La crise du Covid, dernière chance pour les entreprises d'opérer leur mue digitale

Beaucoup d'enseignes réputées ont su valoriser leur marque par le passé, mais se trouvent bien dépourvues à l'heure de la distanciation sociale. Jusque-là, elles réalisaient une infime partie de leur activité en ligne, privilégiant outrageusement l'expérience en magasin.

1994. Dans un rapport resté célèbre, Gérard Théry, Alain Bonnafé & Michel Guieysse écrivent qu’Internet est un réseau "mal adapté à la fourniture de services commerciaux". Fin des années 1990, les grandes entreprises restaient peu réceptives aux discours les incitant à mettre le web au centre de leur stratégie. En 2020, qu’est-ce qui a changé ? A la fois beaucoup et extrêmement peu. La technologie est plus performante mais les mentalités ont peu évolué. Pour le retail, la fermeture des points de vente physiques a été le point de départ d’une mutation à marche forcée, mais trop nombreuses sont les marques qui ne prennent pas encore la mesure du tsunami. Anticipant un chimérique retour à la normale, elles refusent de repenser leur business model et leur façon de travailler. Pourtant, à l’heure du Covid-19, l’adoption d’une culture agile n’a plus rien d’une option.

Le péché du "Business as usual" peut s’avérer mortel

Beaucoup d’enseignes réputées ont su valoriser leur marque par le passé, mais se trouvent bien dépourvues à l’heure de la distanciation sociale. En effet, jusque-là, ces entreprises réalisaient une infime partie de leur chiffre d’affaires en ligne, privilégiant outrageusement l’expérience en magasin. En effet, pourquoi mettre des ressources (financières et humaines) dans le changement quand tout va bien ? Ce péché d’orgueil a conduit de nombreuses sociétés à ignorer la révolution économique à l’œuvre depuis plus de vingt ans, la considérant principalement comme une question d’infrastructure technique. Or, plus que les sites internet, ce sont les mécanismes de l’innovation qu’il faut faire évoluer : partir du client et non plus du produit, opter pour l’amélioration continue plutôt que des plans quinquennaux, s’adapter à un environnement mouvant…   

Les marques qui ont dédaigné ces règles ont vu la quasi-totalité de leur activité s’écrouler pendant le confinement. Certes, toutes se sont mises en ordre de bataille pour continuer en ligne, mais "faute de mieux", sans voir que la bascule opérée par les consommateurs a toutes les chances d’être durable. Quoiqu’il en soit, la pesanteur d’hier n’est plus de mise. Pour ceux qui ont raté le train du numérique, c’est la dernière chance de le prendre. Pour ceux qui ont démarré timidement des projets, c’est le moment d’accélérer.

Loin d’être un pis-aller, le digital est un vecteur de résilience

Pendant cette période de télétravail forcé, les entreprises ont assuré une continuité d’activité mais à peine 1% ont initié des projets stratégiques. La numérisation de leur business représente pourtant un formidable vecteur de résilience. Considérons seulement les valeurs boursières des grands acteurs tech, en plein essor malgré la crise ! Au-delà des indicateurs financiers, ce que je trouve intéressant, c’est la reconfiguration des business models, qui fait la part belle au cloud, aux infrastructures permettant le travail à distance et aux services par abonnement. En clair, c’est l’heure de gloire des Netflix, Spotify et Microsoft.

Du confinement, on retiendra donc deux choses capitales. La première, c’est que sont valorisées les offres qui permettent de rester connecté à son écosystème. La seconde, c’est que l’économie de l’expérience n’a de cesse de se digitaliser. Comme le fait valoir Joe Pine, certains secteurs mis à mal par le confinement rivalisent d’initiatives pour entretenir le lien avec leurs parties prenantes : webinars, diffusion de spectacles en ligne, cocktails virtuels… L’expérience change de format et se déplace dans la sphère intime. Elle implique du service, de l’interaction et de l’engagement. En cela, elle représente bien plus que la simple numérisation de catalogue qu’ont opérée les acteurs du retail.

Le "Future of work" sera agile ou ne sera pas

Pour reprendre le constat de McAfee, les entreprises ne peuvent ignorer que la situation aurait été bien pire sans l’infrastructure technologique dont nous disposons. A ce titre, je pense que c’est le moment ou jamais d’adopter la culture de la réactivité, l’accélération et la pluridisciplinarité nécessaire pour innover plus rapidement et donc générer de nouveaux revenus. Plusieurs faits majeurs sont à mettre en exergue :

  • La société appelle de ses vœux une relocalisation de la production. Or, c’est en prenant le virage du numérique que les entreprises pourront accéder à cette demande : automatisation, flexibilisation et miniaturisation des usines permettront de produire au plus près du consommateur, comme Adidas l’avait initié avec ses speedfactories en Allemagne.
  •  Après deux mois de travail à distance, je ne vois pas de retour en arrière possible et pour moi, il est acquis que les collaborateurs n’accepteront plus de rejoindre une entreprise qui n’est pas capable leur proposer ce mode de travail.
  • La crise du covid-19 a mis en exergue une dynamique d’intelligence collective inouïe rendue possible par le partage de données à grande échelle pour lutter contre la propagation du virus. Epidémiologistes, médecins et ingénieurs du monde entier œuvrent ensemble. Les meilleurs talents voudront sans doute travailler de la sorte : avec des profils pluridisciplinaires et pourquoi pas internationaux, en mode "coup de poing".

Pour toutes ces raisons, future of work, innovation et numérisation sont indissociables. Entreprises, retirez vos œillères : aujourd’hui, c’est déjà demain.