Tachygraphe intelligent et VUL : le nouveau virage numérique du transport routier, avec des enjeux spécifiques pour la France

Truckonline

À partir du 1er juillet 2026, les VUL de plus de 2,5 tonnes effectuant du transport international devront être équipés d'un tachygraphe intelligent, une mesure qui soulève des défis en France.

Le compte à rebours est lancé pour une transformation majeure du secteur du transport routier européen. Au 1er juillet 2026, une nouvelle obligation entrera en vigueur : tous les véhicules utilitaires légers (VUL) de plus de 2,5 tonnes effectuant du transport international ou du cabotage devront être équipés d'un tachygraphe intelligent de deuxième génération (Gen2V2). Plus qu'une simple mise à jour réglementaire, cette échéance marque une accélération de la digitalisation du transport et vise à rééquilibrer les règles du jeu. Mais alors que cette évolution est globalement saluée pour ses bénéfices, le contexte français soulève des questions et des défis uniques qui nécessitent une attention urgente.

Une vision européenne pour une compétition plus juste et une sécurité renforcée

L'extension de l'obligation du chronotachygraphe intelligent aux VUL de 2,5 tonnes et plus est une mesure phare du "Paquet Mobilité" européen. Son objectif est clair et multifacette. Premièrement, elle vise à lutter contre la concurrence déloyale. Pendant longtemps, certains acteurs, notamment issus de pays où les coûts sont moindres, ont privilégié de gros fourgons plutôt que des poids lourds pour échapper aux réglementations sociales et économiques plus strictes. En imposant les mêmes règles en matière de temps de conduite et de repos aux VUL internationaux, l'Europe harmonise les conditions et vise à mettre fin à ces pratiques. Cette harmonisation devrait, de fait, entraîner une augmentation des prix pratiqués par certaines entreprises étrangères qui devront investir dans l'équipement et la gestion associée, ce qui pourrait avoir pour conséquence d'inciter les chargeurs à privilégier un 38 tonnes plutôt que plusieurs utilitaires, rééquilibrant ainsi le marché.

Deuxièmement, cette réglementation contribue significativement à l'amélioration de la sécurité routière. L'enregistrement précis des temps de conduite et de repos permet de lutter efficacement contre la fatigue au volant, un facteur majeur d'accidents. En garantissant une meilleure application de ces règles, la sécurité des conducteurs professionnels et, par extension, de tous les usagers de la route s'en trouve accrue. Enfin, cette évolution favorise l'optimisation opérationnelle. Les données détaillées collectées par ces tachygraphes intelligents offrent de nouvelles opportunités d'affiner la planification des tournées, de gérer plus efficacement les flottes et d'assurer une meilleure conformité réglementaire, poussant ainsi les entreprises vers une gestion plus efficiente et transparente.

La digitalisation comme moteur de changement

L'intégration du chronotachygraphe intelligent est, par essence, une étape de digitalisation majeure du secteur du transport routier. Ces appareils de nouvelle génération enregistrent automatiquement les passages de frontières, permettent des contrôles à distance (DSRC) et stockent des données essentielles pour l'analyse et la conformité. Pour les entreprises de transport, cette transition vers le tout-numérique implique des changements profonds dans leurs pratiques.

La gestion des données devient un enjeu central : l'archivage obligatoire des informations du véhicule et des cartes conducteurs pendant au moins 12 mois nécessite l'implémentation de systèmes de téléchargement, qu'ils soient manuels ou à distance, et l'acquisition de logiciels de traitement des données. C'est une incitation forte à l'adoption de solutions numériques avancées comme les logiciels de gestion sociale, les Transport Management Systems (TMS) ou les portails de gestion de flotte. Plus encore, cette transition représente une opportunité stratégique d'adopter des plateformes intégrées qui ne se contentent pas de collecter les données du chronotachygraphe. Elles permettent une gestion complète de la conformité à la Réglementation Sociale Européenne (RSE), optimisent la gestion des temps de travail et de repos, et peuvent même faciliter les processus de pré-paie et de remboursement des indemnités, offrant ainsi une vision unifiée et une meilleure gestion globale de la flotte.

Parallèlement, la formation s'impose comme une nécessité absolue : les conducteurs et les gestionnaires doivent maîtriser ces nouveaux outils et les règles complexes associées. L'absence d'une formation adéquate est d'ailleurs identifiée comme un risque majeur pour la conformité. Du côté des autorités, l'efficacité des contrôles s'en trouve considérablement renforcée par ces outils numériques, facilitant la détection des infractions et garantissant une application plus homogène de la réglementation.

Le paradoxe français : naviguer entre les contradictions

C'est sur le sol français que cette transition révèle ses aspérités les plus complexes. Alors que la réglementation européenne impose l'équipement en tachygraphe pour les VUL internationaux, la France dispose déjà d'un cadre national spécifique pour le transport léger : le livret individuel de contrôle (LIC) papier ou son alternative numérique, Mobilic.

