favoriser de nouvelles expérimentations et de nouveaux modèles économiques. Pour le moment, la seule possibilité est de réduire cette dépendance à Apple en passant par un autre canal, à l’image de Spotify qui a massivement investi dans sa Progressive Web App (accessible depuis un navigateur) pour proposer une expérience de qualité… et augmenter sa marge.

Nous assistons bel et bien à un début d’inversement du rapport de force entre ces grandes marques, qui n’hésitent plus à monter au front pour dénoncer des pratiques qualifiées d’anticoncurrentielles, et la firme à la pomme. Un premier pas a déjà été franchi avec les procès intentés à Apple, l’organisation Coalition for App Fairness et le « Small Business Program ». Nous attendons de voir la suite.