Start-up d'autopartage et constructeurs, partenaires ou concurrents ?
Le véhicule du futur sera sans doute davantage un service qu'un bien et les constructeurs devront s'adapter pour ne pas devenir de simples fournisseurs de tôle. Pour eux, l'enjeu est donc de continuer à proposer ce qui fait la valeur ajoutée de l'automobile en évitant d'être court-circuités par de nouveaux venus. Pour cela, ils s'invitent dans le secteur de l'autopartage jusqu'ici plutôt porté par des start-up, qui proposent des locations de voitures entre particuliers (Drivy, OuiCar, Koolicar,) ou gèrent leurs propres flottes de véhicules, que l'on récupère dans des stations, (Zipcar, Communauto).
Mercedez-Benz a lancé la solution d'autopartage Croove en test à Munich, avant de l'étendre à cinq autres villes allemandes en avril dernier. Cette application met en relation des particuliers qui souhaitent louer leur voiture inutilisée (peu importe la marque) avec ceux qui en cherchent une pour quelques jours. Exactement le même service que Drivy ou OuiCar. Chez PSA, on mise sur un agrégateur de solutions de mobilité : Free2Move, lancé en France le 20 juin, regroupe six services d'autopartage en une seule application. Renault est en train de déployer en France son service d'autopartage Mobility, basé sur sa flotte de véhicules et son réseau de concessionnaires, chez lesquels on retire les véhicules de location.
Investissements et rachats en cascade
Les constructeurs proposent aussi des services d'autopartage B2B, permettant aux entreprises de mettre à profit leurs flottes inutilisées le weekend. RCI Mobility, filiale de Renault-Nissan, fournit même aux entreprises les outils pour mettre en place leurs propres plateformes. Les véhicules des entreprises sont également une opportunité intéressante pour les start-up d'autopartage, car ils peuvent venir grossir la taille de leurs flottes. OuiCar a commencé à développer cette activité avec des véhicules de la SNCF présents en gare et souhaite l'étendre à d'autres grands comptes.
Cette offensive des constructeurs dans l'autopartage s'accompagne de prises de participations dans les start-up du secteur, comme PSA dans Communauto, TravelCar et KooliCar ou Toyota dans la jeune pousse américaine Getaround. Certaines start-up de l'autopartage se sont alliées à d'autres acteurs de la mobilité et des transports : Zipcar a été racheté par le loueur traditionnel Avis, tandis que la SNCF a fait l'acquisition de OuiCar en 2015.
Service | Membres | Flotte de véhicules | Couverture (arrivée en France) | Modèle éco | Obtention du véhicule | Investisseurs |
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Autolib, Bluecub, Bluely (Bolloré) | 154 000 | 4 510 | Paris (2011), Bordeaux, Lyon | B2B, B2C | Stations | NP (grand groupe) |
Citiz | 25 000 | 1 000 | France (2002) (12 structures métropolitaines ou régionales) | B2C | Stations | NP (coopérative) |
Communauto | NC | 2 000 | Paris (2012), Canada | B2C, B2B | Stations | PSA, RATP Capital Innovation |
Drivy | 1 000 000 | 40 000 | France (2010), Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne | B2C | Entre particuliers | Nokia Growth Partner, Via ID, Index Ventures, Bpifrance |
Free2Move (PSA) | 250 000 | NP (agrégateur) | France (2017), Allemagne, Autriche, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Suède | B2C | Entre particuliers, parkings, gares et aéroports, stations | NP (grand groupe) |
KooliCar | 220 000 | 5 000 | France (2011) | B2C | Entre particuliers | PSA, ADEME, MAIF |
OuiCar | 1 000 000 | 30 000 | France (2012) | B2C | Entre particuliers | SNCF (propriétaire) |
Renault Mobility | NC | NC | France (2016) | B2B, B2C | Concessionnaires | NP (grand groupe) |
TravelCar | 500 000 | 50 000 | France (2012), Etats-Unis, Maroc, Tunisie, | B2C | Parkings, gares et aéroports | PSA, MAIF Avenir |
Zipcar | 950 000 | 12 000 | France (2014) (15 villes), Allemagne, Autriche, Canada, Espagne, Etats-Unis, Royaume-Uni, Turquie | B2B, B2C | Stations | Avis (propriétaire) |
Si certaines de leurs offres peuvent être concurrentes, constructeurs et sociétés d'autopartage ont aussi besoin les uns des autres. Pour les start-up d'autopartage, surtout celles qui fonctionnent sur un modèle de location de particulier à particulier, les constructeurs sont une opportunité de grossir et professionnaliser la flotte avec des véhicules récents et entretenus. Elles ont également besoin que les constructeurs intègrent dès la conception des boîtiers d'autopartage qui permettent de déverrouiller une voiture depuis son smartphone, sans avoir à rencontrer le propriétaire pour qu'il remette les clés.
