Mais où va Microsoft ?

Mais où va Microsoft ? Rachat de LinkedIn, stratégie plateforme d'Office 365, revente de l'activité mobile de Nokia, investissements dans l'A.I.... Microsoft donne l'impression d'aller dans tous les sens. Mais quelle est sa stratégie ? Le point.

A 41 ans, Microsoft est, avec IBM, l'un des rares "dinosaures" de l'IT à rester à flot et à continuer d'innover face aux GAFA. La firme de Redmond fait même preuve d'hyperactivité ces derniers mois, multipliant les annonces et investissements. Au risque de brouiller les pistes. Quelle cohérence globale donner à tous ces événements ? Passage en revue des grands axes de la stratégie de Microsoft.

1°/ La stratégie "as a platform" d'Office 365

En ce qui concerne ses offres professionnelles, "Microsoft ne se disperse pas plus que ça", estime Arnaud Rayrole, directeur général du cabinet de conseil Lecko. "Le groupe poursuit le virage pris il y a deux ans d'inciter voire contraindre ses clients d'aller dans le cloud et sur le mobile". Peu de temps après sa nomination à la tête de Microsoft, en juillet 2014, Satya Nadella avait dans un memo exposé à ses employés sa stratégie "Cloud first, mobile first", mettant l'accent sur la productivité que devait apporter les outils collaboratifs.

Microsoft, désormais numéro un mondial du SaaS en entreprise

Avec un certain succès. Selon le dernier classement de Synergy Research, l'éditeur américain est devenu au deuxième trimestre 2016 le numéro un mondial du SaaS d'entreprise, détrônant Salesforce. Microsoft a aussi fait des efforts pour porter les applications Office sur les terminaux mobiles. Sans discrimination. "Les versions des  apps Office sous iOS sont de très bonne qualité.  Elles n'ont rien à envier à celles sous Windows Phone", observe Arnaud Rayrole.

En revanche, notre expert est plus circonspect sur l'approche "as a platform" prise par Office 365. En multipliant les connecteurs, les API, les kits de développement logiciel (SDK) et les chatbots, Microsoft ouvre sa suite aux applications tierces pour en faire une plateforme universelle et incontournable. Une ouverture qui se fait, selon le directeur de Lecko, au détriment de la cohésion. "Nous pensions à tort qu'il allait faire d'Office 365 une 'digital workplace' globale et unifiée. Au lieu de cela, on se retrouve avec une série de solutions autonomes, comme des apps sur un smartphone."

Microsoft propose des fonctionnalités de coédition de document dans Office 365 (comme ici avec PowerPoint), à l'instar de Google dans les Google Apps. © Capture Microsoft

S'il salue "le pari gagné par Microsoft de redevenir omniprésent sur le poste de travail", Arnaud Rayrole pointe du doigt le faible nombre de passerelles, et le manque de synergie et d'interopérabilité entre les différentes briques d'Office 365. "Un utilisateur peut se retrouver avec plusieurs profils, un pour Yammer, un autre pour SharePoint. Deux groupes Yammer ne peuvent fusionner, il faut en supprimer un, etc.", illustre-t-il.

Le foisonnement d'environnements collaboratifs peut aussi semer le trouble en entreprise. Entre Office 365 Groups, Yammer ou Sharepoint, quel outil utiliser pour quel usage ? D'autant que la tendance inflationniste se poursuit, les applications ne faisant que s'empiler. La sortie d'Office 365 Planner n'a pas tué les gestionnaires de tâches Wunderlist et Sunrise récemment rachetés par Microsoft. Et le géant américain pourrait ajouter à la liste un nouvel outil de collaboration temps réel. Baptisé Skype Teams, il se présenterait comme une alternative à Slack, société que Microsoft a envisagé un temps acquérir.

2°/ LinkedIn vient enrichir Dynamics

Le 13 juin, Microsoft a pris tout le monde de cours. En rachetant le réseau social LinkedIn pour 26,2 milliards de dollars, la firme de Redmond réalisait la plus grosse acquisition de son histoire. Elle mettait surtout la main sur une immense base de contacts professionnels avec 433 millions de membres dans plus de 200 pays.

Avec LinkedIn, Dynamics CRM pourrait devenir une machine à "leads" 

Si cette acquisition a pu paraître surprenante dans un premier temps, ce rapprochement fait sens. En apportant des contacts externes – clients, prestataires, candidats… - il vient compléter l'Office Graph qui rassemble les interactions des collaborateurs d'une même entité.

L'intégration de LinkedIn à Dynamics CRM peut, aussi, faire de ce dernier une formidable machine à produire des "leads", le réseau social professionnel venant enrichir les profils des prospects dans une optique de "social selling". Que disent les influenceurs de mon marché, les collaborateurs de cette entreprise que je cible ? LinkedIn apportera sur un plateau des signaux d'opportunités d'affaire suite à une nomination, une levée de fonds, une ouverture de site.

