Camille Kriebitzsch (Eutopia) "Il y a peu de DNVB d'ampleur en France car il y a peu de fonds dédiés"

Créé il y a cinq ans, le fonds d'investissement Eutopia surfe sur la vague des nouveaux modes de consommation en même temps que celle des DNVB. Bilan d'étape avec la cofondatrice.

JDN. Quelle est la genèse d'Eutopia ? 

Camille Kriebitzsch, co-fondatrice du fonds Eutopia. © Eutopia

Camille Kriebitzsch. Le fonds est né il y a bientôt cinq ans au sein d'une family office, Otium Capital, avec pour thèse d'investissement ce que nous appelons les consumers start-up. Des start-up à même de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs, qui sont en quête de sens, de transparence et d'un lien plus direct avec les marques. Autant de problématiques pour lesquelles  les groupes historiques ne nous semblent pas avoir l'agilité ou la légitimité nécessaire. D'autant que la révolution digitale a modifié les codes en matière de communication, distribution et production.

Depuis 2016, nous avons investi 60 millions d'euros au sein de 14 entreprises européennes sous le nom Otium Brands. Trois ans plus tard, nous avons effectué un spin-off pour créer Eutopia, qui est aujourd'hui une société de gestion indépendante agréée par l'Autorité des marchés financiers. Nous continuons à accompagner les 14 marques du portefeuille initial d'Otium, tout en développant Eutopia qui dispose, à l'heure actuelle, d'une enveloppe d'investissement de 40 millions d'euros. Nous espérons augmenter cette enveloppe d'ici la fin de l'année, pour la porter à un montant compris entre 80 et 100 millions d'euros. 

Pourquoi parler de consumer start-up plutôt que de DNVB ? 

Le terme de DNVB renvoie au modèle de la marque verticale qui s'appuie sur une distribution 100% online. Or, nous avons investi dans des concepts de retail, fitness ou loisir qui sont de type brick and mortar. Nous couvrons donc un champ d'action bien plus large que celui des DNVB. Nous n'avons pas peur d'investir dans des projets ambitieux en termes d'investissements qui impliquent l'ouverture de boutiques. Nous parlons de consumer start-up car toutes les entreprises que nous accompagnons s'appuient sur une marque forte, des produits tangibles et une expérience réussie, pour s'adresser au consommateur final. 

A quoi êtes-vous vigilant avant d'investir ?

Nous évitons les projets qui enchaînent les levées de fonds sans jamais s'attaquer au sujet de la rentabilité. C'est facile de proposer le meilleur rapport qualité-prix sur le marché en cassant les prix et en faisant rêver les consommateurs. Mais cela signifie dégrader sa marge brute et ce n'est pas tenable sur la durée. De la même manière, les investissements en marketing et ressources humaines, s'ils sont indispensables pour générer de la croissance, doivent être bien maîtrisés. Il est important de les stabiliser pour se concentrer sur son niveau de marge brute. Chez Eutopia, nous sommes non seulement attentifs à la profondeur du marché mais aussi à l'alignement de valeurs entre le fondateur et le projet. 

Peut-on dire que les fonds d'investissement sont frileux à investir dans les DNVB françaises ? 

Alors qu'on a vu des DNVB américaines comme Glossier, Warby Parker ou encore Casper exploser, peu d'acteurs ont émergé de la même manière en France. On peut citer Sézane et Le Slip Français mais ce sont des phénomènes isolés. Je pense que c'est le manque de fonds dédiés à cette typologie d'acteurs qui explique leur faible nombre en France. Les problématiques de construction de marque, gestion du stock et de la distribution en font des projets moins scalables que la start-up classique, ce qui rebute, à tort, les VC. Il est clair que les spécificités de ces DNVB / consumers start-up obligent les fonds à repenser leur modèle d'investissement. 

Que voulez-vous dire ?

Qu'il faut faire attention aux montants que l'on investit et à la valorisation que l'on donne. Chez Eutopia, nous évitons d'attribuer une valorisation élevée à une marque qui n'en est qu'à ses débuts. Et lorsque l'entreprise est mature, nous préférons rester sur des multiples de chiffre d'affaires en ligne avec ce qui se fait dans le secteur. Nous regardons d'ailleurs avec attention les montants communiqués dans les opérations de revente et de levées de fonds. En Europe, les montants des levées de fonds sont modérés mais ce n'est pas forcément le cas aux Etats-Unis. Il y a de plus en plus d'investisseurs qui accompagnent l'émergence de DNVB mais qui ne sont pas tous aussi spécialisés que nous le sommes.

Quel regard portez-vous sur l'évolution des DNVB depuis cinq ans ?

De plus en plus de projets sont portés par des entrepreneurs chevronnés et désireux de changer les choses. Ils ne sont pas toujours issus de l'environnement tech mais se dirigent vers des consumers start-up qui correspondent mieux à leurs valeurs. Chez Eutopia, nous sommes d'ailleurs sensibles aux modèles économiques vertueux, sous le prisme du "bon pour soi, pour la société et la planète".  En cinq ans, beaucoup de corporate ventures ont fait leur apparition comme L'Oréal, Unilever ou Danone. Globalement, l'écosystème se développe sur tous les plans du financement.

A 28 ans, Camille Kriebitzsch, passée par l'audit chez EY, est co-fondatrice du fonds Eutopia et accompagne les start-ups consumers depuis cinq ans dans leur développement, en particulier dans les secteurs de la cosmétique, de l'agro-alimentaire et du fitness (comme Oh My Cream, Hari&Co et Dynamo).