Nicolas Brusson (BlaBlaCar) "Je prépare les équipes et le business de Blablacar à une reprise très lente sur 12 à 18 mois"

Le JDN lance une série d'interviews sur la réaction des entreprises à la crise du coronavirus. Premier cas : le DG de BlaBlaCar nous explique comment il gère l'évaporation de son chiffre d'affaires.

JDN. Quel est l'impact du coronavirus sur vos services de covoiturage et de bus ? 

Nicolas Brusson est le directeur général et co-fondateur de BlaBlaCar. © BlaBlaCar

Nicolas Brusson. Presque tout est à l'arrêt. Nous avons suspendu nos lignes BlaBlaBus partout en Europe. Sur le covoiturage, nous avons décidé de poursuivre notre activité, notamment en France, avec l'accord du ministère des Transports, qui souhaite que des solutions continuent d'exister pour les gens qui ont besoin de se déplacer pour travailler. Mais nous ne réalisons plus que 1 à 2% de notre activité normale sur BlaBlaCar et 5 à 10% sur BlaBlaLines (covoiturages courte-distance, ndlr). Et puisque nous sommes dans une logique d'entraide, nous avons supprimé notre commission. Certains pays, comme, la Russie ou l'Inde, ont aussi interdit les covoiturages, tandis que d'autres (Brésil, Mexique) autorisent encore les voyages en bus.  

Vous ne générez donc plus un seul euro de chiffre d'affaires ? 

Oui, nous sommes en baisse de 100% puisque nous avons supprimé notre commission en Europe et que nous n'en prélevions pas encore sur les autres marchés.  Nous avons la chance d'être un réseau de transport sans coûts fixes, ce qui nous permet de réduire la voilure très vite, puisque les covoitureurs sont des particuliers, et que les bus de BlaBlaBus sont opérés par des entreprises partenaires. Mais la situation est très difficile pour ces dernières, avec des risques de faillites, car en plus des contrats avec BlaBlaBus ou FlixBus, les autocaristes vivent principalement du tourisme, qui s'est effondré. 

"Nous sommes un réseau de transport sans coûts fixes, ce permet de réduire la voilure très vite"

Avez-vous activé des mécanismes d'aides proposés par l'Etat pour surmonter la crise ? 

La seule chose que nous avons mise en place est le chômage partiel, principalement en France, mais aussi en Allemagne. Toutes les équipes opérationnelles, service clients, et marketing direct sont au chômage partiel. Cela représente un bon tiers de nos salariés. Nous avons décidé de conserver quasiment 100% des équipes tech, produit et ingénierie, car nous ne sommes pas dans une logique de sur-économiser en sous-investissant dans le futur et l'innovation. Nous n'avons pas encore contracté de prêt garanti par l'Etat, car nous estimons qu'il faut respecter une sorte d'ordre. : il y a des sociétés qui n'ont plus qu'un ou deux mois de cash, elle sont prioritaires. Même avec un scénario de retour progressif sur 18 mois, nous avons de quoi tenir. Nous étudions tout de même l'option du prêt, qui nous aiderait à combler le trou créé par la crise dans nos réserves de cash et nous éviterait peut-être de devoir lever des fonds dans un an.  

Puisque vos services sont à l'arrêt, réfléchissez-vous à lancer d'autres produits qui auraient leur place durant cette période de confinement ? 

"Nous étudions l'option du prêt, qui nous éviterait de devoir lever des fonds dans un an"

Nous avons organisé un hackhathon les 2 et 3 avril. L'idée était de se demander comment nous pouvions utiliser nos forces, une base de 17 millions d'inscrits en France et un système de notation renforçant la confiance. Nous allons lancer un nouveau service, qui sera annoncé prochainement. Ce n'est évidemment pas un nouveau business qui nous rapportera de l'argent, mais simplement une solution pour aider.  

N'avez-vous pas peur que votre business souffre durablement, bien après le confinement ? Les réflexes de distanciation n'incitent pas au covoiturage, et le bus aura du mal à repartir si le tourisme ne revient pas... 

Je ne crois pas du tout à un retour à la normale rapide avec une courbe en V. Psychologiquement, technologiquement et financièrement, je prépare les équipes et le business à une reprise lente sur 12 à 18 mois. Le déconfinement sera progressif, tout comme la reprise des voyages. Toutefois, je pense que le covoiturage s'en sortira mieux que les bus. Les gens se diront qu'en termes de contamination, mieux vaut être dans une voiture privée à quelques-uns, plutôt que des dizaines dans un bus qu'il faudra prendre en passant dans une gare elle aussi fréquentée.  D'un point de vue business aussi, le redémarrage du bus sera difficile, car si nous payons nos partenaires pour opérer des bus pas assez remplis, nous perdrons plus d'argent qu'en maintenant le service à l'arrêt.

Nicolas Brusson est le co-fondateur de BlaBlacar. Avant de lancer la start-up en 2007 avec Frédéric Mazzella et Francis Nappez, il a travaillé cinq ans pour un fonds d'investissement en capital-risque londonien. Auparavant directeur opérationnel, il est devenu directeur général de BlaBlaCar en 2016 à la place de Frédéric Mazzella, désormais président de la start-up.

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