Et si la revalorisation textile devenait la pierre angulaire d'un nouveau modèle industriel ?
Alors que Paris referme les portes de sa Fashion Week, l'industrie textile est écartelée entre deux pôles opposés.
D’un côté, les géants de la fast-fashion : Shein, Temu ou H&M, qui imposent leur logique du jetable à grande vitesse. De l’autre, les maisons de luxe, sanctuaires d’excellence et de rareté. Entre ces deux extrêmes, les marques dites “intermédiaires” peinent à survivre : Camaïeu a disparu, Kookaï s’est effondrée, et Pimkie, fragilisée, vient de sceller un partenariat stratégique avec Shein pour tenter de se relancer.
C’est le “ventre mou” d’un marché pris en étau, où milieu de gamme et premium souffrent de n’apporter ni la qualité ni la désirabilité attendue autrefois. Pourtant, une voie existe pour réinventer ce segment : la revalorisation. Au-delà de la simple remise sur le marché, elle permet de redonner vie à des métiers artisanaux, de créer des emplois locaux et d’accompagner la réinsertion professionnelle, tout en constituant la pierre angulaire d’une relance industrielle et économique durable.
Revaloriser plutôt que revendre
Ne parler que de “seconde main” est réducteur. La seconde main se contente de prolonger la vie d’un produit via un nouvel utilisateur. La revalorisation, elle, consiste à lui redonner un maximum de la valeur en le réparant, en le transformant, en le réinsérant dans des circuits de revente et de distribution, dont la seconde main n’est qu’un canal parmi d’autres. C’est une renaissance qui peut hisser une pièce au rang de produit désirable, loin de la simple réutilisation. Elle comble ainsi l’espace laissé vacant entre fast-fashion et luxe, en proposant des alternatives accessibles, durables et attractives.
Un potentiel encore sous-exploité
Cette approche est bien plus qu’une réponse à l’écologie ou une simple question de style : c’est un levier industriel majeur. En France, ce sont 810 000 tonnes de textiles qui ont été mises sur le marché en 2023. Mais seuls 36 % de ces volumes ont été collectés après usage, en vue de réemploi, revente ou recyclage.
Parmi ces textiles collectés, 14 % sont orientés vers le réemploi ou la revalorisation (seconde main, fripe, etc.), tandis que 7 % seulement aboutissent à un recyclage matière.
En parallèle, environ 270 000 tonnes de déchets textiles sont collectées annuellement, dont 60 % des produits triés sont revendus en fripe, souvent à l’étranger. L’éco-organisme Refashion rapporte par ailleurs que les bénéfices environnementaux de ces activités (collecte, tri, réemploi/revalorisation, recyclage) ont permis d’éviter 420 000 tonnes de CO₂ équivalent en 2023, puis 480 000 tonnes en 2024.
Ces chiffres témoignent d’un potentiel immense, mais encore insuffisamment exploité pour transformer durablement le secteur.
La proposition de loi portée par Anne-Cécile Violland, députée à l’origine du texte anti-fast fashion, et dont Sylvie Valente Le Hir est rapporteure au Sénat, montre que la prise de conscience politique est en marche.
Reste désormais à concrétiser cette ambition dans une version finale du texte qui conserve une structuration industrielle forte, une portée territoriale et une équation économique viable.
Passer à l’échelle industrielle
Pour changer d’échelle, il faut dépasser les initiatives locales et bâtir une véritable filière industrielle de la revalorisation. Cela suppose des infrastructures adaptées à la collecte, au tri, une traçabilité renforcée, une équation économique viable et rentable. Mais cela suppose aussi une vision sociale : ces filières créent des emplois non délocalisables, favorisent la réinsertion et revalorisent des savoir-faire artisanaux, souvent disparus de nos régions. Enfin, elles contribuent à la souveraineté économique en réduisant la dépendance aux importations de matières premières et de produits finis.
Le temps du “re-commerce”
La France et l’Europe ont une carte unique à jouer. Comme le e-commerce a inventé ses champions il y a vingt ans, le “re-commerce” doit aujourd’hui faire émerger de nouveaux acteurs capables d’industrialiser la revalorisation textile. C’est un triple enjeu, écologique, social, économique et c’est aussi la condition pour bâtir une mode plus juste et plus durable.
Repenser la revalorisation, c’est repenser le rôle même de l’industrie textile : non plus produire toujours plus, mais donner une seconde vie créatrice aux ressources déjà existantes. C’est offrir au consommateur un choix désirable, à mi-chemin entre l’ultra-jetable et l’inaccessible. C’est, enfin, tracer la voie d’une nouvelle ère : celle d’une relance économique qui conjugue compétitivité, durabilité et souveraineté. Parce que chaque produit à une histoire... et un avenir.