Et si, demain, tous les utilisateurs devenaient anonymes ?
Adam Greco revient sur le renforcement de la politique de confidentialité des données et imagine un monde où tous les utilisateurs seraient anonymes.
Depuis plusieurs années, régulateurs et entreprises se livrent au jeu du chat et de la souris en matière de confidentialité des données et d’identification des utilisateurs. D’un côté, les entreprises ont besoin de ces données afin d’améliorer les performances des publicités et de leurs produits numériques, et de l’autre, les utilisateurs sont de plus en plus réticents à partager leurs informations personnelles et exigent davantage de protection et de transparence. Alors que la réglementation européenne s’est peu à peu durcie pour mieux encadrer l'utilisation de ces données, certains pays en ont payé le prix fort. Depuis l’invalidation par l’UE du Privacy Shield en 2020, les entreprises américaines avaient interdiction de transférer les données des Européens vers des serveurs américains Bien que les deux partis soient arrivés à un accord en juillet dernier, le répit pourrait être de courte durée puisque plusieurs instances ont déjà saisi la justice pour annuler cette décision.
Mais que se passerait-il si, un jour, les utilisateurs de votre site ou de votre application devenaient anonymes ? S'il n'y avait plus du tout de cookies pour savoir s’ils les ont déjà utilisés auparavant ?
L'attribution marketing dans une impasse
Première victime de l’anonymat des utilisateurs : l'attribution marketing, qui permet de comprendre comment les différents canaux contribuent aux ventes. Dans un monde où tous les utilisateurs seraient anonymes, les entreprises pourraient toujours identifier le nombre d’utilisateurs converti par une campagne marketing. En revanche, il serait impossible de savoir si ces mêmes utilisateurs avaient déjà visité leur site ou application auparavant, ni de personnaliser le contenu ou les promotions en fonction de leurs comportements passés. Par exemple, elles n’auraient aucun moyen d'envoyer des messages de remarketing aux utilisateurs qu’elles n'ont pas réussi à convertir (le cas de ceux qui ont laissé des articles dans leur panier d’achat).
À terme, les investissements s’orienteraient majoritairement vers les canaux et les campagnes marketing les plus performants côté conversion. Dès lors, cela dégraderait la valeur des outils d'analyse marketing traditionnels tels que Google Analytics et Adobe Analytics, qui disposent de capacités étendues de campagne, de canal et d'acquisition. Bien que ce scénario reste hypothétique, l’anonymisation progressive des utilisateurs explique que de plus en plus d’entreprises réaffectent les budgets marketing au profit des produits numériques, car elles n’ont plus les moyens de mesurer précisément le ROI des campagnes.
Pour atténuer cet impact potentiel, l’une des solutions envisagées par Google est la modélisation comportementale et de conversion. Cette approche consiste à s’appuyer sur les données des utilisateurs qui consentent à partager leurs informations afin de prédire le comportement de ceux qui souhaitent rester anonymes. Mais cette tactique, basée sur une construction artificielle des données, constituerait une solution de court terme qui atteindrait rapidement ses limites si la part d’utilisateurs anonymes venait à croître de manière significative, voire atteindrait les 100 %.
Les autres solutions envisageables seraient l’analyse d’incrémentalité ou les essais contrôlés randomisés (ECR), qui consistent à comparer les performances d’un groupe exposé à une campagne marketing et d’un groupe non exposé. Ces techniques s’avèrent plus pertinentes car elles ne reposent pas sur la connaissance de l'utilisateur. Au lieu de cela, elles utilisent l'apprentissage automatique, les algorithmes et l'expérimentation pour déterminer quelles dépenses marketing mènent au succès. Cette approche présente donc un réel avantage pour les spécialistes du marketing face au nombre croissant d'utilisateurs préférant garder leurs données confidentielles.
L‘analyse de la rétention hors de portée
L’un des outils les plus efficaces pour identifier les utilisateurs récurrents d’un site ou d’une application est l’analyse de la rétention, qui permet de savoir à quelle fréquence une même personne utilise votre produit. Les rapports de rétention permettent ainsi d’identifier les campagnes marketing qui fidélisent le plus les utilisateurs, l’intervalle moyen entre deux visites, les fonctionnalités et les contenus les plus engageants, mais aussi ceux qui génèrent le plus d’abandon ou de désabonnements. Si les outils d’analyse marketing sont assez limités en la matière, les solutions d’analyse du produit offrent une interprétation beaucoup plus fine du comportement des utilisateurs. Mais s’il est impossible de déterminer si un utilisateur visite votre site pour la première ou la cinquième fois, ces rapports deviennent quasiment inutiles.
En l’absence d’identification, la stratégie de rétention la plus viable consisterait à renforcer l'authentification des utilisateurs. Pendant des années, les marques ont préféré sous-traiter les relations clients à des tiers. Au lieu de s'assurer que chaque client ait un compte, elles payaient Google ou Facebook pour attirer les mêmes cibles encore et encore via leurs canaux publicitaires. Mais comme de plus en plus d'utilisateurs restent anonymes, ces canaux perdent leur capacité à les identifier avec précision. Ainsi, lorsqu’Apple a mis en place l'Intelligent Tracking Prevention (ou ITP), Facebook a connu une baisse significative de ses revenus publicitaires.
Les avantages de l’authentification sont donc indéniables. Une fois l’utilisateur authentifié, vous pouvez analyser tous ses comportements dans le respect de sa vie privée. Des secteurs tels que les services financiers, mais aussi les entreprises digital-native comme Uber, sont à l’avant-garde en matière d’authentification puisque cette étape est obligatoire pour utiliser leurs produits. De plus en plus de marques devraient leur emboîter le pas dans les années à venir, quitte à payer ou rétribuer les utilisateurs en échange de l’accès à leurs données.
Une autre stratégie d'amélioration de la rétention peut être l'utilisation de la technologie blockchain. À titre d’exemple, les utilisateurs pourraient stocker leurs données personnelles sur une blockchain privée et choisir quelles informations ils souhaitent partager avec chaque marque. La blockchain offrirait un moyen sécurisé de faire savoir aux marques qu'elles ont des visiteurs récurrents sans compromettre la confidentialité de leurs données. Cependant, là encore, il est fort probable que de plus en plus d’utilisateurs exigent une contrepartie. Un changement de paradigme qui leurs permettraient de reprendre le contrôle sur leurs données et de les monétiser, jusqu’à supprimer complétement l’intermédiaire des canaux publicitaires.