Milda Mitkute (cofondatrice de Vinted) "Quand j'ai créé Vinted, jamais je n'aurais imaginé rencontrer un tel succès"
Alors que Vinted a fait de la seconde main un réflexe pour des millions d'Européens, Milda Mitkute, sa cofondatrice, revient sur la genèse de cette aventure, les défis rencontrés et les comportements des nouvelles générations.
JDN. Vous avez cofondé Vinted en 2008 avec Justas Janauskas, initialement pour répondre à votre propre besoin. Aviez-vous anticipé un tel succès ?

Milda Mitkute. Pas du tout, je n'aurais jamais pu l'imaginer ! Au départ, nous n'avions aucune ambition particulière pour Vinted, qui était simplement une solution à un problème personnel. Originaire de Lituanie, je voulais vendre quelques vêtements pour libérer de la place dans ma garde-robe avant un déménagement. Après deux semaines de travail sur un site Web, j'ai mis en ligne 150 articles et demandé à mes amis d'ajouter leurs affaires pour étoffer le catalogue. Je leur ai simplement envoyé un e-mail pour leur présenter le site et leur suggérer de contribuer, ce qui a permis d'ajouter 600 articles supplémentaires en une semaine. Très vite, cet e-mail a circulé. A tel point que des médias, dont une station de radio, ont commencé à parler de Vinted. Une à deux semaines après le lancement, nous avions déjà près de 5 000 membres inscrits.
Comment expliquez-vous cette adoption rapide ?
Je pense que c'est parce que Vinted répondait à un besoin réel. Beaucoup de gens accumulent des vêtements qu'ils ne portent plus et manquent de place. Avec Vinted, ils pouvaient résoudre ce problème tout en gagnant de l'argent. Nos utilisateurs étaient principalement des jeunes d'une vingtaine d'années. Vinted leur offrait une solution intelligente : générer des revenus tout en économisant pour leurs achats. La proposition de valeur était simple et parlait à tout le monde.
Pour l'anecdote, Vinted était initialement conçu pour un public féminin, et les textes que nous rédigions s'adressaient explicitement aux femmes. Mais lors de notre lancement en Allemagne, plusieurs hommes ont manifesté leur intérêt pour utiliser la plateforme. Nous avons alors décidé de tester une catégorie masculine, qui a rapidement rencontré un vrai succès.
Pensez-vous que la plateforme ait contribué à changer les habitudes de consommation en faveur de la seconde main, notamment chez les jeunes ?
Absolument. Nous savions que, pour changer les comportements à grande échelle, il était essentiel de déconstruire certains préjugés liés à l'achat de seconde main. Le choix de commencer exclusivement avec la mode et les accessoires nous a permis de développer une communauté très ciblée et engagée. Cela nous a également aidés à attirer des leaders d'opinion, qui, malgré un design initial peu ergonomique, ont soutenu la plateforme et nous ont fourni de précieux retours. Ils attendaient une solution de ce type depuis longtemps.
Le fait de nous spécialiser dans une verticale, celle de la mode, nous a permis de concevoir un produit parfaitement adapté aux besoins, avec notamment une recherche efficace et un système de filtres performant pour les tailles et les marques. Ces éléments ont largement contribué à transformer les habitudes et à rendre tendance l'achat de seconde main.
L'autre facteur important du succès de Vinted n'est-il pas d'avoir simplifié le processus de vente d'un article de seconde main ?
Effectivement, nous savions que les vendeurs étaient la clé du succès pour Vinted : si un vendeur mettait plus de cinq minutes à mettre en ligne un article, il aurait été dissuadé d'utiliser la plateforme. Il était donc primordial de rendre l'expérience de mise en vente simple afin d'encourager l'usage. Parmi nos indicateurs clés, nous analysions notamment le temps nécessaire moyen pour vendre un article. Même chose du côté des acheteurs, ces derniers devaient rapidement pouvoir trouver des articles à leur goût.
Si aujourd'hui Vinted est principalement connu pour son application mobile, la plateforme a initialement été lancée sous la forme d'un site Web. A quelle période l'application a-t-elle été développée ?
Il a fallu attendre environ quatre ans avant de développer notre première application. En 2008, Vinted était un site web rudimentaire, avec un design et une ergonomie très basiques. Pourtant, son succès immédiat a montré que nous répondions à un réel besoin . Pendant trois ans, nous avons travaillé sur Vinted en parallèle de nos activités professionnelles. Les choses ont changé avec l'arrivée d'un business angel, Mantas Mikuckas, dont l'investissement nous a permis de quitter nos emplois, car à l'époque, Vinted ne générait pas de revenus. Nous n'étions pas forcément à la recherche d'investisseurs, mais ce soutien financier nous a donné un souffle nouveau et un objectif supplémentaire : nous développer à l'international. Nous avions déjà lancé la plateforme sur quelques marchés, comme l'Allemagne et la République tchèque.
Comment avez-vous réussi à développer ces marchés sans générer de revenus ?
