Mark Gainey (Strava) "La France est le quatrième marché de Strava"

Avec 73 millions d'utilisateurs dans le monde, Strava a levé 110 millions de dollars en novembre dernier pour développer sa plateforme d'analyse d'activités sportives. Son cofondateur dévoile sa stratégie.

JDN. Strava est une application très populaire chez les sportifs. Lancée en 2009, où en est son développement aujourd'hui ?

Mark Gainey est le cofondateur et président de Strava. © Strava

Mark Gainey. Strava est une plateforme sociale qui permet d'enregistrer ses performances sportives. Historiquement, nous avons démarré en ciblant les cyclistes car nous avions remarqué que cette audience était particulièrement intéressée à collecter des données sur leur activité. Notre application propose aujourd'hui plus d'une trentaine de sports différents mais nos deux activités principales restent le cyclisme et la course à pied. Près de 73 millions de sportifs utilisent notre application dans 195 pays. Strava s'adresse aujourd'hui à tous les profils puisque notre application cible autant les sportifs occasionnels qui parcourent quelques kilomètres le dimanche en famille que les athlètes réguliers qui s'entraînent pour les Jeux olympiques. Nous dénombrons en moyenne deux millions de nouveaux utilisateurs chaque mois.

L'une des fonctionnalités pour laquelle Strava est connue est celle du segment qui permet de se comparer à d'autres utilisateurs sur une même distance. Comment est née cette fonctionnalité ?

La fonctionnalité du segment a été créée à la demande de notre première communauté de cyclistes qui souhaitait pouvoir analyser les données liées à leurs ascension. Ces passages sont toujours un moment important d'un parcours et réaliser une ascension difficile est souvent une fierté. Cette fonctionnalité a rencontré beaucoup de succès et nous avons par la suite permis aux cyclistes de comparer leurs performances avec leurs amis. Aujourd'hui cette fonctionnalité du segment permet à n'importe quel utilisateur de se comparer au reste de la communauté Strava sur une même distance. Pour l'anecdote, la première version de cette fonctionnalité a d'ailleurs été créée dans le sud de la France.

Quel a été l'impact de la crise sanitaire sur votre activité ?

Pendant cette crise sanitaire, beaucoup de personnes ont réalisé qu'il était important de prendre soin de leur santé et se sont mis au sport. Strava a réussi à maintenir une connexion sociale pendant une période où il n'était pas possible de courir en présence de ses amis ou sa famille. L'application a permis à nos utilisateurs de partager ces données avec le reste de la communauté. Nous avons connu un pic d'activité concernant le nombre de personnes qui ont rejoint un club sur Strava. Surtout, nous avons observé une véritable créativité de nos utilisateurs : certains ont couru un marathon dans leur jardin ou sur le toit de leur immeuble.

Comment se décompose votre modèle de revenus ?

La majorité de notre chiffre d'affaires provient des abonnements payants. Le sponsoring d'évènements par des entreprises partenaires représente moins de 10% de nos revenus. Ces évènements sportifs sponsorisés apportent de la valeur à nos athlètes car il est souvent plus amusant et motivant de participer à un challenge lorsqu'il y a un prix à gagner. Nous laissons le soin à nos partenaires du choix des récompenses. Il peut s'agir simplement d'un badge mais aussi de réductions pour les participants ou de cadeaux pour les gagnants.

Certaines fonctionnalités autrefois gratuites sont devenues payantes en 2020. Prévoyez-vous de conserver une version gratuite de Strava et va-t-elle rester attractive ?

"Avec 3,2 millions d'utilisateurs, le marché français est très important pour Strava"

Bien sûr, il y aura toujours de la valeur dans la version gratuite de Strava, qui reste utilisée par la majorité de nos utilisateurs, et nous n'avons donc aucune intention de changer notre modèle Freemium. Pour autant, il est vrai qu'après avoir expérimenté différents modèles de revenus au cours des années précédentes nous avons pris la décision début 2020 de revenir aux fondamentaux, à savoir apporter de la valeur à notre communauté. Nous avons donc décidé d'améliorer notre version Premium, ce que nous n'avions pas ou trop peu fait ces dernières années.

