Vendre sur TikTok : les secrets de deux small business français
Alors même que TikTok n'est pas encore transactionnel en France, Candy Mix et Memo Jewelry vendent à travers la plateforme depuis 2021.
1,4 milliard d'euros. C'est la contribution au PIB français des PME présentes sur TikTok en 2023, selon les estimations d'Oxford Economics. Dans le jargon du réseau social, elles sont appelées des "small business" (SMB). Le terme désigne une typologie d'entreprises spécifique : des DNVB nées et prospérant sur TikTok grâce à ses 135 millions d'utilisateurs actifs par mois. D'abord apparu aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le phénomène s'est progressivement étendu à la France à partir de 2021.
Nouvelle génération d'entrepreneurs
"Quand j'ai lancé mon SMB Mémo Jewelry il y a bientôt quatre ans, j'avais tout juste 19 ans", rembobine Maya Cantagrel. A l'époque, la jeune femme était étudiante et tentait d'occuper ses journées pendant le confinement. "J'étais consommatrice des premiers contenus small business sur TikTok", explique-t-elle. La jeune étudiante lance alors son site e-commerce fin janvier 2021. Elle y vend des bagues et colliers en acier inoxydable entièrement personnalisables à 35 euros en moyenne. "J'ai commencé à vlogger mes journées d'étudiante / entrepreneuse". Une histoire d'entreprenariat comme beaucoup d'autres sur le réseau social.
La fondatrice du site CandyMix, Johanna Poitevin, s'est-elle aussi lancée en 2021 sur TikTok alors qu'elle avait 23 ans. "Avec mon copain, nous avions vu qu'aux Etats-Unis, en Angleterre, il y avait un essor des small business, notamment de bonbons, se remémore-elle. On s'est dit qu'il fallait qu'on tente notre chance". Le couple a investi ses 2 000 euros d'économies pour acheter la première marchandise de bonbons. Depuis elle vend des confiseries en vrac ou des box personnalisables pour 13 euros en live sur TikTok.
"A la fin du premier mois, j'avais eu de quoi rembourser le matériel, les matériaux et ce que m'avait coûté le site"
Des activités vites devenues rentables. Les coûts de ses SMB se concentrent principalement sur l'achat de marchandises. "A la fin du premier mois, j'avais eu de quoi rembourser le matériel, les matériaux et ce que m'avait coûté le site", retrace la fondatrice de Memo Jewelry. Les premières recettes ne se sont pas faites attendre grâce aux succès des vidéos. Pour leurs débuts, les jeunes entrepreneuses n'ont pas eu à investir un seul centime dans la publicité digitale sur la plateforme bien aidés par la principale force de TikTok : son algorithme. "Sans investissement tu as un potentiel de viralité très élevé, ou tout l'inverse : ne rien générer du tout et se noyer dans l'océan", décrypte Antoine Godfroy, DG de l'agence Sleeq.
Avec respectivement 1 million et 215 000 abonnés sur TikTok, CandyMix et Memo Jewelry ont démontré qu'elles savaient nager. Les co-fondateurs de CandyMix ont même dû déménager trois fois depuis leur lancement : "Au bout de trois mois nous avons pris un petit local de 70 mètres carrés, puis en janvier 2022 nous avons déménagé dans un entrepôt de 400 m² avant d'arriver, à la rentrée 2023, dans un autre entrepôt de 1000 m² à Niort", détaille Johanna Poitevin.
1 million de chiffre d'affaires sans pub
De son côté Memo Jewelry souhaitait "réaliser son premier million de chiffre d'affaires uniquement en organique", explique la fondatrice. En relevant le défi en un peu moins de trois ans d'existence, Maya Cantagrel démontre que TikTok permet de rassembler autour d'une marque, qu'importe le produit : bijoux, bonbons, stickers, bougies ou kits de self-défense (oui, oui).
Après trois ans et demi d'existence et 90 000 commandes de bonbons effectuées, Johanna Poitevin désire garder le CA de CandyMix secret. De son côté, Memo Jewelry comptabilise 50 000 clients en quatre ans, et plusieurs pop-up store. Avec une équipe de trois personnes atteint près de deux millions d'euros de chiffre d'affaires. "Et tout cela, on le doit à TikTok".
