Augmentation des prix, réduction des coûts : comment les retailers gèrent l'inflation
L'inflation plonge les commerçants dans une situation quasi inédite. Les prix à la consommation ont enregistré en France en octobre 2022 une hausse de 6,2% sur un an d'après l'Insee. "En Europe, nous n'avons jamais connu cela : le Covid, une inflation galopante… Les managers du retail et les consommateurs ont perdu leurs repères", témoigne Alexandre Guérin, le DG d'Ipsos France. D'après les données de l'entreprise spécialisée dans les études de marché, 80% des Français pensent que l'inflation sera d'au moins 6% dans les prochains mois, ils sont deux tiers à vouloir faire des économies. "Le pouvoir d'achat est devenu la première priorité de 40% des Français contre 5 à 10% d'entre eux habituellement", continue Alexandre Guérin.
Dans ce contexte, pour le DG d'Ipsos, les dépenses des Français sont arbitrées différemment en fonction des secteurs : "Certaines dépenses sont sanctuarisées comme celles de bien-être ou de santé qui résistent bien, les produits pour animaux de compagnies aussi. D'autres sont sacrifiées comme la culture, le vestimentaire, la décoration de la maison. Les dépenses dans l'alimentaire ou l'hygiène-beauté sont, elles, tendues." Les catégories source de bien-être et d'évasion continuent de progresser comme le voyage, encore en forte hausse (+34%) au troisième trimestre 2022 d'après la Fevad.
L'alimentaire en première ligne
Parmi les dépenses tendues, l'alimentaire est un poste de dépenses qui subit fortement les arbitrages des consommateurs. "Le bio a été l'une des premières catégories touchée cet été car il coûte plus cher et ne présente pas de bénéfice visible à court terme", explique Alexandre Guérin. Les marques de distributeurs (MDD) ont, elles, profité du phénomène. "Les clients des marques nationales les délaissent au profit des MDD. A chaque période d'inflation, elles ont gagné des parts de marché", expliquait Emilie Mayer, directrice du cabinet IRI, au Figaro en octobre dernier.
Le site spécialisé dans la vente de champagne Plus de Bulles a subi une forte inflation en 2022. "Nous enregistrons une hausse des prix du champagne de 20 à 25% sur 18 mois et dans ce secteur les marges ne sont pas élevées car les marques sont fortes : ce sont les grandes maisons qui fixent les tarifs. Nous sommes donc obligés de répercuter cette hausse des prix sur le client", détaille Michel de Guilhermier, un investisseur qui est aussi président de l'accélérateur de start-up Day One.
Des augmentations de prix ciblées
Les augmentations de prix sont donc un passage quasiment obligé pour les commerçants et e-commerçants mais elles doivent se faire avec parcimonie. "Il y a une pression sur les prix, nous essayons de les augmenter finement, en sécurisant les entrées de gamme et en pilotant cette augmentation", nous indiquait en septembre 2022, Emma Recco, la directrice stratégie et développement d'Ikea France. Des propos confirmés par e-mail par les équipes d'Ikea France en décembre 2022 : "L'engagement d'Ikea reste et restera de proposer des premiers prix le plus bas possible et de rester accessible. Avec l'impact du contexte macroéconomique ainsi que l'augmentation des coûts transports, des énergies, des matières premières, nous avons dû procéder à des augmentations. […] Nous avançons étape par étape et nous avons l'intention d'investir dans des baisses de prix dès que possible".
Jouer sur les coûts marketing
"Avec Plus de Bulles, nous rencontrons le problème de tout distributeur, nous sommes coincés entre nos clients et nos fournisseurs et nous faisons attention à nos coûts d'exploitation", résume Michel de Guilhermier. Le site a réduit le débit côté marketing. "Notre seule solution est de mettre l'accent sur les grands amateurs de champagne qui vont continuer à consommer quand le grand public se retreint. Nous n'achetons pas de mots clé à gogo, nous recrutons moins de clients grand public et nous nous concentrons sur ces grands amateurs", détaille l'investisseur. Le site se dit tout aussi rentable que l'an dernier : "Notre panier moyen en volume chute de 20% quand le chiffre d'affaires baisse, lui, moins vite. En réduisant nos coûts marketing, nous serons profitables en 2022."
Piloter les coûts de l'énergie
Même pour un site e-commerce, comme Plus de Bulles, "la hausse des coûts de l'énergie joue indirectement. D'un côté avec le transport dont le prix augmente, de l'autre avec les maisons de champagne qui ont répercuté cette augmentation sur leurs tarifs", constate Michel de Guilhermier. La situation est encore plus tendue dans le physique. Cathy Collart Geiger expliquait aux Echos mi-novembre 2022 que Picard subissait fortement la hausse des prix de l'électricité dans ses 1 000 magasins et prévoyait une multiplication par trois des tarifs faisant entrer l'énergie dans le top 3 des postes de dépenses de l'entreprise. Entre 2012 et 2022, Picard avait fait baisser la facture de 10% en modernisant son parc de congélateurs en continu.
Ne pas abimer l'image de l'enseigne
Pour Alexandre Guérin, les marques doivent donc aller chercher un prix optimum. "Les conseils que nous donnons sont spécifiques à chaque marque, aux catégories et même aux références. Sur le lait bébé, le pricing power est plus fort sur les catégories infantiles allant du nouveau-né jusqu'à 6 mois. Au tout début, l'attachement émotionnel est très marqué et quand le bébé grandit, il y a plus d'alternatives, le lien émotionnel est un peu moins fort donc le prix est regardé plus attentivement", illustre le DG d'Ipsos France. L'environnement concurrentiel va déterminer le prix. "Le risque principal d'un prix trop haut est la perte de volume à court terme et à long terme, un transfert vers d'autres marques", continue Alexandre Guérin.
La donne est la même pour les distributeurs qui pilotent avec attention leurs augmentations de prix. Chez Primark, les prix ne suivent pas le rythme de l'inflation générale. Ceux de la collection automne-hiver ont augmenté de 3 à 4% chez l'homme et la femme mais ont été gelés sur les références enfant. "Avec une offre de prix trois à quatre fois moins élevé que la moyenne du marché, l'enseigne veut continuer à faire la différence, pour attirer les budgets les plus serrés", indiquait Christine Loisy, directrice générale de Primark France, dans Le Figaro. "Il ne faut pas abimer l'activité de Picard et détourner le consommateur de notre enseigne. Je refuse d'alimenter l'inflation en pratiquant des hausses de prix trop importantes. Au contraire, il faut la casser", expliquait Cathy Collart Geiger, la PDG de Picard.
Ce contexte compliqué a été mal anticipé par beaucoup d'acteurs online et offline. Maisons du monde a par exemple envoyé un profit warning en mai dernier concernant ses prévisions de résultats. Aux Etats-Unis, Amazon n'avait pas non plus anticipé la situation et a annoncé licencier 10 000 employés en novembre dernier, après s'être retrouvé avec des entrepôts vides sur les bras au printemps 2022. "Le début 2023 ne s'annonce pas meilleur, mais, nous verrons avec fin 2023 et la période de fin d'année si le contexte s'améliore", conclut Michel de Guilhermier.