Nous avons commencé par nous lancer en Allemagne en 2009, notre premier marché en dehors de la Lituanie. Cette expansion s'est faite presque par hasard. Mon cofondateur, Justas, et moi étions actifs sur le site Couchsurfing, par lequel nous avions hébergé deux femmes allemandes. Elles nous ont proposé de développer la plateforme bénévolement dans leur pays. Nous avons simplement traduit le site. De manière similaire, notre expansion en République tchèque s'est appuyée sur des contacts personnels et un travail bénévole. L'acquisition d'utilisateurs reposait exclusivement sur le bouche-à-oreille. En Allemagne, nous avons ainsi atteint près de 2 millions de membres sans aucune publicité.
Pourquoi vous être développés aussi rapidement sur autant de marchés ?
Nous avions décidé de nous lancer sur une dizaine de marchés simultanément, en grande partie grâce à l'implication de locaux qui opéraient la plateforme sur une base bénévole. Chaque pays comptait des utilisateurs, mais souvent en petit nombre. En 2011, nous avons réalisé qu'il était temps de faire un choix : continuer à nous étendre à l'international ou nous recentrer sur le produit. Nous avons conclu qu'il était essentiel de l'améliorer. Cela impliquait de retravailler le design, de perfectionner l'algorithme de recommandation et surtout de développer notre application. Mais, plus important encore, il nous fallait établir un modèle économique viable.
Comment Vinted générait-il des revenus au cours des premières années ?
Pendant six ou sept ans, l'utilisation de Vinted était entièrement gratuite pour les utilisateurs. Nous générions un peu de revenus grâce à des bannières publicitaires, mais il n'y avait ni système de paiement intégré, ni service de livraison. Les utilisateurs devaient eux-mêmes trouver des solutions pour le paiement et le transport. Conscients de la nécessité de trouver un modèle économique viable, nous avons intégré un système de paiement en prélevant une commission payée par l'acheteur. Ce système, qui était optionnel, n'a cependant pas rencontré un grand succès pendant deux ou trois ans. Cela était peut-être dû au taux de commission initial, qui variait de 12 à 14% selon les pays, mais ce n'était probablement pas la seule raison.
Qu'est-ce qui a finalement favorisé l'adoption de ce système de paiement intégré ?
Nous avons réussi à conclure des accords avec des transporteurs sur le marché français, ce qui nous a permis d'obtenir des réductions sur les frais d'expédition. Ainsi, même avec la commission que nous prélevions, utiliser notre système de paiement devenait une option très avantageuse pour nos membres français. En constatant ce succès en France, nous avons décidé de persévérer. Notre commission incluait également une assurance qui offrait un dédommagement en cas de non-réception d'un article ou si celui-ci arrivait endommagé.
Cette proposition de valeur était particulièrement claire et convaincante, notamment pour l'achat d'articles coûteux. Lors de sa prise de fonction, notre nouveau CEO, Thomas Plantenga, a développé d'autres sources de revenus, comme la mise en avant d'articles pour accélérer leur vente. En parallèle, nous avons réduit nos coûts fixes en fermant certains bureaux, tout en investissant davantage dans la technologie pour nous permettre de scaler plus rapidement.
Aujourd'hui, Vinted s'est diversifié au-delà de la mode. La plateforme a-t-elle vocation à devenir la référence pour l'achat de seconde main en Europe, toutes catégories de produits confondues ?
Je suis aujourd'hui uniquement actionnaire et ne participe plus activement aux décisions stratégiques. J'ai quitté mes responsabilités en 2016, après huit ans passés à développer Vinted. Cela dit, j'observe que les mentalités des nouvelles générations vis-à-vis de l'achat de seconde main ont radicalement évolué, et il n'y aura pas de retour en arrière. La question d'acheter ou non de la seconde main ne se pose plus, ce qui ouvre naturellement des opportunités pour Vinted de se diversifier au-delà de la mode. Certaines verticales ont d'ailleurs été lancées il y a déjà un certain temps, comme celle des jouets, disponibles sur la plateforme depuis plus de huit ans.
Qu'est-ce qui vous a décidé à passer la main à un CEO plus expérimenté pour diriger Vinted ?
C'est une décision assez courante parmi les entrepreneurs, car peu de fondateurs ont la capacité ou même le désir de piloter une entreprise depuis ses débuts jusqu'à une éventuelle introduction en bourse. Il faut savoir s'écouter et identifier à quel moment nous apportons le plus de valeur. Dans mon cas, je fais partie des fondateurs qui apprécient particulièrement les phases de création et de développement d'une jeune entreprise. Bien sûr, un fondateur doit aussi chercher à atteindre une certaine échelle et à soutenir l'expansion internationale.
Pour autant, lorsque l'entreprise entre dans une nouvelle phase, une restructuration et la nomination d'un nouveau CEO peuvent s'imposer. La culture, les valeurs, le profil des collaborateurs recherchés : tout cela évolue avec le temps, ce qui est parfaitement normal et même nécessaire pour accompagner la croissance de l'entreprise.
Milda Mitkutė est la cofondatrice de Vinted, une plateforme d'échange de vêtements de seconde main née en Lituanie en 2008. Elle rencontrera par la suite Justas Janauskas, son cofondateur, lors d'une soirée, qui accepte de s'occuper de la partie technique du projet. Milda est diplômée d'un master de l'ISM University of Management and Economics.