Le livre papier est-il menacé par une révolution digitale ?

Le livre papier un objet culturel parfaitement abouti et inchangé depuis plus de 500 ans. Est-il menacé par une révolution digitale ? Va-t-il utiliser le digital pour se renforcer ?

Promis il y a 20 ans, à rapidement disparaître au profit du livre numérique, le livre papier est toujours là. Il représente même plus de 90% des ventes de livres en France. Comment s’explique cette survie extraordinaire alors que dans le même temps les CD et les cassettes ont disparu, en même temps que les disquaires ? La révolution digitale aura-t-elle lieu dans le monde du livre, et, à quoi pourrait-elle ressembler ? 

Bien que boosté par les confinements successifs, le livre numérique ne dépasse pas 10% du CA des éditeurs français. Et, il y a un an, à la sortie du premier confinement, les libraires ont fait un été exceptionnel et ainsi illustré l’attachement des lecteurs aux livres papier et à leurs lieux de vente.

Le livre papier occupe le devant de la scène pour de nombreuses raisons. Parce qu’il est un objet qu’on offre – le livre reste le premier cadeau de Noël - et qu’un cadeau sera plus facilement un livre papier qu’un fichier à télécharger. Mais aussi parce qu’il circule : les lecteurs parlent des livres qu’ils ont aimé et ils sont nombreux à les faire voyager ; « j’ai adoré Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, si tu veux, je te le prête… ». Les livres passent ainsi de main en main, ce que des livres numériques ne sauraient faire. Les boites à livres illustrent également la propension du livre à voyager. La prévalence du livre papier est aussi à chercher dans une multitude d’autres facteurs ; les enfants apprennent la lecture avec du papier ; la lecture est une activité refuge, à l’abri des sollicitations permanentes des outils numériques, elle privilégie le recours au livre déconnecté… 

C’est certainement l’attachement des lecteurs à l’objet papier qui a protégé le secteur d’une extinction en masse des livres papier, équivalente à celle des CD audio ou des cassettes vidéo. La révolution digitale connue des autres secteurs culturels s’était accompagnée d’une transformation du mode de consommation et d’une digitalisation de l’objet culturel lui-même. Pour que la révolution opère et que le marché soit transformé, il a fallu qu’on écoute majoritairement sa musique ou qu’on regarde ses séries avec son téléphone. 

Si la préférence des lecteurs pour le livre papier a mis jusqu’à maintenant le secteur à l’abri d’une révolution digitale comparable à celle d’autres marchés culturels, une transformation est nécessaire pour ce secteur massif qui détruit chaque année 25% des livres fabriqués, sans qu’ils aient été lus.

Le livre reste bien culturel le plus acheté par les Français. Dans un contexte d’érosion des ventes, le marché du livre bascule paradoxalement dans une logique de surproduction. Alors que le budget consacré aux livres par les Français a été divisé par deux depuis 1968, le nombre de nouveautés publiées chaque année a triplé pour atteindre 70.000 titres par an ! Ainsi, il se produit chaque année autant de livres qu’un gros lecteur pourrait en lire en 19 vies. Dans le même temps les éditeurs font des tirages supérieurs aux ventes attendues afin de rendre les livres plus visibles dans les points de vente. Il en résulte que pour une tonne de papier consommée, seule la moitié se retrouve dans des livres vendus.

La révolution digitale du monde du livre reste à venir avec comme enjeu clé de faciliter la rencontre entre l’offre et la demande. En pratique, comment organiser la rencontre entre un livre et ses futurs lecteurs ? Comment recommander aux lecteurs leurs futurs coups de cœur ?

A quoi ressemblera la révolution digitale du livre si elle ne transforme pas l’objet livre et son mode de consommation ? Elle reposera sur la technologie et en particulier sur des outils de recommandation personnalisés. Ce sont ces algorithmes qui ont créé la révolution digitale dans le monde de la musique. Dans le secteur du livre, des outils similaires existent désormais. 

Leur généralisation va conduire à un changement de modèle ; comme dans la musique on va passer progressivement d’un modèle où les goûts sont guidés par un centre (les maisons d’édition, les libraires, les critiques) à un modèle décentralisé, plus guidé par les lecteurs. Ce nouveau modèle, partant des goûts des utilisateurs, va renforcer la légitimité des lecteurs quelles que soient leurs lectures. Il devrait ainsi élargir l’accès d’un plus grand nombre de personnes à la lecture.

Les acteurs du livre sont-ils prêts au changement qui sera induit par ces technologies ? Les pratiques évoluent de manière accélérée ; les libraires développent de nouvelles manières de vendre avec des boutiques en ligne ou le clic and collect. Les éditeurs investissent le digital pour faire la promotion de leurs titres et animer des communautés de lecteurs.

Approfondir la connaissance du lectorat et utiliser des services ultra-personnalisés est la prochaine frontière pour le secteur du livre pour les libraires comme pour les éditeurs. Loin de s’opposer aux conseils du libraire, les suggestions issues d’un algorithme sont complémentaires ; elles sont un nouveau moyen pour créer de l’intérêt pour la lecture et in fine des ventes de livres ; donc de nouveaux clients en librairie. L’utilisation de ces technologies par les éditeurs peut aider chaque livre à trouver ses lecteurs, mais, utilisées plus en amont, elles pourront bientôt aider à ajuster l’offre à la demande en aidant par exemple à estimer les volumes.

Les nouvelles technologies de recommandation sont une opportunité pour le livre et pour le secteur du livre. Bien utilisées, elles peuvent transmettre le goût de la lecture, notamment auprès de nouveaux publics, dont les plus jeunes. Utiliser les algorithmes les plus pointus et le machine learning pour promouvoir la lecture, le livre papier, les éditeurs et les libraires… la révolution digitale du livre est en marche et le vénérable livre papier en ressortira renforcé.

Par Guillaume Debaig, Président et Co-fondateur de Gleeph