Comme le souligne avec justesse dans cet article Marc Bougaut, enseignant transport et créateur du Guide du Chrono, dont les travaux et analyses sur le sujet sont devenues une référence, "l'arrêté français du 6 mars 2025 concernant les enregistrements en transport léger ignore toujours que des véhicules légers sont déjà équipés de tachygraphe et ne tient pas compte des dispositions de la réglementation sociale européenne sur la conduite routière."

Il explique que cette absence d'harmonisation est source de complications majeures pour les entreprises françaises ayant une activité mixte, à la fois nationale et internationale. En effet, au-delà de la non-reconnaissance des outils nationaux à l'étranger, le conducteur se trouve dans l'obligation de doublement enregistrer ses activités nationales : une fois via le LIC/Mobilic, et une seconde fois via le tachygraphe pour ses activités internationales. Cette double saisie est non seulement chronophage, mais elle est également source d'erreurs et de confusion. Pour les entreprises utilisant Mobilic ou une solution équivalente, la gestion informatique de ces données hétérogènes devient un véritable casse-tête, d'autant que la conduite n'est pas enregistrée de la même manière selon les deux systèmes. Le risque d'amendes et de pénalisation est donc bien réel.

Pour les conducteurs français qui alternent activités nationales (gérées par LIC/Mobilic) et internationales (où le tachygraphe devient obligatoire), la complexité est accrue. Lors de contrôles à l'étranger, l'absence de maîtrise de la réglementation sociale européenne ou la non-reconnaissance des outils nationaux pourraient entraîner des amendes significatives. À cela s'ajoute un vide de formation préoccupant : faute d'harmonisation ou d'indications claires de l'autorité compétente, il est aujourd'hui difficile de proposer un contenu et des formations pertinents pour les conducteurs français de véhicule léger appelés à assurer des services internationaux, laissant les professionnels dans une incertitude préjudiciable.

L'état de préparation du secteur : un paysage complexe

La préparation à cette échéance est loin d'être uniforme à travers le secteur. Si les grands groupes de transport, ou ceux déjà habitués aux réglementations poids lourds, ont une longueur d'avance et disposent souvent des ressources nécessaires, de nombreuses Petites et Moyennes Entreprises (PME), notamment les expressistes, sont encore mal informées ou sous-estiment l'ampleur des changements à venir.

Plusieurs défis majeurs persistent. Tout d'abord, l'estimation du nombre de véhicules concernés reste floue. L'absence d'une base de données européenne centralisée rend difficile l'identification précise du volume de VUL à équiper, ce qui complexifie la planification pour les fabricants de tachygraphes et les ateliers agréés. Ensuite, la capacité des ateliers représente un goulot d'étranglement potentiel. L'installation obligatoire concerne tous les VUL en circulation (neufs et anciens) utilisés pour le transport international. Nombre d'ateliers agréés pourraient être débordés face à la demande massive, entraînant des délais d'installation prolongés. L'investissement, qu'il s'agisse de l'acquisition des tachygraphes eux-mêmes, des cartes conducteurs et entreprise, des logiciels de gestion ou encore des coûts de formation, constitue par ailleurs une charge financière significative, particulièrement pour les petites structures. Enfin, l'adhésion des acteurs varie. Bien que l'objectif global de lutte contre la concurrence déloyale soit souvent bien perçu par les transporteurs d'Europe de l'Ouest, la complexité administrative et le coût peuvent freiner l'engagement et la préparation, particulièrement au sein des PME.

Au-delà de la conformité, vers un avenir modernisé et harmonisé

L'extension du tachygraphe intelligent aux VUL internationaux est une étape nécessaire et bienvenue pour moderniser le transport routier, en garantir la sécurité et assurer une concurrence plus équitable sur les routes européennes. Elle représente une formidable opportunité d'accélérer la digitalisation des pratiques et d'améliorer l'efficacité opérationnelle de tout un segment du transport.

Cependant, la réussite de cette transition repose sur une préparation minutieuse et une clarification urgente des zones d'ombre réglementaires, en particulier en France. Il est impératif que les autorités françaises harmonisent rapidement leurs textes avec les exigences européennes afin d'éviter de pénaliser les entreprises nationales qui opèrent à la fois sur le territoire et à l'international. Une communication claire et ciblée, des formations adaptées et un accompagnement renforcé des PME sont désormais les clés pour transformer cette contrainte réglementaire en un véritable levier de performance et d'innovation pour l'ensemble du secteur. L'heure n'est plus aux atermoiements, mais à une action concertée et décisive pour garantir une transition fluide et bénéfique pour tous.