Droits voisins vs Google : un accord trouvé, des éditeurs ravis, des négociateurs... prudents

Droits voisins vs Google : un accord trouvé, des éditeurs ravis, des négociateurs... prudents Grâce à l'Autorité de la concurrence, les éditeurs ont désormais un cadre de négociation avec Google pour évaluer leur rémunération.

C'est un gros chapitre de l'épineux sujet des droits voisins que l'Autorité de la concurrence (ADLC) a clos ce 21 juin en acceptant les engagements pris par Google de mener des négociations équitables pour la définition de la rémunération des éditeurs et agences de presse en cas de reprise de leurs contenus. En deux mots, il a fallu faire intervenir l'ADLC et près de trois ans de procédure pour que Google respecte la loi française sur les droits voisins. Parmi ses engagements pris devant l'Autorité, et qui deviennent désormais des obligations dans toute négociation avec les éditeurs et agences de presse français, on peut citer, entre autres mesures jugées indispensables par le secteur :

  • de négocier de bonne foi avec les agences et éditeurs de presse qui en feraient la demande la rémunération due pour toute reprise de contenus protégés sur ses services et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires ;
  • de communiquer aux éditeurs de presse et agences de presse les informations prévues permettant une évaluation transparente de la rémunération proposée ;
  • que les négociations n'affectent ni l'indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés tout comme les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs et agences de presse (la liste complète est disponible ici).

"Pour la première fois en Europe, les engagements pris par Google posent en effet un cadre dynamique de négociation et de partage des informations nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération des droits voisins directs et indirects", analyse Benoît Cœuré, président de l'Autorité de la concurrence. "Les engagements contiennent un dispositif complet du début des négociations jusqu'à leurs conclusions, le tout sous la supervision d'un mandataire, dont les avis s'imposeront à Google. Ils incluent égalemenst un dispositif qui permettra de trouver une solution en cas de blocage par l'intervention d'un tribunal arbitral dont les frais seront supportés par Google." Sébastien Missoffe, directeur général de Google France le reconnaît dans un communiqué diffusé dans la foulée de la décision de l'ADLC : "C'est une décision historique qui fixe un cadre durable pour la rémunération des éditeurs et agences de presse, et des journalistes, dans le cadre de la loi française."

Rappel des faits

Tout avait commencé en novembre 2019, quand l'Alliance de la presse d'information générale (Apig), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l'Agence France Presse (AFP) saisissent l'ADLC pour contester les pratiques mises en œuvre par Google à l'occasion de l'entrée en vigueur de la loi sur les droits voisins, en juillet de la même année. Google avait alors décidé unilatéralement d'afficher uniquement les contenus d'éditeurs acceptant le principe de la gratuité au lieu de prendre part à des négociations équilibrées avec les éditeurs et les agences de presse sur le partage de la valeur de leurs contenus repris sur la plateforme, comme le veut la loi.

"Au départ, il s'agissait d'une procédure pour abus de position dominante à l'égard de Google, dont l'avenir est plus incertain et le processus beaucoup plus lourd. Elle a été remplacée fin 2021 par une procédure d'engagements, plus sécurisante pour nous tous à condition que ces derniers soient satisfaisants, ce qui semble être le cas", précise Pierre Petillault, directeur général de l'Alliance de la presse d'information générale (Apig), ou l'Alliance comme préfèrent la nommer leurs membres. L'organisme a depuis trouvé un accord avec Google sur la rémunération de l'utilisation des publications de presse par Google au titre du droit voisin, rendu public en mars dernier. Un accord spécifique aux membres de l'Alliance qui aurait été difficilement obtenu sans le processus mené au sein de l'ADLC, qui lui a continué en parallèle.

Un long processus qui a valu à Google des injonctions et des sanctions de la part de l'ADLC, dont une amende de 500 millions d'euros, en juillet 2021, en plus de la procédure au fond, celle qui a été close aujourd'hui. Google se voit désormais contraint d'accepter de négocier de bonne foi et dans un cadre satisfaisant la rémunération de la reprise des contenus protégés d'éditeurs et d'agences de presse. "Ces engagements représentent pour nous un vrai filet de sécurité sur lequel nous appuyer dès l'été 2024, quand nous devrons renégocier nos accords avec Google", précise Pierre Petillault. Des engagements testés par le marché sous la houlette de l'ADLC et dont Google a dû revoir quatre fois la copie avant d'aboutir à une version acceptable. "La décision de l'Autorité permet de sortir par le haut d'un contentieux de plus de deux ans et demi, ce dont on ne peut que se réjouir", salue Pierre Louette, président de l'Apig et du groupe Les Echos Le Parisien.

Doutes quant à l'avenir

Si l'Autorité de la concurrence est saluée à l'unanimité pour son rôle déterminant dans l'obtention d'une issue jugée positive, tous les acteurs du marché ne sont pas d'accord en revanche sur la manière d'envisager l'avenir. "Ces épisodes très importants prouvent bien que la loi de juillet 2019 n'offre pas de mécanismes permettant aux éditeurs de négocier et de trouver des solutions en cas de désaccord. Les mesures conservatoires de l'ADLC ont permis d'accélérer le processus et obtenir des avancées significatives. Tout cela participe à l'émergence d'un marché des droits voisins qui est extrêmement important pour nous. Mais c'est surtout la loi qui mérite d'être rapidement affinée et améliorée pour que nous disposions des outils nous permettant d'appliquer ses fondements et notamment consolider les accords déjà obtenus", déclare Bertrand Gié, président du Geste. "Beaucoup de sujets restent à régler notamment à l'égard des nombreuses autres plateformes qui restent redevables de droits voisins au termes de la loi, comme Apple, Microsoft, LinkedIn ou Twitter, et sur lesquels les discussions n'ont pas démarré", conclut-il.

Marie Hédin-Christophe, vice-présidente du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil), salue chaleureusement l'initiative – "Nous sommes très reconnaissants que nos confrères aient pu mener cette bataille" –  mais ne cache pas sa grande inquiétude quant à l'impact de ces négociations sur les discussions commerciales de son syndicat avec Google. "Les mises en avant au sein de Google, au travers de leurs différents produits commerciaux ont un impact très important pour la visibilité et l'économie des entreprises de presse membres du Spiil. Comme nous mandatons un organisme tiers pour négocier les droits voisins, nous espérons que cela n'aura pas d'impact négatif sur nos discussions commerciales car on observe que Google a tendance à mélanger les deux types de négociation", explique-t-elle. Marie Hédin-Christophe est également trésorière de la société des Droits voisins pour la presse (DVP), organisme de gestion collective dédié à la gestion des droits voisins des éditeurs et agences de presse, créé en octobre dernier par le Spiil, le Geste, le SEPM, la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS) et la Fédération Françaises des Agences de Presse (FFAP).