Les start-up SaaS sont les licornes de demain
De Lyft à Peloton, en passant par Uber, l'année s'est avérée décevante pour les entrées en bourse. Dans ce contexte morose, les jeunes pousses du logiciel en mode cloud se distinguent par leur dynamisme.
2019 devait être l'année des IPOs avec un nombre record d'entreprises stars de la Silicon Valley prenant le chemin de Wall Street. Mais à l'heure où la poussière retombe, l'année semble devenue celle des entrées en bourse ratées. En mai dernier, Uber a réalisé la pire IPO depuis 1975. D'abord vendue 45 dollars pièce, son action est tombée à environ 33 dollars. Son rival Lyft, entré en bourse un mois plus tôt, n'a pas fait beaucoup mieux. Son titre, vendu 72 dollars au départ, a perdu près de la moitié de sa valeur.
Mais les deux VTC n'ont pas été les seuls à souffrir. Peloton, jeune pousse de la Silicon Valley qui commercialise des vélos d'appartement assortis de contenus vidéos, a également vu la valeur de son action sévèrement dévisser depuis ses débuts sur le marché libre américain le 26 septembre dernier. De son côté, WeWork, start-up américaine star des espaces de coworking, a même fait machine arrière. Après une chute drastique de sa valorisation, elle a préféré annuler l'IPO et son emblématique CEO, Adam Neumann, a été remercié. Quant à la start-up Postmates, spécialiste de la livraison entre particuliers, elle a repoussé son entrée en bourse aux calendes grecques.
Les performances des entreprises fraîchement entrées en bourse n'ont pas été aussi mauvaises depuis 1995, d'après le site Investopedia. Les 32 jeunes pousses des nouvelles technologies qui ont fait leurs débuts à Wall Street cette année ont vu leur valorisation grimper de 5% en moyenne. L'an passé, ce chiffre était de +13%. Et en 2017, de +94%...
Jim Cramer, célèbre journaliste télévisuel américain spécialisé dans l'analyse de l'actualité financière, a appelé les entreprises à ne plus réaliser d'IPOs pour le moment, affirmant que celles-ci faisaient peser sur l'économie américaine un risque bien supérieur à celui causé par la concurrence chinoise. Constat partagé par Bob Greifeld, ancien président du Nasdaq, pour qui, derrière cette succession d'IPO décevantes, se profile le spectre d'une nouvelle bulle Internet.
Le logiciel cloud cartonne
Pourtant, si les entrées en bourse des start-up les plus médiatiques ont toutes été décevantes, d'autres ont connu davantage de succès. Les entreprises de logiciel en mode SaaS affichent, dans ce contexte difficile, une insolente réussite. C'est le cas de Datadog. Cette jeune pousse basée à New York, qui propose un logiciel de monitoring des infrastructures IT et applications, a vu sa valorisation grimper de 40% suite à son IPO fin septembre. Ce qui lui a valu d'être approchée par le géant américain Cisco Systems, qui a lui fait une offre (qu'elle a refusée) de rachat de plus de 7 milliards de dollars. Crowdstrike, entreprise de cybersécurité cloud-native, a quant à elle doublé sa valorisation depuis son entrée en bourse en juin dernier. Zscaler, autre spécialiste de la sécurité cloud, enregistre une valorisation boursière trois fois plus supérieure à celle précédant son introduction sur les marchés financiers l'an passé !
"Les start-up les mieux valorisées de la Silicon Valley ont toutes bénéficié de la démocratisation des smartphones et d'un cloud computing à bas prix"
Bien moins médiatiques que les grands noms de la Silicon Valley, ces entreprises BtoB semblent néanmoins constituer un excellent pari pour les investisseurs. Là où Uber, Lyft et Airbnb brûlent chaque année des milliards de dollars pour croître le plus rapidement possible, ces jeunes pousses aux finances plus saines constituent un investissement moins risqué. "Historiquement, le BtoB a toujours été un secteur plus solide qui, sans offrir les meilleures performances, donne de bons retours sur investissement. Chez Amazon, c'est AWS qui génère le plus de profits. Et du côté de Microsoft, le cloud Azure est également en pleine forme", rappelle Richard Holway, président et cofondateur de TechMarketView, un cabinet d'analyse de marché britannique. La conjoncture est en effet très favorable au cloud, marché en pleine croissance depuis plusieurs années. Les revenus tirés du cloud public devraient croître de 17,5% dans le monde en 2019, selon Gartner.
Le modèle du software-as-a-service assure également à ces jeunes pousses un chiffre d'affaires stable et récurrent, ainsi qu'une plus grande résilience par rapport à d'autres entreprises de l'économie de l'abonnement. "Il est difficile pour leurs sociétés clientes de changer de fournisseur puisque d'importantes ressources sont investies dans la mise en place de l'application, la formation à celle-ci, etc. Cela confère à ces acteurs une bonne résilience en cas de ralentissement du marché, bien supérieure à celle des prestataires de solutions sur site (ou on premise, ndlr)", analyse Richard Holway. Enfin, le SaaS ouvre des possibilités de croissance alléchantes. "Les entreprises de logiciel SaaS affichent facilement des marges de plus de 20%. Elles peuvent en outre facilement étendre leurs opérations, puisqu'il est aisé de dupliquer et vendre une application cloud une fois celle-ci conçue. Leurs coûts de marketing et vente sont enfin généralement assez faibles", explique Keith Wright, investisseur et professeur à l'université Villanova.
Les licornes de demain
Pour la journaliste du New York Times Erin Griffith, le succès des acteurs du SaaS, contrastant avec les difficultés des start-up BtoC, plus médiatiques, pourrait être le signe d'une nouvelle ère dans le monde des licornes. "Les start-up les mieux valorisées de la Silicon Valley, catégorie qui compte des noms aussi célèbres qu'Uber et Airbnb, ont toutes bénéficié de la démocratisation des smartphones et d'un cloud computing à bas prix. (...) Mais alors que ces entreprises ont grandi et s'apprêtent à entrer en bourse, les opportunités de chambouler de vieilles industries se font plus rares. Désormais, les start-up du logiciel susceptibles de devenir de futures licornes ont des noms comme Benchling ou Blend. Et elles se concentrent pour la plupart sur des créneaux bien spécifiques, comme l'agriculture, les banques ou la biologie", écrit-elle.
Mais n'enterrons pas trop vite les grandes entreprises BtoC qui se sont étendues par-delà les frontières au cours des dernières années. "Uber et Lyft étaient surévaluées avant leur IPO, et perdent encore d'importantes quantités d'argent. D'autres, comme Stripe, s'en sortent mieux, ou encore Airbnb qui est profitable. Je pense qu'à l'avenir, les investisseurs valoriseront davantage les profits et autres bons indicateurs, comme des flux de trésorerie positifs. Ces deux entreprises pourraient bien réussir leur entrée en bourse, à condition d'ouvrir à un prix raisonnable", prédit Richard Holway.