Désamiantage de la Tour Montparnasse : les turpitudes d'un chantier sans fin
Le désamiantage de la Tour Montparnasse connait des difficultés majeures depuis le début du chantier il y a plus de dix ans.
Entamé il y a seize ans, le chantier de désamiantage de la plus haute tour parisienne n’en finit plus. Les retards cumulés, les difficultés techniques et les appels d’offres repoussés n’ont pas permis de boucler le chantier à temps. Et ce n’est pas fini.
Il y a la façade, et les coulisses. Ces trois dernières années, les médias ont vu fleurir bon nombre d’articles sur le lifting extérieur de la plus haute tour de Paris qui culmine aujourd’hui à 210m d’altitude. Les travaux commenceront finalement en septembre prochain, avec plus de deux ans de retard. Ils devaient être achevés avant l’ouverture des Jeux olympiques de 2024, mais rien n’est moins sûr désormais. Budget de l’opération : 400 millions d’euros. Au programme : élargissement des 14 premiers étages pour protéger le parvis, façade bioénergétique en verre, panneaux photovoltaïques et végétalisation du toit avec une serre agricole. La mairie du 15e arrondissement se veut confiante et affiche son objectif : "Apaiser le quartier, le végétaliser et l’adapter aux nouveaux usages du quotidien" en rendant la Tour Montparnasse "plus claire, plus verte, plus ouverte aux Parisiens et plus éco-responsable." Selon les plans architecturaux, l’édifice gagnera 15m de hauteur. Magnifique.
La nouvelle Tour de Babel
Et puis il y a les coulisses. Là, l’ambiance est moins euphorique et cela fait longtemps que cela dure. En mars 2005, des études sur la présence d’amiante – interdite depuis 1997 en France – font les gros titres, les premiers travaux de désamiantage commencent dès 2006. Mais les entreprises impliquées rencontrent nombre de difficultés. En 2013 par exemple, les ratés techniques avaient poussé des sociétés à ne pas réintégrer leurs locaux. En cause : 72 dépassements des seuils réglementaires pour les poussières d’amiante. A l’époque, la fin du chantier n’était pas prévue avant 2017. Des prévisions pour le moins optimistes. Un an plus tard, en 2014, une expertise pointait l’organisation des travaux, responsables de pics de pollution. "La tour Montparnasse est un lieu symbolique, déplorait alors Michel Parigot, le vice-président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Au lieu de désamianter tout le bâtiment, les copropriétaires ont fait des calculs de boutiquiers et du bricolage, en procédant morceau par morceau. Dans ces conditions, il est difficile de protéger les salariés." Année après année, arrêts et tergiversations dans ce chantier n’ont fait que repousser la date de fin des travaux.
Depuis, la donne n’a guère changé en termes de délais. La fin du chantier a été sans cesse reportée. Après les ratés techniques, les écueils administratifs ont pris le relai. Car la Tour Montparnasse – qui comprend quatre édifices différents : la tour elle-même, le centre commercial, la tour CIT et un immeuble de bureaux – a parfois des allures de Tour de Babel : ses 300 000m² sont répartis entre 300 copropriétaires. Autrefois réunis dans un seul organisme (Ensemble Immobilier Tour Maine-Montparnasse - EITMM), les copropriétaires ont changé leur fusil d’épaule car il leur était impossible d’accorder leurs violons, entre petits et grands propriétaires. En avril 2021, l’EITMM est divisée en quatre, la tour proprement dite redevient une copropriété autonome. Ils sont désormais une quarantaine de décideurs, principalement institutionnels avec à leur tête de grandes sociétés à l’image de la mutuelle MGEN, de l’assureur AXA et du groupe financier LFPI (foncière La Financière Patrimoniale d’Investissement). Ce dernier, dirigé par Frédéric Lemos, est propriétaire de 17 étages de la Tour Montparnasse.
