Pourquoi le panier moyen de l'e-commerce ne cesse de baisser
Le montant moyen des achats en ligne n'en finit plus de dégringoler et la crise n'est pas seule en cause. Voici comment s'explique le phénomène, qui n'est pas près de ralentir.
Le panier moyen de l'e-commerce n'en finit plus de dégringoler. Selon l'indice des paiements en ligne du JDN, il est passé sous la barre des 80 euros au troisième trimestre 2013, perdant près de 7 euros en un an (lire l'article La croissance de l'e-commerce ralentit à 8% au 3ème trimestre, du 17/10/2013).
Bien sûr, le phénomène s'explique en partie par la crise de la consommation. Les internautes passent plus de temps à chercher le bon produit et le bon prix. Ils prêtent davantage attention à leurs dépenses et les e-marchands les accompagnent en tassant leurs marges. "Toujours à cause de la crise, il n'y a presque plus de gros achats d'impulsion", ajoute Olivier Bernasson, PDG de Pecheur.com. Simon-Pierre de la Seiglière, directeur Europe du Sud de la plateforme de paiement Ogone, ajoute que ne pouvant négocier sur Internet, "certains consommateurs réservent certains gros achats à la distribution physique, où ils peuvent obtenir des rabais".
Toutefois, la crise ne suffit pas à expliquer la baisse du panier moyen de l'e-commerce. "En témoigne la diminution de la part du chiffre d'affaires en ligne réalisé sur des prix discountés dans la mode, vers lesquels les consommateurs se tourneraient davantage sinon", souligne Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. L'autre principale explication au phénomène tient donc à l'arrivée à maturité du secteur, à l'origine de plusieurs mécanismes entraînant le panier vers le bas.
Une offre élargie, des cyberacheteurs matures
D'abord, avec l'élargissement considérable de l'offre disponible sur Internet, jusqu'aux biens numériques vendus quelques centimes, l'achat en ligne s'est banalisé pour tous les produits et tous les prix. "On achète maintenant sur Internet aussi bien des stylos-billes que des couches-culottes, constate Marc Lolivier. Or ce n'était pas le cas il y a seulement trois ans, lorsque seuls les produits culturels tiraient vraiment le panier vers le bas." Olivier Bernasson a également vu changer la configuration du panier de Pecheur.com, qui contient bien plus de consommables - fils, hameçons et autres mouches - qu'auparavant. Le cyberacheteur ne se limite donc plus aux prix intermédiaires et envisage tous les types d'articles, la crise se chargeant d'écrêter les gros achats.
Ce que la montée en puissance des marketplace amplifie encore. "Les marchands y placent plutôt des petits produits d'appel, notamment pour tester la vente en ligne lorsqu'ils ne disposent pas encore de site à eux", note Pierre-Simon de la Seiglière. Plus largement, Marc Lolivier explique que "les places de marché contribuent à l'extension de l'offre mise en avant sur Internet"... qu'encore une fois la crise écrête.
Par ailleurs, les consommateurs ont appris à ne plus succomber au cross-selling et aux autres carottes habilement disposées par les marchands pour augmenter le panier. "Toutes ces actions marketing avaient une efficacité redoutable, se souvient Olivier Bernasson. Aujourd'hui, les clients les utilisent lorsqu'ils le souhaitent, mais c'est tout."
Les usages en matière de livraison évoluent
A cette arrivée à maturité du secteur s'ajoute un certain nombre de tendances qui pèsent lourd sur le montant moyen des achats en ligne. A commencer par d'importantes évolutions en matière de logistique et de livraison. "Les frais de port étant de plus en plus fréquemment offerts, ou à des seuils de plus en plus bas, les acheteurs hésitent moins à disperser leurs achats en ligne plutôt que de les regrouper en une grosse commande", relève Ghadi Hobeika, directeur marketing de Pixmania.
Globalement, l'augmentation du nombre d'achats compense néanmoins largement la baisse du panier. Ce qui porte Olivier Bernasson à tempérer : "Nous sommes ravis de 'voir' nos clients plus fréquemment, on les fidélise mieux et on construit une relation plus solide avec eux." Le patron de Pecheur.com remarque cependant qu'il n'est pas aussi facile de gérer un panier à 50 euros qu'à 80 : "La logistique est la même, mais pas la marge. Le modèle du marchand doit donc être parfaitement calé, s'il veut pouvoir supporter la baisse du panier."