Au cours des dix derniers mois, nous avons ainsi développé près de 70 fonctionnalités dont la majorité est réservée à nos membres Premium. Nous avons parallèlement rendu payantes certaines fonctionnalités autrefois gratuites. La principale raison à cela est qu'il s'agit de fonctionnalités coûteuses en termes de maintenance. La seconde est parce que ces fonctionnalités sont uniques à Strava et qu'aucune autre application ne les propose. Nous pensons qu'elles apportent de la valeur à notre communauté et que pour 5 euros par mois nos utilisateurs en ont pour leur argent.

Comptez-vous proposer de nouveaux sports, comme des sports d'équipe ?

Nous n'avons pas l'objectif à court terme d'intégrer des sports d'équipes comme le basket-ball ou le football. Pour autant, ces équipes peuvent toujours utiliser Strava pour s'entraîner ensemble car le cyclisme et la course à pied sont des sports universels pratiqués par tous les sportifs. Les joueurs de football ou de rugby s'entraînent en courant ou en faisant du vélo. D'une manière générale, Strava s'intègre bien avec tous les sports qui utilisent la fonction GPS en permettant de collecter des données utiles : nage, cyclisme, sports de glisse, sports nautiques, etc. Nous intégrons déjà des activités sportives d'intérieur comme le Yoga par exemple et notre application est compatible avec d'autres activités indoor. Par exemple, Strava est intégré à Zwift, une plateforme sociale dédiée à la pratique du vélo d'intérieur.

Prévoyez-vous, à terme, de développer vos propres appareils de sport comme un vélo d'intérieur ou un tapis de course connecté ?

"Nous avons des partenariats avec près de 400 fabricants"

Non. Le hardware est un secteur compliqué. Notre stratégie est plutôt de bâtir des partenariats à chaque fois que nous identifions une opportunité d'intégration qui apporte de la valeur à notre communauté. Strava fonctionne ainsi avec les appareils GPS de Garmin, l'Apple Watch, les vélos de Peloton, etc. Nous avons des partenariats avec près de 400 fabricants d'appareils. Le plus souvent, nos utilisateurs en ont plusieurs. Ils peuvent utiliser un home trainer chez eux, une montre connectée pour aller courir en extérieur et un tapis de course à la salle de sport. C'est pourquoi notre objectif est de permettre aux sportifs de collecter toutes ces données sur n'importe quel appareil pour leur permettre de les retrouver ensuite sur leur profil Strava.

Vous avez annoncé en novembre dernier une dernière levée de 110 millions de dollars. Quels sont vos objectifs ?

Nous allons continuer d'améliorer l'expérience pour tous les sportifs qui utilisent notre application à travers le monde et bien entendu en France. Avec 3,2 millions d'utilisateurs, le marché français est très important pour Strava. Il arrive en quatrième position derrière les US, le Brésil et la Grande Bretagne. Historiquement, Strava s'est toujours concentré sur ce qui venait après une séance de sport, à savoir l'analyse des données. Désormais, nous souhaitons également aider les sportifs à préparer leur activité sportive en leur permettant de découvrir un nouvel endroit, de rencontrer d'autres sportifs ou de participer à un évènement virtuel. Nous voulons permettre à notre communauté de découvrir des lieux et des nouveaux parcours d'entraînement. Ces fonds devraient nous permettre de recruter des équipes pour développer ces nouvelles fonctionnalités.

Mark Gainey est le cofondateur et président exécutif de Strava, une application dédiée à la collecte de données liées à la pratique sportive. L'entreprise, basée à San Francisco, est créée en 2009 et emploie 200 collaborateurs. Avant cela, Mark Gainey avait cofondé Kana Communications en 1996. Il est diplômé de l'université de Harvard.