La reconnaissance faciale : entre hypersécurité et hyper intrusion

La reconnaissance faciale : Quésako ? C'est une technologie permettant d’authentifier et/ou d’identifier une personne à partir des traits de son visage. Elle s’appuie sur les principes de l’Intelligence Artificielle et plus précisément du "machine learning".

Souvent utilisée dans les domaines de surveillance et de sécurité dans les aéroports, elle permet aussi de simplifier la vérification d’identité des voyageurs aux frontières. Les limites de cette technologie sont loin d’être atteintes ; très prometteuse, elle pourrait révolutionner la manière de consommer ! Sourire pour payer au restaurant, au supermarché ou encore dans le métro pourrait bientôt faire partie du quotidien. Cependant, la reconnaissance faciale se trouve aussi à l‘origine de débats animés, ses détracteurs craignant des dérives dignes d’un épisode de Black Mirror. 

1. La reconnaissance faciale  

une technologie aux multiples facettes Nombreux sont les lieux publics dans lesquels la reconnaissance faciale s’est discrètement immiscée.

Sécurité dans les établissements recevant du public (stades, salles de concert) : La reconnaissance faciale permet d’analyser plus rapidement la foule. Elle est déjà utilisée dans des lieux publics lors de concerts ou dans les stades en tant que système de sécurité. Victime de harcèlement de la part de nombreux fans, la chanteuse Taylor Swift a profité des avantages de cette technologie lors d’un concert à Los Angeles en 2018. Grâce à un dispositif de reconnaissance faciale dissimulé dans un écran, la chanteuse a pu contrôler et ainsi limiter l’accès à son show en filtrant ses harceleurs à l’entrée. L’efficacité de cette technologie a aussi été démontrée dans un stade de football danois dans lequel ont été installées des caméras Panasonic munies du logiciel de reconnaissance faciale FacePro. Ainsi, grâce leur utilisation, le stade Brondy Station a considérablement optimisé sa sécurité par l’identification rapide et efficace de personnes inscrites sur liste noire, permettant à l’équipe de sécurité de prendre des mesures adéquates.

Divertissement : La reconnaissance faciale est aussi un outil qui, intégré à des applications, permet des transformations physiques spectaculaires, le temps d’une photo ou d’une vidéo. Pionnier dans le domaine, le réseau social Snapchat est le plus utilisé après Facebook chez les adolescents. Il permet d’envoyer des photos et vidéos accompagnées de textes et de différents filtres. L’application a fait de la reconnaissance faciale son succès. En effet, se transformer en chien, en squelette, changer la couleur de ses yeux ou encore proposer des stickers en accord avec sa photo est désormais possible grâce à la reconnaissance faciale.  

2. Les dérives

Cependant, si la reconnaissance faciale regorge d’opportunités, une utilisation non-encadrée pourrait se révéler nuisible et porter atteinte aux droits des personnes et à leurs libertés. 

Atteintes aux droits et libertés des personnes. En Chine, en 2018 a vu le jour le programme "Sharp Eye" ou "Œil de lynx", un projet créé dans le but de renforcer le système national de sécurité dans les zones rurales. Avec près de 300 millions de caméras dotées d’un logiciel de reconnaissance faciale, la population chinoise se voit constamment observée. Ce "Big Brother" se trouve aujourd’hui à l’entrée des lieux de culte et permet de contrôler les croyances religieuses de la population. Ainsi, même si cet hyper-contrôle réduit considérablement les crimes et infractions, il peut aussi intenter à la vie privée de la population constamment épiée.

Opacité : FaceApp, une application dont le concept est de transformer un selfie en vieillissant ou en rajeunissant son visage, utilise aussi cette technologie. Cependant l’application fait face à une difficulté majeure : le détournement de données personnelles de ses utilisateurs vers la Russie.  En effet, avec un consentement englouti dans les Conditions Générales d’Utilisation de l’application, l’utilisateur garantit à FaceApp "un accès perpétuel, irrévocable, non exclusif, libre de droits […] pour la reproduction, modification, adaptation, publication, traduction, créations dérivées, distribution, publicité et diffusion avec vos contenus". Compte tenu de l’absence de réglementation autour de la reconnaissance faciale, les dérives sont risquées...  En août 2019, un établissement scolaire suédois s’est vu infligé la première amende du pays pour infraction au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). En effet, le lycée de la ville de Skellefteå en Suède utilisait la reconnaissance faciale en guise de système d’appel auprès de 22 élèves sans avoir consulté l’autorité suédoise et traitait ainsi les données biométriques de mineurs dans la plus parfaite illégalité.