"Tout ce qui se fait aujourd'hui sur LinkedIn pourrait être piloté, à terme, depuis le back-office de Dynamics CRM", complète Arnaud Rayrole. De quoi venir concurrencer Salesforce qui tire notamment son succès de sa dimension sociale. Et le champ des possibles semble encore plus large avec l'annonce de Microsoft de fusionner ses applications de gestion de la relation client et d'ERP au sein d'une nouvelle offre baptisée Dynamics 365.

En intégrant LinkedIn à Dynamics, Microsoft pourrait se repositionner en concurrent frontal de Salesforce. © Capture JDN

De biens belles promesses à condition de ne pas tuer la poule aux œufs d'or. On l'a vu avec Yammer ou Skype, Microsoft ne tire pas toujours pleinement profit de ses acquisitions. Par ailleurs, l'image de Microsoft, Big Brother pour certains défenseurs du respect de la vie privée, pourrait entraîner une fuite massive des membres de LinkedIn. Et même si Satya Nadella a garanti l'indépendance de LinkedIn, Microsoft pourrait être tenté un jour contraindre ses membres à passer par Office 365 pour utiliser le réseau social.

3°/ Bots, Cortana et Hololens, la vitrine de l'innovation

Microsoft ne veut pas vivre que sur ses acquis et entend faire preuve d'innovation. Dans la guerre des "bots", il a devancé Facebook et Google en termes d'annonces. Fin mars, lors de sa conférence développeurs (la Build 2016), le géant américain présentait Skype Bot Platform. Une plateforme qui vise à introduire des agents conversationnels dans Skype réagissant aux messages écrits et, à l'avenir, aux conversations audio et vidéo.

HoloLens devrait, aussi, recevoir un bon accueil dans le monde professionnel

Autre nouveauté attendue d'ici la fin de l'année : le Bot Framework doit permettre aux développeurs de concevoir leurs propres bots fonctionnant dans Skype ou Outlook mais aussi Slack, Telegram ou Facebook Messenger. Microsoft a également mis à disposition des développeurs une série de "services cognitifs" pour doter les bots de modules de reconnaissance faciale ou d'analyse sémantique.

Ces bots viennent compléter Cortana, l'agent intelligent présent sur Windows 10 mais aussi depuis peu la console Xbox One. Celui-ci est taillé pour "comprendre" les demandes de l'utilisateur en langage naturel voire d'anticiper ses désirs. Il peut envoyer des e-mails, suivre un colis, un vol ou un thème spécifique dans l'actualité. Il sert aussi à rappeler certaines tâches à accomplir en fonction de l'heure, du lieu ou du contact. "Me rappeler de féliciter Tanya la prochaine fois qu'elle appelle", donne comme exemple Microsoft.

Au-delà de Cortana, le dernier "effet waouh" provoqué par Microsoft remontait à janvier 2015 avec la première démonstration d'HoloLens. Plus qu'un dispositif holographique comme son nom le laisse penser, il s'agit de projeter des images virtuelles dans le champ de vision de l'utilisateur sur le principe de la réalité augmentée avec la possibilité d'interagir avec elles. Vingt-mois plus tard, le concept futuriste devient tangible avec la distribution des premiers casques HoloLens proposés aux développeurs nord-américains pour 3 000 dollars. Cette distribution s'accompagne d'un kit de développement logiciel. HoloLens fonctionne sous un Windows 10 allégé et peut fait appel, via la voix, à Cortana.

En matière de conception et de simulation de produit, HoloLens pourrait donner un coup de vieux aux logiciels de CAO. © Microsoft

Bien évidemment, on pense au jeu vidéo. HoloLens proposera une expérience immersive inédite qui pourrait doper les ventes de Xbox. Mais le projet devrait aussi recevoir un bon accueil dans le monde professionnel avec des cas d'usage très variés. En matière de conception et de simulation de produit, il pourrait donner un coup de vieux aux logiciels de CAO. Il trouverait aussi tout son intérêt en matière de formation à distance, de télémaintenance ou de travail collaboratif en proposant des espaces virtuels partagés. Sans parler de l'e-commerce.

4°/ Cap à 180° vers l'open source

Qui aurait pu croire il y a quelques années que l'on associerait dans la même phrase Microsoft et open source ? Pour les tenants du monde Libre, la firme de Redmond faisait figure de grand Satan. Là encore, Satya Nadella a apporté sa touche en accélérant la stratégie open source du groupe. Et comme il ne suffit pas déclarer son amour, il faut des preuves, Microsoft a donné des gages de son ouverture. Il a fait savoir qu'il ouvrait SQL Server, son système de gestion de base de données, aux infrastructures sous Linux. Il a aussi rendu disponible en open source son framework de programmation .Net Core - pour lui permettre d'être supporté par des OS autres que Windows - comme Linux ou OS X. Le rachat de Xamarin, en février 2016, va aussi dans ce sens. Cet éditeur commercialise des outils permettant aux développeurs de créer des applications mobiles pour iOS et Android en utilisant .Net ou C#.