"Les taux de conversion en organique sont inégalables"
Si les deux SMB ne vendent plus uniquement sur TikTok, la plateforme permet toujours de générer la majorité de leur chiffre d'affaires. En effet, pour se développer, CandyMix et Memo Jewelry ont dû investir dans de la pub et s'intéresser à d'autres plateformes. Mais sans pour autant négliger le contenu organique : "Maintenant que nous avons un élément de comparaison avec le paid, les taux de conversion en organique sont juste inégalables", affirme Maya Cantagrel. Selon elle, avec une vidéo de présentation produit à 20 000 vues, 5 à 10 commandes sont passées en moyenne. Avec une vidéo carrousel des best-sellers à 300 000 vues, ce sont 500 à 600 ventes en retombées. "Alors qu'avec une vidéo en paid qui performe bien, nous ne récoltons jamais plus de 100 commandes", illustre-t-elle. Mais avec quelle recette cette génération d'entrepreneurs arrive-t-elle à vendre ?
S'approprier les codes
Il existe des codes bien spécifiques aux SMB. "J'ai commencé à m'intéresser aux mécaniques de viralité propres à cette catégorie de business, confie Jean-Baptiste Bourgeois, DG associé de We are social. Il y a des mathématiques qui s'appliquent et si on les comprend bien, on peut atteindre des niveaux de taux d'engagement qui font pâlir certaines marques du CAC 40."
Incarner sa marque
"Par définition un small business c'est un fondateur qui représente la marque, rappelle Antoine Godfroy de Sleeq. On parle de brand as a creator". Avec un incarnant fort, qui leur ressemble, les utilisateurs de la plateforme s'identifient et veulent suivre les aventures de cet entrepreneur. Ce sont aussi des contenus qui favorisent l'engagement. Quand Maya Cantagrel embarque ses abonnées dans sa journée de jeune entrepreneuse, elle les interpelle pour savoir quel nouveau modèle ils aimeraient voir sur le site. "Plus il y a de montage, plus c'est esthétique, moins cela va marcher sur TikTok, contrairement à l'algorithme de Reels sur Instagram, explique la jeune fondatrice. Ce sont des formats où sont mélangés ta personnalité et tes produits mais tout est relié à ta voix". La recette est tellement efficace qu'elle dépasse les small business selon les observations de Jean-Baptiste Bourgeois : "Les CM de certaines grandes surfaces Carrefour ou E.Leclerc se sont inspirés des SMB pour construire leur stratégie marketing sur TikTok".
Partager les étapes de son business
Dans le même souci d'authenticité, les utilisateurs sont friands de découvrir les coulisses de la marque. "C'était une révolution, sur les réseaux sociaux les marques ne communiquaient pas sur les équipes, sur les entrepôts, sur le processus de commandes, qui était derrière la marque…. Il n'y avait pas ce lien de confiance", constate la fondatrice de CandyMix. Pour Jean-Baptiste Bourgeois, cela traduit un besoin de déconstruction de la publicité. "L'aspect à l'épreuve du réel, les réussites, les échecs et aussi révéler des chiffres, en bref donner du concret et raconter les coulisses", poursuit-il. Pour partager les processus de l'entreprise, Johanna Poitevin fait un live par jour en semaine où elle prépare les commandes de bonbons des clients. "Ça me permet de les mettre en avant et ils sont contents", commente-t-elle. Un live CandyMix comptabilise 50 000 visiteurs et près d'une quarantaine de commandes.
S'adresser à des communautés
Au-delà des tendances de fonds, les SMB savent manier les trends. Nées sur TikTok elles ont éprouvé l'algorithme et connaissent les communautés présentes sur l'application. "Le plus important sur TikTok, c'est la résonance culturelle entre ton contenu et les communautés", confirme le DG de Sleeq. Certains utilisateurs sont friands des vidéos dites "satisfaisantes", alors les SMB réalisent des tris de marchandises ou d'assemblage de colis. Pour les adeptes de l'ASMR, elles produisent des vidéos dédiées. D'autres formats sont éducatifs pour expliquer un processus de fabrication par exemple. Il existe aussi des challenges comme la dégustation de bonbons lyophilisés avec les émojis correspondants. Mais il faut aussi savoir se renouveler, les utilisateurs se lassent vite.
Autant de recettes qui devraient inspirer les marques pour s'approprier le réseau social…