Lou.Yetu, un scandale du made in France ?
La fabrication française des bijoux de Lou.Yetu est mise en cause depuis la publication de témoignages sur Internet. Une affaire qui révèle l'importance pour les marques digitales d'associer discours marketing et réalité des produits vendus.
C'est un petit séisme qui ébranle l'univers des marques digitales depuis quelques jours. La marque de bijoux Lou.Yetu, créée en 2015, est dans la tourmente après les retours d'expérience d'anciens salariés et stagiaires évoquant un "harcèlement moral" et contestant la fabrication made in France de ses produits. Le compte instagram @balancetastartup, actif depuis décembre 2020 et par ailleurs injoignable, a publié plusieurs témoignages depuis le 19 janvier.
Si la boutique en ligne est actuellement "fermée temporairement" d'après la fiche Google My Business de la marque, le compte Instagram de la fondatrice Camille Riou est quant à lui désactivé depuis le 20 janvier. Quant au compte Instagram de la marque, celui-ci a perdu plus de 20 000 abonnés depuis le 20 janvier. Mais qu'en est-il réellement de l'origine française des bijoux commercialisés par Lou.Yetu ? Eléments de réponses.
S'il existe de nombreuses manières de produire un bijou, une ancienne salariée de Lou.Yetu nous a confirmé par écrit que certains bijoux "étaient achetés déjà montés et conditionnés pour être vendus sous la marque." Toutefois, résumer toute l'activité de Lou.Yetu au passage de commandes auprès de grossistes basés à l'autre bout du monde, serait faux. "Les matières premières qui composent certains bijoux proviennent de partout dans le monde, aussi bien de France, que du reste de l'Europe ou d'Asie", enchaîne l'ex-employée. Car c'est un fait, la France ne dispose pas de tous les savoir-faire en matière de fabrication d'éléments en laiton, d'extraction et façonnage de pierres, de création de design d'estampes etc. "Même si on se fournit en France, cela ne garantit pas pour autant que la fabrication a bien eu lieu en France. Et cette situation est commune à beaucoup de marques de bijoux", détaille l'ancienne salariée.
Selon la fondatrice d'une marque concurrente, le made in France intégral est de toute façon impossible dans l'univers du bijou. "Certaines matières premières ne sont pas sourcées en France et nous réalisons le plaquage en Espagne, par exemple. Il faut aussi savoir que la création de bijoux coûte cher et dans le monde de l'accessoire, il n'est pas rare de commencer par de l'achat-vente." Comprendre : une marque de bijoux se fournit auprès de grossistes qui ont pour clientes d'autres marques exerçant la même activité. Par conséquent, certains fournisseurs sont donc communs à plusieurs marques. A l'arrivée, les consommatrices peuvent croiser des modèles similaires d'une marque à une autre. Seule différence ? Le prix, et in fine, les marges réalisées par les marques.
Dans la soirée du 20 janvier, @balancetastartup a relayé la réaction de Lou.Yetu. La marque nie toute collaboration avec des grossistes qui livreraient des produits finis sur catalogue.
Une journaliste qui nous a certifié avoir visité l'atelier installé dans les locaux parisiens de la marque à l'été 2020, confirme avoir assisté à l'assemblage de bijoux par les équipes. "Je veux bien croire que le ratio concernant les pièces fabriquées en France ne soit pas exact puisque tous les bijoux ne sont pas réalisés dans cet atelier", réagit-elle. D'après l'ancienne salariée de Lou.Yetu, un pôle entièrement dédié à la création et au design existe bel et bien chez Lou.Yetu. "Certains bijoux étaient de création française car designés et développés dans les bureaux parisiens mais effectivement la fabrication avait lieu en Asie, assure-t-elle. Quant à la fabrication "made in France" en tant que tel, celle-ci n'était pas minime : soudure et dorure par des partenaires parisiens et assemblage dans les locaux de Lou Yetu." Cette dimension "locale" mobiliserait de nombreux postes comme l'indique l'ex-salariée de la marque : gestionnaire de production, chef d'atelier, responsables de la soudure et dorure, contrôleuses qualité, monteuses et une personne pour l'aspect conditionnement.
Quid de la transparence et du discours marketing ?
Ainsi donc, les matières premières nécessaires à la conception des bijoux de Lou.Yetu ne seraient pas toutes d'origine française et certains bijoux, bien que dessinés dans les bureaux parisiens, seraient fabriqués en Asie. Une situation qui serait banale si la communication de la marque était transparente. Sur le site Internet de Lou.Yetu, on peut notamment lire que "13 louves développent les collections de leur dessin jusqu'à la production." La fabrication des bijoux en Asie n'est mentionnée nulle part sur le site.
L'ex-salariée de la marque expose sa vision : "A mon sens, le problème de Lou.Yetu sur le volet produit réside dans l'orientation de sa communication. La marque a choisi de mettre en avant ce qui touche les consommateurs et ce qui les fait acheter, à savoir le local et l'éthique. Mais est-ce qu'avec tous les éléments, ils auraient acheté chez Lou.Yetu ? Pas sûr." Une chose est certaine, une partie de la clientèle ciblée par Lou.Yetu en quête de transparence et/ou de made in France se sent trahie. Et plus de transparence de la part de la marque aurait sans doute évité la désillusion des consommateurs. "Beaucoup de marques jouent sur l'ambiguïté du made in France avec la dimension de l'assemblage des produits, et ce n'est pas toujours facile de démêler le vrai du faux", affirme l'ex-employée. "L'aspect marketing est non négligeable mais cela n'empêche pas d'être transparent, souligne la fondatrice d'une marque concurrente. Nous ne faisons pas que de la création et nous l'avons toujours précisé à nos clientes via notre site Internet. Forcément nous mettons en avant nos créations sur les réseaux sociaux car c'est plus valorisant pour notre image de marque. De même, nous n'avons jamais dissimulé le fait que nous faisions du produit fini et que nous montons une bonne partie de nos bijoux en France." Ainsi, sur le site de cette marque de bijoux, la provenance des matières premières est indiquée explicitement et les clientes sont au rendez-vous. Reste à savoir si Lou.Yetu reverra sa copie dans ce sens, à l'ère où les consommateurs n'ont jamais été aussi attentifs à la traçabilité des produits qu'ils achètent. C'est l'une des questions que l'on souhaitait poser à la fondatrice, qui n'a pas donné suite à notre demande d'interview.