Léa Boccara et Pierre Petillault (APIG) "Si la Cour de justice de l'UE donne raison à Meta, tous les réseaux sociaux sortiront du champ des droits voisins"
Le directeur général et la responsable juridique de l'Apig expliquent au JDN pourquoi les plaidoiries qui ont eu lieu ce lundi 11 février devant la CJUE opposant Meta aux éditeurs italiens sont décisives pour la presse française.
JDN. Selon vous, l'obligation des plateformes (Meta, Google, LinkedIn, X…) à reverser aux médias des indemnités au titre des droits voisins se joue en ce moment même au sein de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Pourquoi ?

P. P. D'abord voici le contexte : Meta a souhaité contester la loi italienne du 22 avril 2021 de transposition de la directive européenne sur les droits voisins, jugée excessive par la plateforme. Un recours a été déposé le 21 décembre 2023 par Meta auprès de la CJUE, qui a fini par s'auto-saisir de cette affaire.
Tout a changé pour nous quand en décembre dernier, toujours dans le cadre de cette instruction, la CJUE a posé une question essentielle : les réseaux sociaux, de par leur fonctionnement, relèvent-ils des droits voisins (article 15 de la directive européenne) ou au contraire sont-ils de simples hébergeurs de contenus non soumis à ces obligations (article 17) ? Cette question a une portée générale qui concerne les éditeurs de tous les pays membres de l'UE, et pas uniquement l'Italie. D'où son importance.
Cette saisine s'inscrit dans un contexte général de remise en cause des droits voisins par Meta et les réseaux sociaux en général. Aujourd'hui seul Google est en conformité avec la loi des droits voisins en France, contrairement à X, LinkedIn et Bing (Microsoft). Quant à Meta, nos accords sont arrivés à échéance le 31 janvier dernier sans que de nouveaux aient été mis en place.
Quels sont les arguments de Meta et pensez-vous qu'ils ont des chances de gagner ?
P. P. Pour eux, à partir du moment où c'est l'utilisateur, voire l'éditeur, qui publie le contenu de presse, ce n'est pas à la plateforme sociale d'être redevable. Nous avions répondu contractuellement à cette question en précisant bien que l'acte d'upload des contenus par les éditeurs ne doit pas être rémunéré au titre des droits voisins mais bien toutes les utilisations qui sont faites postérieurement par la plateforme, qui organise leur exposition. Et de notre point de vue, les échanges à titre privé faits lorsque ce sont les utilisateurs qui uploadent les contenus ne constituent pas une exception aux droits voisins vu que Meta les monétise avec de la publicité.
L'audience de ce lundi 10 février a été consacrée aux plaidoiries. Vous les avez consultées. Qu'en pensez-vous ?
L. B. Après les plaidoiries des avocats de Meta et de deux associations d'éditeurs italiens, c'était au tour des gouvernements italiens, français et polonais ainsi que de la Commission européenne de s'exprimer. Au vu de ces plaidoiries, le rapporteur général de la CJUE a posé des questions pour affiner sa compréhension. Ce qui est rassurant, c'est que les trois Etats qui ont plaidé ont tenu la même ligne, à savoir que les réseaux sociaux relèvent bien de l'article 15 et sont soumis aux droits voisins.

La Commission européenne m'a parue plus nuancée et a considéré que la CJUE n'avait pas à trancher la question de l'application de l'article 15 aux réseaux sociaux dans la mesure où le recours de Meta est fait contre une règlementation générale italienne et non contre un cas visant spécifiquement Meta, et donc les réseaux sociaux.
Que se passera-t-il si la CJUE décide que les réseaux sociaux sont de simples hébergeurs?
P. P. Si la CJUE devait donner raison à Meta, tous les réseaux sociaux sortiraient du champ des droits voisins. Et cela impacterait certainement l'attitude de Google, qui n'accepterait probablement pas d'être le seul à payer.
Quand est-ce que la CJUE tranchera cette affaire ?
L. B. D'ici l'été le rapporteur général de la CJUE donnera son avis. Ce sera un moment très important et nous y serons attentifs (souvent la cour a tendance à suivre l'avis du rapporteur général, ndlr). La CJUE devrait rendre sa décision d'ici la fin de l'année.
D'ici là comment pouvez-vous peser sur ce débat ?
P. P. Nous avons fait valoir nos points de vue au niveau européen à travers notre association européenne et en France auprès du gouvernement français. Nous nous réjouissons que le gouvernement français considère que les plateformes sociales sont bel et bien redevables des droits voisins. Ceci étant, nous constatons que cinq après l'adoption de la directive européenne sur les droits voisins et sa transcription en droit français, les droits voisins sont toujours attaqués de toutes parts. Cela devrait interpeller davantage les pouvoirs politiques sur les moyens de pression à adopter pour faire respecter la législation.