Toujours à destination des développeurs, Microsoft a placé sur GitHub Productivity Power Tools, une suite d'extensions pour Visual Studio 2015. Dans le même esprit, PowerShell, l'interprétateur de lignes de commande de Windows, est passé sous licence libre cet été. En début d'année, Microsoft avait déjà mis une bonne partie du code de JavaScript Chakra en open source. Cette machine virtuelle JavaScript équipe son navigateur Edge (après être apparue avec Internet Explorer).

5°/ Fin de partie dans la téléphonie mobile ?

C'est en revanche la Berezina pour Microsoft dans la téléphonie mobile. Le rachat de la division de téléphones mobiles de Nokia pour 7,2 milliards de dollars (opération intervenue en 2015) est un véritable fiasco. Après une première charrette de 18 000 licenciements dès 2014, la firme de Redmond annonçait, fin mai, la suppression de 1 850 emplois supplémentaires, pour l'essentiel basés en Finlande.

Le Lumia 650 fait partie des smartphone Lumia de toute dernière génération. © Microsoft

Le développement de nouveaux smartphones Lumia semble à l'arrêt et des rumeurs relayés par les sites spécialisés laissent entendre que leur fabrication pourrait être stoppée en décembre. La partie logicielle ne se porte pas mieux. Selon le classement de Kantar Worldpanel, la part de marché de Windows Phone a diminué de moitié en un an. En juillet dernier, le système d'exploitation n'était présent que sur 4,9 % des smartphones vendus en France. Très loin derrière Android (75,6 %) et iOS (18,8 %). Au niveau mondial, le chiffre est encore plus alarmant.

Satya Nadella doit gérer ce problème laissé par son prédécesseur, Steve Balmer. Dans cette optique, il concentre ses efforts sur le marché où il peut encore se différencier : celui des entreprises. Comme BlackBerry qui joue sa survie sur les mêmes arguments, Microsoft entend mettre l'accent sur la sécurisation des données, l'administration de flotte de mobiles et la continuité de service d'un terminal à un autre. De nouveaux smartphones haut de gamme (les Surface Phone) pourraient, aussi, venir remplacer les Lumia, positionnés plutôt en entrée de marché.

Pour diffuser ses solutions, Microsoft n'hésite pas à adopter la stratégie du coucou et de faire son nid chez les autres OS mobiles. Des versions d'Office sont ainsi apparues pour Android, et pour iPhone et iPad.

6°/ Une Xbox chasse l'autre

Difficile aussi de comprendre la stratégie de Microsoft en matière de consoles de jeux vidéo. Au dernier salon E3, le géant américain a annoncé pas une mais deux Xbox. La première, la Xbox One S est sortie début août. Plus compacte et moins chère que la Xbox One (à partir de 300 euros), elle gagne aussi en définition. Elle vient challenger la PlayStation 4. Sauf que les consommateurs hésiteront peut-être à mettre la main au porte-monnaie sachant qu'une autre Xbox est attendue pour 2017. Sous le nom de projet Scorpio, Microsoft la présente comme "la console la plus puissante" jamais créée. Avec un processeur 8 cœurs, une puissance de calcul de l'ordre de 6 téraflops et une bande passante allant jusqu'à 320 Go par seconde, elle fera tourner les jeux en très haute définition (4 K) tout en assurant la compatibilité descendante avec les jeux des générations précédentes. Elle sera aussi taillée pour la réalité virtuelle.

Xbox s'enrichit de nouveaux services interactifs

Microsoft s'est lancé, par ailleurs, dans les services de streaming de jeux vidéo en rachetant mi-août la plateforme Beam. Sur ce créneau de l'e-sport, il vient concurrencer Google et son YouTube Gaming mais surtout Amazon qui avec Twitch occupe une position de leader (la société acquise près d'un milliard en 2014 réunit plus de 100 millions de joueurs par mois).

Start-up créée début 2016, Beam n'en est pas là avec seulement 100 000 utilisateurs. Son point fort est la capacité d'interagir en temps réel avec l'environnement de jeu en paramétrant sa console de diffusion. Une interactivité qui profitera notamment au jeu Minecraft, racheté, il y a deux ans, 2,5 milliards de dollars par Microsoft. Beam viendra enrichir Xbox Live, son service de jeu en réseau sur console, en lui apportant de nouvelles fonctionnalités sociales.