Deborah Elalouf-Lewiner (Safer Internet Day) "Il y a eu une explosion des usages numériques chez les jeunes pendant le confinement"

Avant le coup d'envoi ce 9 février du Safer Internet Day, journée internationale de sensibilisation aux usages numériques, Deborah Elalouf-Lewiner, en charge du volet français du programme du même nom de la Commission européenne, nous éclaire sur l'évolution des usages numériques chez les jeunes liée au Covid.

JDN. Quelles ont été les principales conséquences du confinement sur la consommation du digital des jeunes ?

Deborah Elalouf-Lewiner dirige Tralalere.com, en charge du volet français du programme Safer Internet Day de la Commission européenne © Tralalere.com

Deborah Elalouf-Lewiner. Il y a eu une explosion ainsi qu'une généralisation des usages - sociaux, éducatifs et récréatifs - du numérique sur l'ensemble des tranches d'âge. Cela concerne désormais celles qui jusqu'ici étaient encore préservées d'un usage numérique, en particulier lors de la phase "école à la maison". En moyenne, le niveau moyen de consultation d'écrans a augmenté chez toutes les classes d'âge, selon l'étude CovidEcransEnFamille, observant l'impact du confinement sur les usages numériques des enfants. Le temps d'écran moyen quotidien était de plus de sept heures pour les 6-12 ans contre 3 heures en période scolaire normale. En détail, on observe 2h52 pour les usages récréatifs, 1h57 pour les usages éducatifs, 1h30 de consultation d'information et 1h15 de socialisation.

Quelles problématiques sont survenues pendant la crise du covid ?

Tous les risques potentiels ont été accrus pendant cette période-là. Nous avons distingué trois enjeux importants : l'hyperconnexion, les réseaux sociaux et les fake news. Le temps passé sur les écrans a vraiment été accentué pendant le confinement. Déjà en temps normal, 93% des parents déclaraient que les écrans suscitaient des tensions au sein de la famille. Mais la préoccupation tout à fait légitime du temps passé ne doit pas occulter ce que l'on fait sur les écrans.

Justement, les jeunes, désormais confinés, ont dû communiquer à travers notamment les réseaux sociaux et messageries. Pour quelles conséquences ?

Les jeunes ont utilisé le numérique pour parler avec leurs grands-parents sur Zoom, par exemple, et dans des groupes de discussion liés à l'école. On a vu à la rentrée post-confinement une généralisation de problématiques où les jeunes qui installaient un groupe WhatsApp n'avaient pas les bons réflexes. Il faut rappeler d'ailleurs que WhatsApp est interdit aux moins de 16 ans. Des phénomènes de bouc émissaire se sont déplacés vers les écrans, notamment chez les 9-11 ans qui n'utilisaient pas les réseaux sociaux auparavant. Plusieurs écoles nous ont appelés pour nous signaler des incidents. Par exemple, un enfant qui prenait la direction d'un group WhatsApp décidait qui devait y être, qui ne devait pas y être. Pour les plus âgés, on a constaté une hausse des cyberviolences tels que le chantage sexuel à la webcam ou le revenge porn. On remarque en 2020 une hausse de 26% des cas de cyberharcèlement par rapport à septembre 2019. Un adolescent sur dix déclare avoir été victime de violences en ligne, d'après une étude réalisée par e-Enfance et le Lab Heyme avec OpinionWay.

Vous parliez aussi du fait que les jeunes ont été soumis aux fake news...

Les jeunes y ont été soumis comme le reste de la population. Ils n'ont pas forcément véhiculé plus de théories complotistes que les autres. Mais si on ne les forme pas à partir du moment où ils commencent à consommer de l'information, on est perdu sur les années à venir. En ce qui concerne les réseaux sociaux, il faut que les jeunes soient en mesure de protéger leurs données personnelles, d'un point de vue sécuritaire. De même, il faut qu'ils apprennent à contrôler leur image en ligne, qu'ils comprennent que l'acte du publier est un acte engageant.

Comment ont répondu les parents  et éducateurs face à ces problématiques ?

Tout d'abord, les adolescents sont en demande de règles viables. Les adultes se sont retrouvés dans l'obligation de se sentir concernés par le sujet et d'assumer leur rôle de régulateur. D'où la nécessité de former et d'accompagner les adultes. Nous fournissons par exemple des kits pour les éducateurs pour leur permettre d'organiser des ateliers directement en classe. De l'autre côté, on va trouver son pendant à la maison pour accompagner les parents afin de faciliter la discussion en famille. Les adultes doivent aussi se questionner. Mon enfant me disait que le contrôle parental c'était très bien, mais qu'il faudrait aussi un contrôle "enfantal" pour les parents qui télétravaillaient. Pour être capable d'accompagner nos jeunes, il faut qu'on soit capable de bien comprendre nos propres usages.

Le Safer Internet Day 2021 (#SID2021) interpelle familles, enseignants, éducateurs et professionnels du numérique sur l'évolution des comportements des jeunes en ligne, en apportant des solutions concrètes aux problématiques engendrées par les confinements.

Plus d'infos ici : https://www.internetsanscrainte.fr/sid#actions