Ismail Ahmed (WorldRemit) "Nous comptons 2,5 millions d'utilisateurs dans le monde"

Le spécialiste du transfert d'argent entre particuliers a réalisé un chiffre d'affaires de 41 millions de livres en 2016. Il enregistre désormais près de 580 000 transactions par mois.

Ismail Ahmed, président-fondateur de WorldRemit. © WorldRemit

JDN. Vous avez lancé votre service web et mobile en France fin 2015. Quel bilan tirez-vous ?

Ismail Ahmed. La France est l'un des plus gros marchés d'Europe en termes d'envoi de fonds, mais la majorité des transferts ont lieu via des réseaux informels (par des particuliers ou des communautés organisées, ndlr). La part informelle des envois de fonds depuis la France est probablement l'une des plus importantes d'Europe. Et pour ce qui est des transferts formels, 97/98% des transferts depuis la France se font offline. Mais c'est en train de changer. Nous faisons partie des premiers acteurs digitaux en Europe à influer sur la façon dont les gens envoient de l'argent. Autre constat : les Philippines et l'Afrique sont des destinations privilégiées pour les envois depuis la France.

Justement, quel est le profil de votre cible en France ?

L'expéditeur classique, c'est l'infirmière philippine qui envoie de l'argent régulièrement à des membres de sa famille restés au pays. Nos clients réguliers effectuent en moyenne trois transferts par mois. Le montant moyen des transactions est de 200 euros.

"Près de la moitié des transactions sont réalisées depuis l'Europe"

Combien de transactions enregistrez-vous par mois ?

Fin décembre, nous étions à 580 000 transactions au niveau mondial, contre 330 000 en janvier 2016. Près de la moitié sont réalisées depuis l'Europe, dont une grosse partie depuis la France.

Comment vous différenciez-vous de Transferwise ou de Western Union ?

Transferwise s'adresse à des individus bancarisés qui envoient de l'argent d'un pays européen à l'autre, ou de l'Europe vers les Etats-Unis. Souvent, c'est de l'argent qui passe d'un compte bancaire à un autre. L'utilisateur a besoin d'un compte bancaire pour utiliser le service.

Nos services s'adressent à des immigrés qui envoient souvent de l'argent en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine à des destinataires qui ne sont pas forcément bancarisés et qui doivent donc collecter du cash. Notre vrai concurrent, c'est donc Western Union. Mais à leur différence, nous n'acceptons pas de cash de la part de l'expéditeur. Chez nous, il ne peut y avoir du cash que du côté du receveur : s'il décide de retirer les fonds en espèces à un guichet local. Mais les transactions se font principalement via des comptes Mobile Money. L'expéditeur envoie de l'argent depuis l'application et la somme arrive sur un compte Mobile Money. Chez Western Union, 94% des transactions se font encore en cash.

"Notre vrai concurrent, c'est Western Union"

A combien estimez-vous votre part de marché aujourd'hui ?

Nous sommes le plus gros acteur digital indépendant sur le marché du transfert d'argent. Western Union est le premier acteur sur ce marché, avec 13% de part de marché. Moneygram arrive deuxième. A eux deux, ils totalisent un peu moins de 20% de parts de marché. Nous arrivons en troisième place. Nous sommes encore un acteur de taille très petite en comparaison mais nous connaissons une croissance rapide, et c'est un marché énorme. Nous sommes la fintech européenne la plus internationale, parce que nous envoyons de l'argent depuis 50 pays dans plus de 140 pays. Plus de 80% de notre chiffre d'affaires est généré à l'extérieur du Royaume-Uni, où nous sommes basés.

Vous avez enregistré un chiffre d'affaires de 27 millions de livres en 2015, combien avez-vous réalisé en 2016 ?

Nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 41 millions de livres en 2016.

Etes-vous rentable ?

Cela dépend de quel point de vue on se place. Nous pourrions l'être si nous le voulions mais nous avons choisi d'investir. Dans le marketing, en particulier. Sans cela nous aurions pu atteindre la rentabilité cette année.

"De nouvelles embauches sont prévues en 2017"

Combien d'utilisateurs comptez-vous aujourd'hui ?

En comptant nos deux types de clients, les expéditeurs et les destinataires, nous touchons au total 2,5 millions d'utilisateurs dans le monde.

Vous avez levé près de 150 millions de dollars depuis votre création, à quoi a servi cet argent ?

Nous avons fait notre première levée en 2014. Nous avons utilisé cet argent pour obtenir des licences aux Etats-Unis, où il faut une licence par Etat. Nous en sommes à 49, donc il nous en manque peu. Nous avons aussi fait des dépenses de brand awareness, de marketing et, le plus important pour nous, nous avons utilisé cet argent pour notre fonds de roulement. Nous avons besoin de beaucoup de cash pour offrir des transferts instantanés. Nous acceptons que nos clients nous paient par carte de débit ou de crédit et cela peut prendre plusieurs jours avant que nous touchions cet argent. Pendant ce temps-là, nous devons continuer à offrir des transferts instantanés.

"Nous pourrions être rentables mais nous avons plutôt choisi d'investir"

La fintech étant une industrie très régulée, nous avons par ailleurs besoin d'investir beaucoup d'argent pour nous mettre en conformité avec les normes de chaque Etat. C'est là que beaucoup d'entreprises technologiques se trompent : elles rognent sur ces dépenses au début et du coup font face à des enquêtes, des réactions de la part des régulateurs. C'est le cas de beaucoup d'entreprises de prêts P2P. Nous avons adopté une approche différente, très lente et très coûteuse. Nous avons décidé d'obtenir toutes les licences les unes après les autres plutôt que de choisir des chemins certes plus rapides mais plus risqués.

Aujourd'hui, quel est l'effectif de WorldRemit ?

330 personnes travaillent pour WorldRemit dont 260 rien qu'à Londres. Nous avons recruté plus de 60 personnes les 12 derniers mois. Nous sommes toujours en train de bâtir l'équipe.

Quels types de profils recherchez-vous pour grossir les rangs ?

Des ingénieurs mobiles, ingénieurs back end, une équipe de conformité. Nous embauchons aussi dans le business development, dans le marketing…

Vous comptez embaucher en 2017 alors ?

Absolument, parce que nous connaissons toujours une croissance rapide.

Comment gagnez-vous de l'argent, uniquement sur les commissions prélevées sur les transferts ?

Nous nous rémunérons sur les transferts mais c'est très transparent. Nous faisons gagner beaucoup d'argent à nos clients, notamment aux destinataires des fonds qui habitent des petits villages et qui, sans une solution comme la nôtre, seraient obligés de se rendre dans des grandes villes pour collecter l'argent qu'on leur a envoyé. Quelqu'un au Kenya qui veut se rendre à Nairobi par exemple va peut-être devoir dépenser entre 10 et 15 dollars pour s'y rendre. Mais nous sommes connectés aux services de Mobile Money et ils peuvent obtenir l'argent sans avoir à quitter leur village.

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