Des calendriers qui se percutent
Dans le dossier du désamiantage de la Tour Montparnasse, deux camps s’affrontent depuis les années 2010 : les partisans de l’évacuation totale le temps des travaux, et ceux qui n’y sont pas favorables. Parmi les premiers, l’Andeva et d’autres associations ont tiré la sonnette d’alarme, notamment en 2014-2015, stipulant par exemple qu’il "existe un risque de libération de fibres d’amiante en cas de déclenchement des moteurs de soufflage de désenfumage. Suite aux chantiers tests du 29 août et du 5 septembre 2015, ce risque est confirmé". Malgré cela, le chantier a continué sur le même rythme. D’autres voix ont proposé des solutions alternatives au désamiantage classique, comme l’encapsulage ou le recouvrement. "Le recouvrement permet au maître d’ouvrage d’économiser sur les coûts, souvent très élevés, de désamiantage, explique Brice Bessières, responsable commercial chez Digiliance. D’autant que les modalités d’intervention permettent souvent d’effectuer les travaux en présence des utilisateurs des locaux (à l’inverse du désamiantage qui impose la ‘non-présence’ d’utilisateurs lors des travaux)." Ces alternatives existent, mais restent moins efficaces que le désamiantage pur et simple pour éradiquer la menace. Malgré le recouvrement ou l’encapsulage, "la problématique amiante reste entière pour un maître d’ouvrage qui doit continuer à suivre l’état de dégradation de son matériau, tempère Brice Bessières. La problématique amiante est donc simplement repoussée, mais non traitée". Et donc, à ce choix pour la conduite des travaux est venu se rajouter le projet de lifting du bâti, lui aussi en retard.
Sur le terrain, les calendriers des deux dossiers – lifting et désamiantage – vont donc se percuter, ce qui apporte également son nouveau lot de complications. Le retard du premier va impacter celui du second, le plan d’urbanisme étant en cours de définition malgré les chantiers de désamiantage actuels. "Nous n’avions pas le choix, assure Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme à la mairie de Paris. La tour devait être transformée." Les pouvoirs publics, eux, semblent néanmoins attentifs aux conditions de faisabilité du nouveau projet de lifting. En mars 2018, l’Autorité environnementale publiait son rapport, mentionnant en particulier un point de vigilance : "Le projet nécessite d’achever le désamiantage de l’immeuble existant."
Quid des futurs appels d’offres ?
Le désamiantage complet de la Tour Montparnasse – qui a passé le cap des 90% – est donc toujours d’actualité. Découpé en plusieurs lots, ce chantier fera encore l’objet de nouveaux appels d’offres, principalement pour des zones inaccessibles et pour certains joints de la façade, comme le souligne l’étude d’impact des Syndicats secondaires A et C de l’EITMM en 2020. Plusieurs entreprises sont sur les rangs pour remporter ces derniers lots qui permettront, enfin, de voir le bout du tunnel. Parmi elles, Neom, la filiale désamiantage du groupe Vinci, ou encore DI Environnement et SNADEC, deux des leaders français du désamiantage. A moins que les liens entre SNADEC et LFPI – l’un des principaux propriétaires fonciers de la tour – ne constituent un écueil, LFPI étant devenu actionnaire majoritaire dans l’entreprise de désamiantage en 2019.
Quoi qu’il en soit, le monde du BTP n’a pas fini d’entendre parler de la Tour Montparnasse. Car les derniers lots du chantier de désamiantage seront aussi les plus compliqués à mener à bien, tant les zones concernées sont difficiles d’accès. Mais malgré les mésententes passées, toutes les parties s’accordent sur un point : le seul et unique objectif reste de débarrasser à 100% la Tour Montparnasse de ce produit qui a fait 35 000 morts en France entre 1965 et 1995, "entre 50 000 et 100 000 décès étant encore attendus d’ici 2025" selon les chiffres du Sénat. D’autres chantiers de désamiantage similaires – les Tours Shell et Winter à la Défense, la Tour Pleyel à Saint-Denis… – ont également vu leur fin se prolonger, et leur budget parfois exploser de 50% à cause des difficultés techniques rencontrées et des solutions nécessaires pour traquer les dernières traces de ce poison. Nul doute que les usagers de la Tour Montparnasse, eux, respireront un grand coup quand les travaux seront enfin terminés.