L'évolution des modes de livraison contribue aussi à diminuer le panier moyen de l'e-commerce. Le panier contient les frais de port, donc une livraison offerte retire facilement 3 ou 4 euros à une commande. "Par conséquent, l'essor du drive, du click-and-collect et des points de retrait, pour lesquels l'expédition est généralement offerte, tirent globalement le panier vers le bas", explique Marc Lolivier. Ce qui, en soi, découle d'ailleurs en grande partie de la montée en puissance des retailers.
Le panier change aussi avec les acteurs
A ce titre, observer l'évolution du rapport de force des acteurs de l'e-commerce offre une clé supplémentaire pour comprendre la diminution du panier moyen. "Avec la progression sur le Web de la grande distribution, les achats de produits de grande consommation, peu onéreux, explosent", indique Simon-Pierre de la Seiglière. Cette recomposition du paysage n'est bien sûr pas réservée aux grandes surfaces. Le secteur de l'habillement aussi voit des acteurs tels que Kiabi prendre le pouvoir sur Internet, avec des t-shirts qui débutent à 2 euros.
"Même chez les pure players, ceux qui enregistrent une forte croissance tournent sur des petits paniers, comme Amazon, Asos, Zalando ou Showroomprivé", ajoute Jean-Emile Rosenblum, cofondateur de Pixmania et PDG de TheKase. Sans que la typologie des produits achetés ne change pour autant, les achats se déplacent probablement chez ce type d'e-commerçants, dont le panier moyen tourne autour de 50 euros.
Jusqu'où baissera le panier moyen de l'e-commerce ?
Il ne serait que très logique que le montant moyen des achats en ligne continue à s'effriter. "Je ne vois pas pourquoi il ne baisserait pas encore dans l'avenir, accompagnant la montée en puissance des retailers et des produits de grande consommation, commente Simon-Pierre de la Seiglière. Le fait que Vente-privee.com commercialise aujourd'hui des Pom'Potes, à toutes petites marges, est d'ailleurs assez révélateur."
Plus généralement, le milieu de l'e-commerce s'accorde aujourd'hui à penser que les frontières qui le séparaient de la distribution physique sont en train de tomber. "Si l'e-commerce se fond dans le commerce, il est alors naturel que son panier se rapproche de celui du retail", résume Marc Lolivier. Soit un panier d'une cinquantaine d'euros.
L'exemple britannique étaye cette hypothèse. Au Royaume-Uni, les retailers pèsent lourd dans l'e-commerce. D'après l'IMRG, le panier moyen des ventes en ligne avoisinait 45 livres sterling (54 euros) au premier trimestre 2013, hors voyage et billetterie, et ne décroissait plus que légèrement (lire l'interview de son président James Roper, du 05/07/2013).
Internet restera-t-il low cost ?
Le Web s'est construit et vit toujours sur une promesse low-cost, expliquait au JDN Gauthier Picquart, cofondateur de Rue du Commerce, il y a un an. "D'où la grande question qui va bientôt se poser : le low-cost va-t-il continuer à dominer sur Internet ? Ce sont les retailers qui imposeront leur réponse."
A en juger par ce que ces derniers ont fait au hard-discount, il y a fort à parier que le low cost ne perdurera pas en ligne non plus, à part sur quelques segments. Les acteurs traditionnels ne sont pas dans la logique de croissance non rentable qui est longtemps restée caractéristique des pure players. "Toutefois, les produits chers resteront probablement vendus moins cher sur Internet, car les pure players pourront toujours répercuter sur leurs prix des coûts de structure inférieurs", pressent Marc Lolivier. Un mode de fonctionnement qui ne sera pas rentable sur les petits produits, face à la concurrence des retailers.
La tendance à trouver des prix inférieurs en ligne devrait donc demeurer, tout comme un montant moyen d'achat légèrement supérieur à celui de la distribution traditionnelle. Le panier moyen du commerce physique fait donc figure d'asymptote pour celui du commerce électronique.