Comment les frères Samwer ont importé en Europe l'esprit de la Silicon Valley avec Rocket Internet
Connus pour leur capacité à cloner les start-up américaines, Oliver, Marc et Alexander Samwer ont en réalité bâti un empire mondial de l'e-commerce. Voici leur histoire.
Une idée ne se brevète pas, un business model non plus. Et heureusement pour les frères Samwer, qui ont bâti leur empire en clonant des start-up américaines à succès, en particulier dans l'e-commerce. Nés à Cologne, en Allemagne, en 1971, 1973 et 1975, Oliver, Marc et Alexander Samwer ont exécuté à la perfection un plan extrêmement méthodique décidé très tôt.
Dans le cadre de son MBA dans une prestigieuse business school allemande, Oliver Samwer se rend dans la Silicon Valley avec un camarade au printemps 1998. Les deux jeunes gens passent quatre semaines à interviewer une centaine d'entrepreneurs et d'investisseurs pour comprendre comment faire croître et financer une société. Oliver revient quelques mois plus tard avec ses deux cadets et des monceaux de lettres à adresser aux entreprises qu'ils admirent. Les trois frangins s'installent à Mountain View et leur proposent leurs services pour presque rien. Ils se répartissent alors dans des sociétés arrivées à différents stades de croissance : le CDN Inktomi pour Oliver, l'éditeur de logiciel mobile Visto pour Marc et la startup Sentient Networks pour Alexander. En parallèle, ils continuent à rencontrer autant d'entrepreneurs qu'ils le peuvent.
En décembre 1998, ils rentrent en Allemagne riches d'une expérience inestimable... et multipliée par trois. En janvier 1999, ils lancent Alando.de sur le modèle d'eBay et écument les marchés aux puces pour y trouver des fournisseurs. Leur site accepte les cartes de débit que plébiscitent les Allemands, plutôt que des cartes de crédit comme sur eBay. Cinq mois plus tard, le géant américain, qui maîtrise mal le marché européen, rachète leur société pour 53 millions de dollars. Adapter un business model à un marché peut se révéler aussi lucratif qu'en construire un nouveau, en déduisent immédiatement les frères Samwer.
Cloner... en s'adaptant aux spécificités locales
Leur seconde entreprise, Jamba (2000), n'est pourtant pas un clone. Il s'agit d'une société spécialisée dans le divertissement sur mobile, qu'ils revendront pour 273 millions de dollars à VeriSign en 2004. Ensuite, ils enchaînent les copies, plus ou moins proches de l'original en fonction du marché : CityDeal (copie de Groupon), eDarling (eHarmony), Zalando (Zappos), Pinspire (Pinterest), Glossybox (Birchbox), Bamarang et West Wing (Fab), Wimdu (AirBnB), Payleven (Square)... Rocket Internet, l'incubateur créé en 2007 par les Samwer pour soutenir ces start-up, compte actuellement des participations significatives dans 75 sociétés dans le monde. L'une des forces du dispositif réside dans la capacité de Rocket, qui dispose de bureaux partout dans le monde, à lancer ces sites simultanément dans plusieurs pays. Et les levées de fonds s'enchaînent, souvent mirobolantes, dépassant régulièrement les 100 millions de dollars. Au total, les start-up Rocket emploient plus de 25 000 personnes, sont actives dans plus de 50 pays et génèrent un chiffre d'affaires annuel de 3 milliards de dollars.
Car ces clones rencontrent souvent le succès. Très bien financés, ils ne lésinent pas sur les budgets marketing et font preuve d'une agressivité commerciale très efficace, qui accompagne une exécution globalement irréprochable. Avec de telles bottes de cent lieues, les sites marchands des frères Samwer s'accaparent des parts de marché à grande vitesse. D'autant que l'agressivité des frères Samwer n'est pas que commerciale, mais également stratégique. Dans un e-mail adressé à ses troupes fin décembre 2011, Oliver Samwer détaille ses ambitions dans des termes définitifs. "Il n'y a que trois domaines dans l'e-commerce où construire un business se chiffrant en milliards de dollars : Amazon, Zappos et le meuble. La seule difficulté est de choisir le meilleur moment pour lancer notre guerre-éclair ('blitzkrieg' dans le texte, ndlr). Donc à chaque pays de me dire quand, en signant avec son sang. Je suis prêt !" Le dirigeant-guerrier affirme par exemple désirer "prendre 100% du marché du meuble en ligne" en se montrant attentif aux détails, rapide et agressif, entre autres. Et de conclure : "Je suis prêt à mourir pour gagner et j'attends la même chose de vous !"
Construire un empire e-commerce dans les pays émergents
Si cette attitude belliqueuse peut surprendre, elle masque en réalité un changement plus profond dans les ambitions de la fratrie. En effet, la vocation des start-up de Rocket Internet n'est sans doute plus systématiquement de se faire racheter par un leader américain qui désirerait attaquer une zone géographique en mettant la main sur le numéro 1 local. Aujourd'hui, les valorisations de certaines des sociétés des frères Samwer sont tellement élevées que trouver des acquéreurs n'est plus aussi évident.
"Je suis prêt à mourir pour gagner et j'attends la même chose de vous !"
L'intérêt des retailers est certain, mais il demeure pour l'instant au stade d'investissement, comme celui du Britannique Tesco qui vient de mener la levée de 250 millions de dollars de la marketplace asiatique Lazada. Les introductions en bourse constituent des sorties possibles. Mais il est probable que les frères Samwer cherchent aujourd'hui plutôt à construire un empire e-commerce. Et au vu de leurs plus récents investissements, ils misent particulièrement sur les pays émergents. Ils y sont par exemple actifs via Jabong en Inde, Lamoda en Russie, Lazada en Asie du Sud-Est, Jumia en Afrique centrale, Namshi au Moyen-Orient ou encore Linio en Amérique latine. Rocket Internet a d'ailleurs à nouveau levé 500 millions d'euros cet été pour soutenir ses sites marchands dans ces zones et en lancer d'autres encore. Pour qu'un tel empire e-commerce puisse tenir, les trois frères devront encore relever un défi de taille : rendre leurs sociétés rentables. Le challenge ne les effraie pas. En avril 2013, ils indiquent que leurs start-up réaliseront à terme des chiffre d'affaires de l'ordre du milliard d'euros... avec des taux de rentabilité à deux chiffres.
Et puisque l'hyperactivité du trio est sans limite, les Samwer gèrent en parallèle, depuis 2006, leur propre fonds d'investissement : European Founders Fund, qui a su investir dans des start-up du nom de LinkedIn ou Facebook... Cette débauche de projets ne suffisant évidemment pas à les satisfaire, les trois frères ont lancé en 2013 un nouveau fonds : Global Founders Capital. A vocation internationale, évidemment.