Pourquoi Salto a vrillé, comment la plateforme de SVOD chercher à rebondir

Pourquoi Salto a vrillé, comment la plateforme de SVOD chercher à rebondir Le rêve de TF1, M6 et France Télévisions de proposer une plateforme commune de SVOD a fait long feu face aux ogres américains. L'offre de contenus pourrait perdurer, mais avec un nouveau propriétaire.

Salto, le service de vidéo à la demande par abonnement lancé par TF1, France Télévisions et M6 est à vendre. Un constat d'échec qui sanctionne à la fois des objectifs d'audience non atteints, mais aussi des intérêts des actionnaires qui ont divergé depuis son lancement. Ainsi, le projet de fusion entre TF1 et M6 est tombé à l'eau, enlevant aux actionnaires toute possibilité d'effectuer des économies d'échelle pour financer le développement du service, et l'environnement concurrentiel a très fortement changé depuis l'été 2019.

Cette année-là, le 12 août, Salto recevait le feu vert de l'Autorité de la concurrence pour opérer, mais sous conditions. D'après nos sources, ces engagements auprès de l'Autorité, "lourds à mettre en place", expliquent en partie un lancement tardif, en octobre 2020, alors que les SVOD existants tiraient déjà fortement parti d'une France en proie à différents confinements. "Pour qu'il tienne la route, un tel service doit être nourri d'énormément de contenus, ce qui ne peut être financé par les seuls abonnés français", conclut un connaisseur du marché. En effet, deux ans après son lancement, Salto ne compterait, selon nos informations, que 1,8 million de visiteurs uniques mensuels.

Le paysage des SVOD a fortement changé depuis 2019, avec l'arrivée de nombreux nouveaux acteurs venant se positionner face à Netflix ou Amazon Prime Vidéo, comme Apple TV, Disney+, et plus récemment Universal+ et Paramount+. Des acteurs, notamment les quatre premiers, qui ont bénéficié à plein de la croissance de la consommation de la SVOD en France depuis trois ans, tandis que les plateformes de replay des chaînes françaises ont vu leur audience stagner.

S'y ajoute l'explosion de nouvelles chaînes financées par la publicité (AVOD), pour certaines disponibles nativement dans les appareils de TV connectée, comme Pluto TV (Paramount Global) ou Mango (Molotov/Fubo TV), sans compter l'ouverture de Netflix et de Disney+ à la publicité.

Mais ces raisons n'expliquent pas vraiment tout. Selon nos informations, même si Salto approche le million d'abonnés cette année (entre 800 et 900 000, selon Le Figaro en novembre dernier), et malgré "une montée en puissance régulière au cours des 18 derniers mois en usage autant qu'en nombre d'abonnés", selon NPA conseil dans un communiqué datant du 21 novembre dernier, le service n'a pas décollé.

Pour François Godard, analyste senior chez Enders Analysis, la raison de ce décalage est à chercher dans l'ambition de la plateforme de concurrencer des acteurs comme Netflix. "Salto, c'est une erreur dès le départ. Ses actionnaires sont des chaînes gratuites pour lesquelles l'enjeu n'est pas de répliquer Netflix. Comment financer des contenus originaux avec un million d'abonnés et à des prix d'abonnement très bas ?" Salto perd de l'argent, dégageant autour de 50 à 60 millions d'euros de revenus et 180 millions de pertes brutes pour ses actionnaires, selon Les Echos. "Les seuls à y arriver en Europe sont Canal+ et Sky. Ces acteurs disposent d'une économie d'échelle beaucoup plus grande, en proposant du sport et les services d'autres plateformes en tant qu'agrégateurs", poursuit-il.

Pour François Godard, Salto aurait sans doute très bien fonctionné pour un public friand de contenus télévisuels. "Les actionnaires de Salto ont un avantage fantastique : leurs chaînes , leur notoriété et le fait que la TNT existe toujours et que plein de gens y sont encore attachés pour se divertir et occuper leur temps. Mais comme ce système historique fond avec le départ des nouvelles générations vers le digital, il aurait fallu reproduire ce dispositif collectif sur le numérique avec les codes du numérique. C'est la clé du succès à la fois pour garder ces audiences massives et disposer d'un modèle économique publicitaire qui tienne la route", explique-t-il.

Un modèle de base gratuit, porte d'entrée à tous les contenus gratuits de la TNT, du direct, du replay et pourquoi pas quelques programmes exclusifs et des contenus venant de partenaires tiers serait sans doute plus pertinent. Un modèle où chaque entité garderait son indépendance, pour éviter toute logique de fusion, mais en travaillant collectivement : "Cela pourrait être une plateforme unique qui intégrerait sans aucun biais toutes ces chaînes toujours concurrentes, qui resterait ouverte aussi à des tiers et qui permettrait de maintenir l'écosystème en mesurant ensemble les audiences digitales et en vendant ensemble de la publicité", conclut-il.

Mais ce n'est pas le choix qui a été fait jusqu'à présent. TF1 et M6 ont entériné leur décision de quitter Salto. Des consultations pour vendre la plateforme sont en cours, notamment avec Canal+, selon la Lettre A. "Si le service ne ferme pas, Salto pourrait devenir une marque qui fonctionnerait plutôt comme un canal pour permettre aux chaînes historiques gratuites de mieux faire tourner leurs programmes chez des agrégateur comme Canal+, ce qui leur générerait des revenus supplémentaires. Mais pour cela il faudrait que ces acteurs arrêtent de se voir comme des concurrents et qu'ils discutent en partenaires", explique François Godard.

Les sources proches du dossier nous confirment que du moins deux des trois groupes entendent bien continuer de diffuser leurs contenus chez Salto après la vente. Le lancement d'une offre SVOD à l'échelle française et internationale avec des partenaires a minima européens n'est pas écartée. "L'univers du payant est encombré en France", disent-ils.