L'Agile est mort, vive l'Agile !

Contre toute attente, la croissance française devrait atteindre les 6% pour l'année 2021 : preuve que nos entreprises ont su faire preuve d'adaptabilité et de résilience. Pour certains observateurs, la pandémie a agi comme un "accélérateur d'agilité". Toutefois, ce constat est à nuancer.

A force d’être invoqué, le concept d'Agile est devenu creux : peu savent de quoi ils parlent quand ils parlent d’Agile. Dans les faits, beaucoup de transformations initiées dans les grandes entreprises n’ont pas donné les résultats escomptés. Parti du développement de logiciel, l’Agile est devenu une commodité dont la proposition de valeur peine à changer la donne. Aucune vérité n’étant éternelle - plus particulièrement aujourd’hui - il est peut-être temps d’admettre que l’Agile des années 2000 a vécu. Pour autant, il serait contreproductif de jeter le bébé avec l’eau du bain : l’exigence qui sous-tend les grands principes du Manifeste a vraisemblablement encore beaucoup à nous apporter.

L’Agile n’est pas l’absence de cadre et de discipline…

Dans l’imaginaire collectif, on a trop souvent réduit l’Agile à ce qu’il n’était pas : l’absence de cadre et donc de discipline. Un contresens dû au fait que la culture agile se positionne en opposition frontale avec une conception infantilisante du management. Il est vrai qu’encore aujourd’hui, beaucoup d’entreprises sont équipées de pointeuses et que se joue, dans les locaux et même à distance, une "comédie humaine du travail" extrêmement coûteuse en énergie. Le premier cheval de bataille des coachs agiles a été – et est toujours – de dénoncer ce non-sens.

De là à ouvrir les vannes de l’entreprise horizontale, il n’y a qu’un pas, et ce pas a été très souvent franchi. Pour ma part, je ne suis pas certain qu’on puisse généraliser à l’extrême ce type d’organisation, car plus une structure grossit, plus il est difficile de faire converger les individus vers une vision commune. Zappos est revenu de ce système car tout compte fait, il n’a pas permis aux talents de libérer leur potentiel. Pour moi, la hiérarchie n’est pas un problème, si le manager agit comme un coach et se met au service de son équipe ! La finalité de l’Agile n’est pas d’abolir tous les cadres, mais bien d’aider les employés à redéfinir un cadre de travail et une discipline adaptés à leur contexte et leur culture pour atteindre les objectifs de leurs clients et ainsi se réaligner sur plus de valeur ajoutée.

… Ni la sainte parole révélée !

Gare pour autant à ne pas tomber dans l’excès inverse, qui consiste à se conformer sans se poser de question à un ensemble de règles strictes. De même que beaucoup de seigneurs pensaient assurer leur place en paradis en payant des indulgences, un certain nombre d’entreprises sont tentées d’acheter une garantie de croissance en souscrivant à la mode managériale du moment. Le journaliste américain Dan Lyons faisait à ce sujet un constat sévère : "Il y a cette idée que l’entreprise a besoin d’un nouveau type de travailleur, d’employé. Les entreprises se sont ainsi orientées vers de nouvelles méthodes de management, déguisées en 'sciences', qui confinent en général à de la magie vaudou et sont totalement obscures."

Les organisations se sont ainsi longtemps raccrochées au lean comme à une bouée de sauvetage, avant de se tourner vers des pratiques estampillées agiles. Or, il ne suffit pas de recruter des product owners, de renommer des fiches de postes, ou encore d’appliquer des frameworks de façon rigide pour relancer son business. Tout d’abord parce qu’en contexte d’incertitude, il n’existe pas de recette miracle qui tienne sur la durée et qui soit valable pour tout le monde. Uber a imposé de nouveaux standards sur son marché, mais son avance numérique ne l’a pas empêché de se trouver confronté à de graves problèmes de management et d’image. Ensuite, parce qu’une transformation agile n’a de sens que si elle implique toute la structure, direction comprise, et qu’elle engage des changements de fond.

Envisager la transformation dans sa dimension systémique

En effet, mener une transformation dans un domaine spécifique (marketing, finance…) ou la circonscrire à l’IT contribuera peut-être à un peu plus d’efficacité mais ne donnera pas de résultat révolutionnaire. Pour s’adapter au changement permanent, il importe de créer du lien entre les expertises, repenser les modèles de gouvernance, et, in fine, reconfigurer toute l’organisation. En d’autres termes, il faut aborder la transformation dans sa dimension systémique. Et pour moi, une dynamique aussi engageante n’est pas transposable d’une entreprise à une autre. Chacune a une problématique spécifique, et la première des choses à faire est de bien définir le besoin à combler et les objectifs à atteindre. Réduire le time to market, améliorer l’expérience produit ou fidéliser le client : selon le diagnostic de départ, la stratégie ne sera pas la même.

Il n’y a donc pas une méthode agile, mais des méthodes agiles, avec une même ambition : aider l’entreprise à définir et assumer une proposition de valeur unique. Tous les constructeurs automobiles sont contraints d’accélérer le virage vers la mobilité électrique, mais un BMW, dont la ligne directrice est "le plaisir de conduire", le fera différemment de Volvo ou Renault. Être agile, en fin de compte, c’est être capable de s’adapter au changement tout en restant cohérent par rapport à son projet et ses valeurs.

En se focalisant sur les fondamentaux de l’organisation, l’Agile des années 2020 entrera en résonnance avec les besoins de son époque. Les clichés sur cette méthode ont fait long feu : l’Agile dans son interprétation ancienne est mort ! Mais vive sa version plus globale et professionnalisée, qui contribuera de manière tangible à la performance des entreprises.