Contrainte par l'UE, la France fait marche arrière dans la réglementation des sites pornographiques

Contrainte par l'UE, la France fait marche arrière dans la réglementation des sites pornographiques Si la régulation des sites pornographiques mise en place par la loi numérique est maintenue, celle-ci ne concerne désormais que les sites implantés en France ou hors de l'Union européenne.

En grand danger faute de conformité avec le droit européen, la loi SREN (Sécuriser et Réguler l'Espace Numérique) pourrait finalement survivre. Mais à quel prix ? Accusée par la Commission européenne d'empiéter sur le droit de l'Union via un avis circonstancié daté du 25 octobre, la France a accepté certaines concessions pour sauver son projet de loi.

Ces concessions ont pris la forme d'amendements réalisés par la commission mixte paritaire, chargée de trouver un compromis après le premier vote des deux assemblées. Le texte final, approuvé par le Sénat le 2 avril, doit désormais être soumis au vote définitif de l'Assemblée nationale ce 10 avril. Il reprend les grands axes du texte original, à quelques détails près.

Une portée très limitée

La partie sur la réglementation des sites pornographiques, l'un des grands chantiers de la loi SREN, est sans doute celle qui pâtit le plus des changements apportés par la commission mixte paritaire. Le texte original permettait à l'Arcom d'ordonner le blocage des sites pornographiques qui ne contrôlent pas l'âge de leurs utilisateurs sans l'intervention du juge judiciaire. Le texte final prévoit toujours un tel pouvoir pour l'Arcom, mais seulement pour les sites pornographiques établis en France ou hors de l'Union européenne.

Une concession nécessaire pour ne pas empiéter sur le droit de l'UE. L'arrêt "Google Ireland", rendu en novembre dernier, empêche en effet un Etat de prendre des mesures générales et abstraites à l'encontre d'une plateforme qui n'est pas localisée sur son territoire. Un principe "également présent dans la directive sur le commerce électronique adoptée en 2000", rappelle Claire Poirson, fondatrice du cabinet d'avocats Firsh. De plus, le DSA (Digital Service Act) a désigné en décembre trois plateformes (Pornhub, Stripchat et XVideos) qui doivent respecter une série d'obligations, notamment sur la vérification de l'âge de leurs utilisateurs.

Même si elle juge que leurs efforts pour empêcher les mineurs d'accéder à leurs contenus sont insuffisants, l'Arcom ne pourra donc pas ordonner le blocage des sites suivant : Pornhub (siège social au Luxembourg), Stripchat (siège social à Chypre), XVideos (siège social en République tchèque), tous les sites édités par le groupe Mind Geek qui est établi au Luxembourg (Pornhub donc mais également Youporn ou encore Brazzers).

Cette liste non exhaustive permet de se rendre compte que la loi SREN possède désormais une portée limitée en termes de réglementation de la pornographie. De même, les messages d'avertissement censés prévenir les scènes simulant un viol seront seulement obligatoires pour les sites basés en France ou hors de l'UE. Si la loi SREN est inopérante pour les autres sites, "il sera toujours possible de saisir les juridictions locales", fait remarquer Claire Poirson.

Le dispositif de vérification d'âge toujours pas fixé

Par ailleurs, le texte orignal confiait à l'Arcom la mission d'établir un dispositif technique pour vérifier l'âge des utilisateurs des sites pornographiques. Si ce dispositif ne concerne désormais plus que les sites édités en France et en dehors de l'Union européenne, il n'a toujours pas été mis en place. Le système de double anonymat avait été testé en juin 2023. Depuis, l'Arcom n'a donné aucune nouvelle sur la solution technique qui sera utilisée pour contrôler l'âge des utilisateurs. Pourtant, les délais sont serrés : "Après la promulgation de la loi, l'Arcom a deux mois pour choisir un dispositif technique. Les éditeurs de sites pornographiques auront ensuite trois mois pour s'y conformer", précise Claire Poirson.

Hormis la régulation des sites pornographiques, d'autres modifications ont été apportées par la commission mixte paritaire. L'interdiction qui était faite aux influenceurs de faire la promotion de leur page OnlyFans (ou de tout autre site susceptible d'accueillir du contenu pornographique) sur une plateforme ne restreignant pas l'accès des mineurs a été levée. Et la disposition qui imposait aux réseaux sociaux de signaler aux parents leur enfant mineur susceptible de se livrer à du cyberharcèlement a également disparu.  A noter que l'Arcom devait également fixer un dispositif pour vérifier l'âge des joueurs de Jonum (jeux à objets numériques monétisables) mais le nouveau texte délaisse l'instance de cette mission.

Les autres mesures portées par la loi restent inchangées. "La peine de bannissement des réseaux sociaux et la création d'un nouveau délit d'outrage en ligne sont maintenues", confirme Claire Poirson. Tout comme le filtre anti-arnaque et les mesures qui facilitent la migration d'un cloud vers un autre. "La Commission européenne peut encore estimer que les mesures de conformité prises par la commission mixte paritaire ne sont pas suffisantes", prévient l'avocate. Un scénario qui contraindrait la France a de nouvelles concessions.