Avez-vous intérêt à posséder des bitcoins ?
La volatilité de son cours et le risque de liquidité qui pèse sur la monnaie virtuelle en font un investissement très incertain.
"J'ai vendu tous mes bitcoins." Venant d'un ex Google qui avait claqué la porte du géant du web pour se consacrer tout entier au développement du système de paiement sur lequel repose la célèbre monnaie virtuelle, la confidence a de quoi surprendre, voire effrayer un tantinet. Car "le réseau est sur le point de connaître un effondrement technique, ajoute Mike Hearn, dans un billet posté sur son blog en janvier 2016. Les mécanismes qui auraient dû empêcher que cela se produise sont tombés en panne."
"On pourrait presque dire que le bitcoin est une action technologique"
Alors, les détenteurs de la devise électronique doivent-ils, comme lui, prendre leurs jambes à leur cou ? Interrogé par le JDN, l'expert ne s'aventure pas sur ce terrain. "C'est à chacun d'évaluer le risque qu'il prend avec des investissements." Faut-il au contraire accourir sur une place de marché pour troquer des euros contre des bitcoins ? Gonzague Grandval, cofondateur de la plateforme Paymium, où près de 2 millions d'euros ont été échangés contre des bitcoins en janvier 2016, ne dira pas le contraire. Mais de là à conseiller aux épargnants d'investir dans le bitcoin, il y a un pas que l'entrepreneur se refuse à franchir : par prudence – "Ce n'est pas notre métier" – mais aussi parce qu'il a bien conscience des limites du bitcoin en tant que produit d'investissement. "La technologie est jeune, le marché est petit donc soumis à de fortes variations à court terme, qui peuvent faire le régal de certains professionnels mais ne sont pas adaptés à des particuliers qui voudraient placer une somme importante. Vous pouvez perdre ou gagner 20 à 30% en quelques jours".
Cette forte volatilité, la Banque de France l'avait pointée du doigt fin 2013, dans une publication consacrée aux dangers liés au développement des monnaies virtuelles. A l'époque, le cours du bitcoin culminait à plus de 1 100 dollars, contre moins de 400 début février 2016.
L'institution soulevait également d'autres limites à l'utilisation du bitcoin comme support d'investissement : sa valeur n'est adossée à aucune activité réelle, n'est représentative d'aucun actif sous‑jacent, et le risque juridique lié à son statut de monnaie non régulée existe. "Le bitcoin présente peu ou pas d'intérêt pour une utilisation par les acteurs économiques, au‑delà des aspects marketing et publicitaire, tout en les exposant à des risques importants", concluait-elle. Yoni Assia, PDG et cofondateur de la plateforme trading eToro, qui offre à ses clients la possibilité d'investir dans le bitcoin depuis 2014, le dit autrement : "Investir dans le bitcoin témoigne d'un certain état d'esprit, ça dit quelque chose au sujet de qui vous êtes et ce en quoi vous croyez. La plupart des investisseurs Bitcoin le font parce qu'ils croient dans le nouveau monde que Bitcoin représente, et pas nécessairement parce qu'ils sont à la recherche d'une autre classe d'actifs."
"La plupart des investisseurs bitcoin le font parce qu'ils croient dans le nouveau monde que bitcoin représente"
Peu élogieuse à l'égard de la devise électronique, la Banque de France a au moins le mérite d'être plus diserte que les banques de détail. Aucun des deux réseaux bancaires sollicités par le JDN n'a en effet souhaité s'exprimer sur le bitcoin. En revanche, ils étaient tous les deux prêts à évoquer le potentiel de la "blockchain", la technologie qui le sous-tend, au travers des initiatives auxquelles ils participent sur ce thème : le Bizhackathon Blockchain pour BNP Paribas et "laboratoire d'innovation" ainsi que le consortium Blockchain de R3 pour BPCE. Au sein du groupe qui coiffe les réseaux Caisse d'Epargne et Banque Populaire, on murmure même que le bitcoin n'a en aucun cas les caractéristiques d'un placement et d'un produit d'épargne.
Gonzague Grandval n'est, sans surprise, pas de cet avis. "A long terme, il s'agit d'un placement intéressant", lâche le confondateur de Paymium. Ce dernier ose même la comparaison avec le marché boursier : "On pourrait presque dire que le bitcoin est une action technologique. Posséder un bitcoin, c'est posséder un vingt et un millionième du réseau bitcoin." Comme l'ont décidé les créateurs de la monnaie virtuelle, il n'y aura en effet jamais plus de 21 millions de bitcoins en circulation.
Une caractéristique qui en fait selon l'économiste Philippe Herlin un placement comparable à… l'or, dont la quantité est aussi limitée. Pas besoin de pousser beaucoup plus l'auteur de "La Fin des banques ?" pour qu'il dégaine son expression fétiche "d'or numérique".
"Même en cas de crise grave, vous pouvez garder vos avoirs en bitcoins"
D'autant que son parallèle entre la devise électronique et le métal précieux ne s'arrête pas là. "Comme à tout autre actif réel, il ne faut y consacrer qu'une partie de son épargne. Les plus prudents peuvent n'y mettre que quelques pourcents et ceux qui ont davantage le goût du risque peuvent y mettre plus. Une chose est sûre : ceux qui aiment le risque n'ont pas intérêt à aller sur les marchés actions, en baisse depuis le début de l'année. Il vaut mieux qu'ils investissent dans le bitcoin."
Attention toutefois à ne pas pousser l'analogie trop loin : la propension du bitcoin à se volatiliser est, eu égard à son caractère virtuel, plus élevée que celle de l'or qui est un actif tangible. Le souvenir de la faillite de MtGox et de la disparition de quelques 200 000 bitcoins, équivalant à l'époque à 51 millions d'euros et par la suite retrouvés, ainsi que les problèmes de vol par des hackers rencontrés par certains sites, sont là pour rappeler cette prédisposition.
"Aucune garantie n'est offerte sur la liquidité future de l'investissement réalisé"
Autre avantage cependant du bitcoin, pour Philippe Herlin : il est insaisissable. "Un compte en bitcoins n'est pas logé dans une banque. Si une crise avec faillite bancaire se produit et que toutes vos économies se trouvent dans le circuit bancaire, vous pouvez tout perdre. Même en cas de crise grave, vous pouvez garder vos avoirs en bitcoins, comme les tableaux que vous avez achetés, votre logement… Vos assurances-vie, elles, peuvent être lessivées."
Oui mais… encore faut-il pouvoir récupérer sa mise. "Aucune garantie n'est offerte sur la liquidité future de l'investissement réalisé, qui dépendra du volume futur de participants de marché.", peut-on lire dans une publication de l'Autorité des marchés financiers datant de 2014. En d'autres termes, les investisseurs conservent certes leurs bitcoins mais ne peuvent les échanger contre des devises que si d'autres veulent bien les leur acheter.
Par les temps où même ceux qui ont construit le navire le quittent, cela peut poser problème.