Simon Mulcahy (Salesforce) "Les CEO saisissent la nécessité d'évoluer vers une entreprise technologique"

Le directeur de l'innovation du leader du CRM lève le voile sur les discussions qu'il mène en coulisses avec les clients de l'éditeur… dans une démarche d'amélioration permanente.

JDN. Quelles sont vos principales missions en tant que chief innovation officer de Salesforce ?

Simon Mulcahy est chief innovation officer de Salesforce. © Salesforce

Simon Mulcahy. Chief innovation officer est un poste nouvellement créé chez Salesforce. Sa mise en place remonte à environ un an et demi. Avec mon équipe, j'ai pour mission de plancher sur les prochaines étapes que le groupe doit mettre en œuvre pour contribuer à faire émerger les futures innovations digitales. Ce processus de nature assez stratégique doit évidemment permettre à Salesforce de cerner ses prochaines phases d'évolution.

Une partie de mon métier est d'aider les entreprises à anticiper l'avenir de leur business et de les accompagner dans le choix des technologies qui s'imposent. Mon équipe s'imprègne des besoins et des contraintes du client. Dans le sillage de ce travail, l'objectif est à la fois d'améliorer nos produits et de supprimer les points bloquants dans leur parcours d'adoption.

Nous pouvons passer des mois à travailler chez un client, à plancher sur des stratégies, le challenger. Dans certains cas, nous pouvons aboutir à une offre spécifique à sa demande. Et dans d'autres, à une solution verticale que nous généralisons à l'ensemble d'un segment de marché. Nous jouons un rôle de catalyseur.

Comment cette dynamique d'innovation orientée client fonctionne-t-elle ?

Le travail réalisé avec Merrill Lynch Wealth Management illustre bien cette démarche. Ce groupe américain qui compte 20 000 gestionnaires de fortune est historiquement l'un de nos plus importants clients. Mais au travers de nos applications, il s'est retrouvé confronté à une expérience utilisateur qui s'est révélée peu adaptée à ses besoins métier. Son PDG est allé jusqu'à annoncer vouloir abandonner Salesforce. Marc Benioff lui a répondu que nous allions régler le problème. Nos équipes ont analysé la manière dont ils recourraient à Salesforce, et ce qu'ils cherchaient vraiment à en faire. Nous avons pu trouver des solutions satisfaisantes.

Nous avons beaucoup appris de cette expérience. Du coup, il a été décidé de poursuivre l'exercice en travaillant avec d'autres sociétés du domaine en vue d'aboutir à un produit packagé. Salesforce Financial Services Cloud (qui est sorti en 2016, ndlr) est né de cette réflexion. Aujourd'hui, ce produit est une réussite et compte de nombreux clients. (Aux côtés de Merrill Lynch Wealth Management, Salesforce Financial Services Cloud est commercialisé auprès de Transamerica, Northern Trust et United Capital, ndlr).

A quels profils vous adressez-vous dans vos relations avec les clients de Salesforce ?

Le nombre de CEO venant nous solliciter ne cesse de croître. Quand Salesforce a été créé il y a 20 ans, nous n'étions pas pertinents du point de vue des directions générales. Nos prospects se recrutaient principalement au sein des équipes financières de prévision de vente et de gestion des centres de contacts clients. 20 ans après (et 60 rachats bouclés, ndlr), Salesforce commercialise une plateforme large et épaisse plaçant le client au centre de tout processus.

"On arrive à un moment où les changements de façade ne suffisent plus"

Il s'agit d'un changement fondamental. Il faut bien l'avouer. Ce n'est plus l'ERP et la production qui structurent l'organisation mais bien la relation client. On peut appeler cette évolution de différentes manières. Par exemple la quatrième révolution industrielle. C'est un profond changement de business modèle que toutes les entreprises doivent adopter au risque de disparaître.

La distribution de produits ou de services au sens traditionnel du terme ne suffit plus. Vous devez capter le besoin de vos prospects ou clients, leur profil, le contexte de leur entourage, de leur lieu de vie, pour leur proposer exactement ce qu'ils recherchent au bon moment. Bref, il s'agit d'anticiper la demande.

Comment les CEO appréhendent-il ce défi ?

De plus en plus saisissent que leur entreprise doit évoluer vers une entreprise technologique. De la banque au retail en passant par l'industrie de fabrication, les directions générales comprennent que la technologie devient une brique clé.

Jusqu'ici, la plupart d'entre elles ont repris l'ancien modèle informatique en l'améliorant légèrement au fur et à mesure. Or, on arrive à un moment où les changements de façade ne suffisent plus. C'est l'ensemble de la chaîne de valeur qui doit être revisitée. Dans la banque par exemple, le défi est de créer une expérience client de bout en bout sans couture, dans laquelle le produit disparaît. La banque devient invisible. Dans le retail, on évolue vers le concept de durabilité. Des marquent basculent vers le clothing as a service et l'économie de la souscription.

Quels sont les principaux scénarios que vous voyez émerger dans le vocal ?

Nous anticipons des évolutions dans deux grands domaines. La première concerne la maison qui est en train d'être redesignée pour s'adapter à ce média. Les assistants personnels deviennent des télécommandes vocales pour piloter les objets domotiques. A cela vient s'ajouter de plus en plus d'interactions avec des robots domestiques (aspirateur, fer à repasser, lave vitre, système de surveillance, tondeuse à gazon… ndlr). Les secondes applications vocales portent sur la digital workplace. Elles recouvrent déjà l'automatisation des retranscriptions, des traductions. La gestion de commande vocale business est un autre exemple, mais il peut s'avérer plus compliqué à mettre en œuvre car l'IA doit comprendre le contexte de l'utilisateur.

Simon Mulcahy intègre Salesforce en 2009. D'abord, directeur sénior de la stratégie d'entreprise, il est ensuite promu vice-président senior de l'innovation & des solutions d'ingénierie, puis vice-président responsable général senior financial services. En mars 2016, il devient chief marketing officer de Salesforce avant d'être nommé mi-2018 chief innovation officer. Précédemment, il a notamment été directeur responsable des industries IT au sein du Forum économique mondial et manager du développement business chez Dell. Simon Mulcahy est titulaire de masters à l'INSEAD, à l'école de commerce de l'université de Colombia de New York, et à l'école de commerce de Londres.