3. La reconnaissance faciale en France

Le premier test de reconnaissance faciale en France a été effectué à Nice en février 2019, lors de la 135ème édition du carnaval de Nice. Pendant trois jours, les caméras de surveillance munies du logiciel de reconnaissance faciale Anyvision devaient analyser les visages de 5000 personnes pour y retrouver les 50 volontaires qui avaient enregistré leur image dans le système avant le début de l’événement. Cependant, le résultat divise : d’après le bilan rendu par la mairie de Nice, les résultats sont concluants. La CNIL, quant à elle, reste perplexe et a soulevé certaines lacunes dans les détails du fonctionnement de l’algorithme. La Commission souligne le manque de piste de réflexion sur les potentiels risques de discrimination, ainsi que l’absence de précisions concernant les problématiques rencontrées quant à l’identification des personnes. Des personnes non recherchées ont-elles été détectées ? Le logiciel est-t-il parvenu à déceler toutes les personnes préalablement enregistrées dans le système ? Qu’en est-il de la conservation des données et de leur exploitation ? En raison de ces enjeux, la CNIL considère que "l’évaluation de l’expérimentation ne peut être menée à son terme".

4. Interdiction de l’utilisation de la reconnaissance faciale

Si certains prennent le risque d’aller jusqu’à porter atteinte à la vie privée des personnes afin d’expérimenter les atouts de cette technologie, d’autres, en revanche, sont résolument opposés à cette idée de surveillance absolue.

C’est par exemple le cas de San Francisco qui a interdit l’utilisation de cette technologie aux services de police et à la municipalité. Elle est la première ville des Etats-Unis à interdire son usage, suivie de près par le conseil municipal de Berkley qui pourrait rejoindre à son tour cette (op)position4. Les grandes lignes RGPD à respecter

Cette technologie n’en est désormais plus à ses balbutiements. Les enjeux de protection des données et les risques d’atteintes aux libertés individuelles que de tels dispositifs sont susceptibles d’induire sont considérables, notamment pour la liberté d’aller et venir anonymement. Comme le recommande la CNIL, tout projet d’y recourir devra à tout le moins faire l’objet d’une analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD). Que dit la loi ?

La reconnaissance faciale utilise des données biométriques, définies par le RGPD comme "les données à caractère personnel résultant d’un traitement technique spécifique, relatives aux caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales d’une personne physique, qui permettent ou confirment son identification unique, telles que des images faciales ou des données dactyloscopiques".

Conformément au RGPD, le traitement de telles données exige le consentement libre, spécifique, éclairé et univoque des personnes concernées.

Aussi, le sujet récurrent aujourd’hui résulte d’un manque de transparence concernant l’utilisation des données des personnes concernées, et des conditions et modalités de recueil du consentement de la personne concernée, parfois extorqué sans véritable information.

En effet, dans le cadre de la reconnaissance faciale, les personnes filmées ou photographiées ignorent souvent à quelle utilisation elles consentent, compte tenu du manque de de transparence de la part des organismes souhaitant utiliser des données.

D’autres entreprises ont recours à une pratique – hélas très répandue - consistant à intégrer le consentement dans leur Conditions Générales d’Utilisation. Le renseignement relatif à l’utilisation des données est ainsi "noyé" dans un flot d’information, ce qui le rend peu accessible.

5. Conclusion : Vers une évolution du cadre normatif ?

La reconnaissance faciale présente de réels enjeux en matière de sécurité et pourrait être l’occasion pour les pouvoirs publics de compléter le cadre légal existant et de le doter de garde-fous.

Sans ce cadre normatif qui doit aujourd’hui s’adapter, le risque d’atteinte aux droits et libertés des personnes existe ! Pour reprendre la célèbre formule du sénateur Church  "There would be no place to hide" - "il n’y aurait aucun endroit où se cacher".

Écrit en collaboration avec Ornella Krief.