La conduite du changement - ou l’art de la navigation en terrain mouvant
Dans le cadre d’un projet IT, on cherche d’ordinaire à planifier de manière aussi précise que possible les tâches à accomplir, à anticiper les impacts du nouveau système sur les utilisateurs et à identifier enfin les besoins de formation.
Si on examine le taux d’échec des grands projets de transformation, force est de constater qu’il y a dans cette approche une forme de déni de réalité.Cette chronique essaie de comprendre les causes profondes de ces échecs à répétition.
Pourquoi changer après tout ?
Des fonctionnalités qui, hier encore, étaient des options de confort deviennent rapidement des standards.
Complexité et imprédictibilité
Parmi les causes de ces échecs à répétition, figurent selon nous deux spécificités des systèmes informatiques trop souvent niées.
- La première est liée à l’idée de complexité, un terme hélas trop galvaudé pour que nous puissions nous dispenser d’une brève définition. Les scientifiques en proposent plusieurs mais dans notre contexte, celui des projets de transformation IT, nous parlerons de système « complexe » dès lors qu’aucun individu n’est en mesure, à lui seul, d’en concevoir une vision globale et exhaustive. Qu’il s’agisse par ailleurs du système existant ou du résultat de la transformation envisagée.
La vision d’un tel système n’est tout au plus qu’un agrégat de visions partielles, parfois même contradictoires, des parties prenantes concernées : architectes, utilisateurs, développeurs, DSI ou DG. A titre d’exemple, les dépendances entre les sous-systèmes sont rarement connues avec précision. Elles résultent en effet d’un historique oublié de décisions prises par des responsables différents confrontés à une multitude d’options technologiques. Cette absence de vision globale est en réalité inhérente aux SI dans le contexte technologique fébrile actuel et n’est nullement le symptôme d’une quelconque incompétence. Certes la modélisation du système et la formalisation du besoin restent utiles mais, pour un système complexe, elles ne permettront pas une planification détaillée du projet. Pas davantage qu’une connaissance de la dynamique de l’atmosphère ne permet de prévoir le temps qu’il fera d’ici une année. - La seconde caractéristique des systèmes informatiques, qui les distingue nettement d’autres systèmes complexes, est qu’ils n’existent jamais indépendamment d’un environnement social dont ils modifient l‘équilibre. Ils induisent en effet une redistribution des responsabilités et des pouvoirs. Il arrive aussi que l’utilisation qui est faite du système ne soit pas celle prévue par ses concepteurs et nécessite en retour des modifications nécessaires. De toutes ces rétroactions du corps social dépendra en dernier ressort l’acceptation ou le refus du changement.
Conseils de navigation en terrain mouvant
Dès lors, toute velléité de prédiction à long terme s'apparente à une pratique des arts divinatoires. L’expérience montre par ailleurs que l’absence de proportionnalité, entre les causes et leurs effets, est d’autant plus marquée que les sous-systèmes sont fortement interdépendants. D’où notre second conseil : on cherchera toujours à minimiser autant que possible les interdépendances entre les composantes d’un projet de transformation (qui est notre système complexe) qu’il s’agisse des outils, des pratiques ou des individus (qui sont les « constituants » du système).
On parle alors d’innovation radicale. Selon les circonstances celle-ci peut prendre des tournures différentes : l’utilisation d’une technologie disruptive, un changement radical de méthodologie de développement (passage aux démarches agiles p.ex.) ou le remplacement d’une équipe rétive au changement par une autre qui le soutiendra activement.
Le plus souvent, ce souffle fédérateur fait défaut. Dès lors, pour maximiser les chances de succès d’un projet de transformation, deux caractéristiques des individus sont à prendre en compte : leur degré d’adhésion au changement d’une part et leur capacité d’influence d’autre part. A l’encontre de l’intuition, l’expérience tend alors à démontrer qu’il ne faut pas chercher à convaincre une majorité d’individus du bien-fondé du changement mais qu’il est bien plus efficace de s’appuyer sur les individus à la fois promoteurs du changement et dotés d’un pouvoir de décision. D’autre part, il faudra aussi neutraliser les individus doté d’un pouvoir mais qui sont opposés au changement. Et il ne faut pas se leurrer, faute d’investir suffisamment d’énergie pour mener ces deux types d’action, l’abandon pur et simple du projet de transformation pourrait bien s’avérer la décision la plus sage.