Le rachat de Twitter par Elon Musk à l'épreuve du DSA

Devant les limitations d'opinion, Elon Musk rachète Twitter pour en faire un espace de plus grande liberté, au moment même où l'Europe impose aux plateformes des restrictions de liberté d'expression..

Le 26 Avril dernier, Elon Musk rachète Twitter pour un montant pharamineux de 44 milliards de dollars.

Ces dernières années, Twitter s’était surtout distingué par des censures quotidiennes contre des contenus haineux, racistes, ou encore par des suppressions de comptes comme celui de Donald Trump le 9 Janvier 2021.

Cette limitation de la liberté d’expression, pourtant fondamentale aux US, est expliquée dans les CGU de Twitter : « attaquer ni menacer d'autres personnes, ni inciter à la violence envers elles en vous fondant sur la race, l'origine ethnique, l'origine nationale, la caste, l'orientation sexuelle, le sexe, l'identité sexuelle, l'appartenance religieuse, l'âge, le handicap ou toute maladie grave ».

Animé par la volonté de protéger la liberté d’expression, Elon Musk désire donner un nouvel élan au réseau social et en faire un véritable lieu de partage de diverses opinions.


Néanmoins, celui ci devra composer avec un cadre législatif beaucoup plus important que aujourd'hui.

En effet, le Samedi 23 Avril dernier, les Etats membres de l’Union Européenne, le Parlement Européen et le Conseil de l’Europe sont parvenus à un accord qui promet de limiter de manière plus importante le partage de contenus haineux et donc la liberté d’expression : le Digital Service Act (DSA).

L’application du Digital Service Act

Cette nouvelle législation entrera principalement en vigueur le 1er Janvier 2024.

Elle permettra une nouvelle politique en matière de lutte contre les contenus haineux, pédopornographiques, les arnaques, les partages d’images non consenties, l’apologie du terrorisme, la vente de contrefaçon ou encore la violation du droit d’auteur.

Elle permettra aussi de lutter contre la désinformation notamment en temps de crise. Où par exemple, bon nombre d’informations circulent de manières erronées pour induire en erreur les utilisateurs. Comme ce fut le cas par exemple en Ukraine où la désinformation sur Twitter fut largement relayée.

Concrètement, de nouveaux moyens seront alloués pour permettre aux utilisateurs de signaler directement ce genre de contenus. Une fois ce signalement effectué, la plateforme devra supprimer ce contenu. Les plateformes devront collaborer avec des « signaleurs de confiance », des organes, associations labélisés au sein de chaque Etat, qui auront une priorité pour notifier des contenus illicites. Une vérité étatique se met donc en œuvre doucement.

Concernant les sanctions, elles seront proportionnelles à l’envergure de la plateforme qui sera confrontée à des règles parmi les plus strictes, nécessitant une modération minutieuse. Une sanction par l’Union Européenne pourra atteindre 6% du chiffre d’affaires mondial, voire une exclusion de la plateforme sur le territoire de l’Union Européenne en cas de récidive.

Vers une réelle liberté d’expression ?

Dans ce contexte, Elon Musk a-t-il vraiment réalisé un investissement opportun ?

Elon Musk désire modifier le réseau social sur trois points :

  • Utiliser le réseau social pour faire fructifier ses propres sociétés comme Tesla, ou continuer à faire sur son réseau, ce pour quoi il a été critiqué à plusieurs reprises, de la manipulation de marché, notamment avec les cryptomonnaies ;
  • Rendre le réseau social attractif pour qu’il devienne rentable, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui ;
  • Créer un espace de libre d’expression, où chacun pourra s’exprimer comme il le désire.

C’est sur ce dernier point que le défi sera réel.

Aux Etats-Unis, la liberté d’expression (absolue) est garantie par le 1er amendement. Il est absolu, total, immuable. Nous, Européens, sommes souvent choqués de l’ampleur de cette totale liberté d’expression qui permet l’existence d’un parti nazi ou encore l’impossibilité de protéger concrètement la vie privée par voie légale (puisqu’elle supposerait une limitation de la liberté de presse ou d’expression). Le 1er amendement n’interdit qu’au législateur la limitation de la liberté d’expression, mais des CGU peuvent parfaitement la limiter sur un réseau social. En Europe, la mentalité juridique est différente puisque c’est le législateur qui autorise et interdit. Malgré les promesses des Droits de l’Homme, il n’existe pas de droit ou liberté absolue, totale et immuable en Europe.

Cela implique que, si Musk pourra choisir une politique plus libérale aux Etats Unis, il devra quand même se soumettre à la législation du DSA en Europe. Et il y a fort à parier que, au vu de l’étreinte encore plus forte de l’Union Européenne avec sa nouvelle arme, la liberté d’expression sera fortement impactée sur Twitter, plus qu’elle ne l’est déjà aujourd'hui. Ceci, alors que l’avenir financier de Twitter pourrait s’assombrir en cas de sanctions, alors même que la société n’est pas rentable à l’heure actuelle, si le fondateur de Tesla décide d’aller au bout de ses idées.

La responsabilité des plateformes dans le cadre du DSA sera beaucoup plus importante. Il est à se demander si la direction de Twitter, avec en tête de file Bret Taylor et Parag Agrawal, n’a pas justement réalisé une vente opportune, sentant que la gérance de ce réseau social deviendra de plus en plus complexe au sein du marché européen.

Les projets d’Elon Musk s’inscrivent donc totalement à contrecourant de la politique de l’Union européenne et de surcroit,  alors que le Commissaire Européen, Thierry Breton, initiateur du DSA, a déjà le nouveau propriétaire de Twitter dans le collimateur, et désire en faire un exemple de la force de frappe du DSA…