Drivy, qui n'a aucun constructeur au capital, n'a pour l'instant réalisé que quelques opérations mineures avec Dacia et Volkswagen. Mais pour son fondateur Paulin Dementhon, les synergies sont évidentes : "A partir du moment où la voiture est consommée sur des plateformes comme la nôtre, il y a forcément des possibilités de partenariats pour que les constructeurs fournissent des véhicules, de la visibilité et du co-marketing." Pourquoi, dans ce cas, ces opportunités ne se sont-elles pas encore concrétisées ? "Certains constructeurs se disent 'on aimerait bien avoir notre propre plateforme, on ne va pas ouvrir les portes tout de suite", affirme-t-il. "Ils ne savent pas bien s'ils doivent y aller eux-mêmes où avec nous", abonde Marion Carrette, fondatrice de OuiCar.
La concurrence n'inquiète pas Paulin Dementhon pour l'instant, car il s'agit de faire grossir la taille du marché. "Le marché de la voiture à la demande est encore minuscule par rapport à ce qu'il peut devenir. L'enjeu ce n'est pas la visibilité, c'est que les gens comprennent qu'ils n'ont pas besoin de posséder une voiture en combinant des solutions de mobilité comme Uber, Drivy, Blablacar etc."
Plateformes ouvertes contre services maison
PSA privilégie une approche ouverte sur Free2Move, où ses propres investissements comme Koolicar ou TravelCar sont mis en compétition avec des concurrents tels Drivy. "Le client veut voir un maximum d'options pour trouver une solution de mobilité," assure Christian Sere Annichini, responsable de Free2Move et de l'autopartage chez PSA. Pourtant, à Madrid, c'est bien un service d'autopartage basé sur ses propres véhicules, Emov, que le groupe a lancé en décembre 2016 via une joint-venture entre Free2Move et le gestionnaire de stationnement EYSA.
Chez Renault, la stratégie est plus solitaire. "Avec Renault Mobility, nous voulons offrir nous-mêmes des services d'autopartage, accessibles dans un mode B2B, que nous proposons pour le compte de nos clients," explique Benoît Joly. En B2C, il évoque plutôt "une approche de partenariats, de prise participations et un travail d'écosystème", même si là aussi Renault propose sa propre plateforme Mobility. "Il y a un certain nombre d'acteurs intéressants soit à racheter, soit avec lesquels travailler," estime-t-il.
Dans cette compétition, chacun est confiant dans ses capacités à sortir du lot grâce à son cœur de métier. Pour les start-up d'autopartage, il s'agit du savoir-faire en matière de plateforme, estime Marion Carette. "Je pense que les constructeurs auront besoin de nous. Ils vont se rendre compte à un moment donné que c'est un autre métier et qu'il y a plein de choses qu'ils ne sauront pas faire. "Le débat ne porte pas sur la qualité de la plateforme, mais sur la manière d'apporter la meilleure expérience client dans la voiture," tranche Benoit Joly. Il rappelle d'ailleurs que Renault s'est doté de capacités cloud pour développer sa plateforme de services, notamment grâce à l'acquisition de Sylpheo par Renault-Nissan l'année dernière. Qu'ils collaborent avec les start-up d'autopartage ou non, les constructeurs devront développer ces savoir-faire. Car ils préparent la prochaine étape, celles des véhicules autonomes. "On ne sera plus seulement dans du software, prévient Benoit Joly. "Il sera crucial de maîtriser tous les composants, du véhicule jusqu'à la plateforme."